Par Christophe Dordain
Le capitaine Linc Evers dirige une unité spéciale de la police de Los Angeles. Voici donc la "Most Wanted Unit" ou "Section contre-enquête" en version française. Cette unité a pour principale mission de s'attaquer au très grand banditisme. Aussi, dans son travail quotidien, Linc Evers profite-t-il des compétences de ses deux adjoints que sont Charlie Benson et Kate Manners.
CETTE SECTION AVAIT TOUT POUR REUSSIR
Oui ! Elle avait tout pour être un immense succès ! Quand ABC diffuse le pilote de "Section contre-enquête", le 21 mars 1976, il ne fait nul doute que le producteur Quinn Martin vient encore de réussir un nouveau coup de maître. En l'occurrence la mise en chantier d'une potentielle série au long cours. De celles du calibre de "Cannon" ou bien des "Rues de San Francisco".
Quinn is the king !
En ce milieu des années 70, Quinn Martin fait partie de cette génération de producteurs qui ont façonné la télévision américaine. Par l'entremise de programmes populaires, au sens noble du terme, le niveau de qualité atteint est tel que l'expression "âge d'or" (souvent employée pour qualifier la période des années 55 à 65 aux Etats-Unis) trouvait comme une forme de prolongement grâce au travail réalisé par Quinn Martin et ses principaux collaborateurs.
Ainsi, citera-t-on notamment John Wilder, Howard Alston, John Conwell, Russell Stoneham (pour la production). Patrick Williams, Duane Tuatro, John Elizalde (pour la musique). Richard Brockway (pour le montage). Aussi, était-il difficile d'envisager une grille de programmes sur les grands réseaux qu'étaient CBS, NBC et ABC sans la présence d'une production Quinn Martin. Production au style immédiatement identifiable. Notamment avec l'utilisation d'une structure en quatre ou cinq actes. En résumé, un héritage du théâtre devenu, au fil du temps, la marque de fabrique du célèbre producteur.
Dans ce cadre, au moment du lancement de la production de "Section contre-enquête", les séries produites par Quinn Martin dominaient de la tête et des épaules les grilles de programmes des grands networks. Des exemples ? Pour la seule saison 1976/1977, le téléspectateur américain pouvait profiter des "Rues de San Francisco" (qui entamait son ultime saison avec Karl Malden et son nouveau partenaire Richard Hatch). Ou bien encore de "Barnaby Jones" avec Buddy Ebsen (programmée depuis le 28 janvier 1973, cette série s'arrêtera le 04 septembre 1980). Quant à "Cannon", la série venait d'achever une brillante carrière sur CBS jalonnée par 120 épisodes (diffusée du 14 septembre 1971 au 19 septembre 1976).
Des atouts majeurs
On comprend mieux alors les espoirs placés par Quinn Martin dans "Section contre-enquête". Voilà qui devait être, dans son esprit, un nouveau hit. De ceux capables de tenir l'antenne pendant 4 ou 5 saisons. Quant aux moyens mis en oeuvre pour sa production, ils étaient plus que conséquents. En effet, fidèle donc à cette politique qualitative, et dans la continuité du succès d'audience enregistré par le pilote, on ne peut que saluer la qualité des différents protagonistes convoqués par Quinn Martin pour le lancement de cette nouvelle série :
- Tout d'abord, Harold Gast en est le producteur (il avait déjà produit "Judd For The Defense's", une série relatant les affaires menées par Cinton Judd, un avocat originaire du Texas. Diffusion du 08 septembre 1967 au 19 septembre 1969).
- Puis, Laurence Heath en est le créateur (c'était un scénariste chevronné auteur des meilleurs épisodes des "Envahisseurs". Une autre production Quinn Martin datant des années 67/68. Sans oublier son apport sur "Mission Impossible", créée par Bruce Geller en 1966).
- De surcroit, Lalo Schifrin intervenant pour l'univers musical. Il faut souligner que, indépendamment de ses nombreuses partitions pour le cinéma, Lalo Schifrin a écrit les thèmes musicaux des séries. On remettra en mémoire "Mannix" en 1967, "La Planète des Singes" en 1974 et "Starsky et Hutch" (pour la première saison, en 1975).
- Enfin, une palanquée de téléastes confirmés pour réaliser les épisodes. Ils ont pour nom Virgil W. Vogel, Don Medford, Walter Grauman, William Wiard et Corey Allen.
QUELLE DISTRIBUTION !
- Et que dire de la distribution ? Avec la présence, en tête de générique, de la star par excellence : Robert Stack ! Un comédien qui retrouvait l'opportunité de travailler avec Quinn Martin. Une chose qu'il n'avait plus faite depuis "Les Incorruptibles" (1959/1963). Bref, chacun des responsables s'attendait donc à un succès public comparable à celui de "Cannon" ou des "Rues de San Francisco".
Pour compléter celle-ci, et épauler le futur capitaine Evers, Quinn Martin adjoindra Shelly Novack dans le rôle du sergent Charles Benson. Ainsi que Jo Ann Harris dans le rôle de l'officier Kate Manners (Leslie Charleson dans le pilote). Deux acteurs permettant finalement de drainer un jeune public. Tandis que Robert Stack, qui avait 57 ans au moment du tournage, bénéficiait d'une côte de popularité sans égal.
Pour conclure, et mieux mesurer encore l'ampleur des moyens mis à la disposition de l'équipe de production, Quinn Martin sollicitera le comédien Hari Rhodes. Son plus grand succès personnel était le rôle de Mike dans "Daktari". Une série produite par Ivan Tors et diffusée du 11 janvier 1966 au 15 janvier 1969 sur CBS. Ainsi, sera-t-il le maire de la ville de Los Angeles, Dan Stoddart (en remplacement de Percy Rodriguez qui tenait le rôle dans le pilote). Un personnage inspiré par le parcours politique du véritable maire de l'époque. Ce dernier s'appelait Thomas Bradley. C'était un afro-américain tout comme Hari Rhodes.
REALISME AVANT TOUT
De fait, l'ambition de Quinn Martin était-elle clairement affichée pour cette nouvelle série : le réalisme. Ainsi, dans le cadre du pilote, apprend-on que, réalisme oblige donc, c'est le maire de Los Angeles qui a constitué cette unité spéciale (The Most Wanted Unit). Cette dernière a pour fonction est de traquer les criminels les plus dangereux et les plus recherchés en Californie. S'inspirant des faits divers de l'époque, les scénaristes ont imaginé des personnages vraiment effrayants dans le contexte de la société américaine des années 70.
Salopards en série
Voici quelques exemples de ces dangereux malfrats que traqueront le capitaine Evers et son équipe au cours des 22 épisodes que compte la série :
- Tout d'abord, Christian Van Wyck (interprété par le comédien Rip Torn) dans l'épisode "Un passé trop lourd". En effet, il n'hésite pas à employer des armes de guerre avec visée laser pour perpétrer ses crimes.
- Puis, dans l'épisode "Faux témoignage", Billy Wilcox (joué par Harris Yulin), lui, détourne un avion (rien que cela) afin de kidnapper Anthony Celli. Ce dernier étant le procureur qui l'a fait condamner sur des preuves peut-être discutables.
- Enfin, Lynda Day George incarne une avocate véreuse. Voici Laurie Chandler, dans l'épisode "Madame 10 pour cent". Elle y oblige certains des clients, qu'elle est pourtant censée défendre, à commettre des crimes pour son propre profit.
- Et que penser du psychopathe, tueur de religieuses, traqués par l'équipe du capitaine Evers dans l'épisode-pilote ?
En définitive, rarement une série n'aura bénéficié de cieux aussi cléments, de scénarios a priori aussi solides, de techniciens aussi expérimentés, de comédiens aussi talentueux, etc. Tout concourrait à la réussite de "Section contre-enquête". Pourtant, cette série allait être considérée comme le révélateur de la fin d'un empire télévisuel. En l'occurrence, celui de Quinn Martin !
UN ECHEC REVELATEUR DE LA FIN D'UN REGNE
Lynda a la barre
Le témoignage qui va suivre, et qui est le fait de Lynda Day George (actrice fétiche des séries produites par Quinn Martin), alors qu'elle participait au tournage de l'épisode "Madame 10 pour cent" (réalisé en août 1976 et diffusé le 25 décembre de la même année en huitième position), est une illustration de l'ambiance qui régnait sur le plateau de la série "Section contre-enquête" : "D'habitude, quand vous travailliez sur une production Quinn Martin, c'était toujours une expérience formidable et pleine d'énergie. Avec cette série, c'était comme si on sortait de table après la pause du midi, toute l'équipe avait trop chaud et était un peu fatiguée. Quand vous reprenez un tournage après la pause-déjeuner, il faut un peu de temps pour retrouver le rythme. Sur le plateau de "Section contre-enquête", c'était toujours la même ambiance morose quelque soit le moment de la journée..." (extrait du livre, Quinn Martin, Producer, écrit par Jonathan Etter en 2003).
Une ambiance délétère
Dire que l'ambiance sur le plateau de tournage n'était pas bonne relève de l'euphémisme pour qualifier l'état d'esprit des comédiens et de l'équipe technique. Malgré tous les éléments mobilisés pour la réussite de la série, la mayonnaise ne prenait pas. Plusieurs difficultés, qui ne sont pas pour autant perceptibles par le spectateur et qui n'altèrent en rien le plaisir que l'on a à visionner les épisodes, nécessitent une étude plus approfondie pour mieux cerner la brièveté de la diffusion de "Section contre-enquête" :
- Tout d'abord parce que les relations n'étaient pas franchement cordiales entre Robert Stack et Shelly Novack. Fait qui fut confirmé à plusieurs reprises par Bob Jeffords. Il était l'un des assistants-réalisateurs de la série. La faute en incombait à Shelly Novack. Ce dernier souffrait alors d'un grave problème d'accoutumance à la cocaïne. Une accoutumance qui l'obligeait à quitter régulièrement le plateau pour aller soi-disant aux toilettes. En réalité pour inhaler cette épouvantable drogue. Celle qui finira par le terrasser en mai 1978.
- Ensuite du fait de l'attitude de Jo Ann Harris. En effet, et avec raison, elle se rebella quant à la façon dont étaient rédigés les scripts de la série. Le principal problème résidait, selon elle, dans le fait que la moyenne d'âge des scénaristes employés par la production (Guerdon Trueblood, Stephen Kandel, Laurence Heath, Robert Janes et Jack Fogarty, la plupart dans la cinquantaine) était bien trop élevée. Notamment afin d'écrire des dialogues adaptés au personnage de Kate Manners. Un officier de police de 27 ans ! Or, au même moment, cartonnait une série mettant en vedette de jeunes policiers et s'adressant à un jeune public : "Starsky et Hutch" !
- Enfin, et c'était le plus pénalisant pour la série, parce que Quinn Martin remplaça Howard Alston, chargé de la production, et un de ses plus anciens collaborateurs depuis les années 60 (il avait notamment exercé cette fonction pour "Le Fugitif", "Les Envahisseurs" ainsi que pour "Cannon"), au profit de Marty Katz, dont le moins que l'on puisse dire est qu'il était imbu de sa personne.
Marty Katz va ainsi et parfois choisir des réalisateurs inexpérimentés pour le tournage de certains des épisodes (voir à ce titre dans le guide des épisodes le cas particulier de "Et L'argent vient en creusant", mis en scène par Harvey Laidman). Ou bien encore s'appuyer sur un assistant, Edward Teets, dont nul ne voyait l'utilité sur le plateau. Pour finir par embaucher Ron Fury, en lieu et place de Henry Kline, pour le poste de responsable de la production. Le tout au grand et double désespoir respectif de Harold Gast et de Bob Jeffords.
Une programmation insensée
Bref, diffusée à partir du 16 octobre 1976, le samedi soir à 22 heures, "Section contre-enquête" tarda à trouver son public. Il est vrai que l'on ne peut qu'être surpris, une fois de plus, par les choix de programmation décidés par ABC. En effet, comment comprendre la présence d'épisodes aussi violents pour les mentalités de l'époque (surtout quand on connaît la pression exercée par certaines ligues de téléspectateurs outre-atlantique) ? Par exemple, "Madame 10 pour cent" le 25 décembre 1976 (Joyeux Noël !) ? Ou bien encore "The White Collar Killer" le 01 janvier 1977 (Bonne Année !) ? A croire que certains voulaient enterrer la série prématurément...
Le coup de grâce sera donné à "Section contre-enquête" en mars 1977. En effet, ABC décida alors de donner une nouvelle case horaire à la série avec l'épisode n°16, "Des affaires en or". C'était le lundi de 22h à 23h. Nul ne peut ignorer que changer une case horaire en cours de saison est prendre un très grand risque. Aussi, en août de la même année, "Section contre-enquête" était définitivement annulée.
Cette disparition des écrans symbolisait parallèlement un échec cuisant pour Quinn Martin ("Les Rues de San Francisco" venaient également de s'arrêter après 5 saisons). Aussi, jamais ce grand producteur ne retrouvera un succès comparable à celui qui était le sien au début des années 70. Ni avec "Voyage dans L'inconnu", brièvement diffusée entre février et août 1977. Ni avec la série "Sloane, Agent Spécial", tout aussi météorique, programmée de septembre à décembre 1979.
En France, c'est à partir du dimanche 23 avril 1978, à 16h15, sur TF1, que le public français a pu découvrir les premiers épisodes de "Section Contre-Enquête". Les 12 épisodes doublés seront rediffusés, toujours sur TF1, dès le 08 février 1983, chaque mardi à 14h25. La dernière diffusion française remonte au 31 octobre 1996 sur Série Club jusqu'à la fin de cette même année.
ROBERT STACK
Né en 1919, à Los Angeles, Robert Stack entama une carrière cinématographique à l'âge de vingt ans avec le film "First Love" (1939). Celui-ci le fit alors connaître au sein des studios Universal. Toutefois, le comédien en herbe était avant tout le fils d'un riche homme d'affaires, originaire de Californie. Il aura passé ses jeunes années en donnant des leçons de tir de ball-trap à des célébrités de Hollywood telles que Carole Lombard et Clark Gable.
SES PARTENAIRES
Shelly Novack
Shelly Novack, comme beaucoup de comédiens en devenir, était à l'origine un joueur de football au Collège de Santa Monica. Il joua notamment au Long Beach State à la fin des années 60. Puis, en 1965, il fut même sélectionné afin de rejoindre l'équipe de San Diego.
Après deux saisons en tant que professionnel, Shelly Novack fît la connaissance d'un producteur. Ce dernier l'invita alors à visiter les studios de télévision à Los Angeles. Tant et si bien que cette rencontre devait marquer le point de départ d'une rapide reconversion. Parmi ses nombreuses prestations en tant que vedette invitée, on peut repérer les séries "The F.B.I" et "Police Story" avant qu'il ne finisse par intégrer l'équipe de "Section contre-enquête" en 1976.
Après la série, il retrouva un autre rôle d'importance dans la série "The Hardy Boys/Nancy Drew Mysteries". Il y jouait Wally Siebert dans l'épisode "Wipe Out", diffusé le 24 avril 1977. Puis, il participe également au téléfilm "Autoroute pour la mort", réalisé en 1979 par le grand cascadeur qu'était Hal Needham (diffusion France le : 10 mai 1989 sur La Cinq). Malheureusement, le comédien souffrait d'un grave problème lié à la consommation excessive de produits stupéfiants. C'est donc la raison de sa disparition prématurée le 27 mai 1978.
Jo Ann Harris
Née le 27 mai 1949 à Los Angeles, Jo Ann Harris a participé à de nombreuses séries et autant de téléfilms au cours des années 70. On peut citer, indépendamment de "Section contre-enquête", le téléfilm "Cat Ballou" (1971). Ou bien encore la nouvelle version des "Mystères de l'Ouest" avec Robert Conrad et Ross Martin. Celle-ci fut réalisée par Burt Kennedy en 1979.
LE PRODUCTEUR : QUINN MARTIN
Quinn Martin, disparu en septembre 1987, est considéré à juste titre comme l'un des producteurs parmi les plus prolifiques de toute l'histoire de la télévision américaine. Il a commencé son itinéraire à la fin des années 1950 en tant que scénariste pour le "Jane Wyman Show" (diffusé sur CBS du 28 août 1956 au 25 juin 1957), puis, toujours avec la même fonction, sur l'anthologie "Desilu Playhouse" (diffusée sur CBS du 13 octobre 1958 au 10 juin 1960).
Il faut alors souligner, si vous souhaitez en savoir plus, que nous avons rédigé ici un large portrait de ce producteur : Quinn Martin.
FICHE TECHNIQUE
Créée par : Laurence Heath
Producteur exécutif : Quinn Martin
Produite par : John Wilder (pilote), Harold Gast (série)
Supervision de la production : Russell Stoneham
Supervision de la post-production : Ken Wilhoit, Don Hall
Chargés de la production : Howard Alston, Marty Katz
Assistant au superviseur de la production : John Conwell
Responsables de la production : Henry Kline, Ron Fury
Thème musical : Lalo Schifrin, Patrick Williams (pilote)
Musique : Lalo Schifrin, Duane Tuatro, Richard Markowitz, Robert Drasnin
Supervision de la musique : John Elizalde
Supervision des scénarios : Robert Janes, Jack Fogarty, Jimmy Sangster
Supervision du montage : Richard Brockway
Montage : Donald Hoskinson, Jerry Young
Directeurs de la photographie : Jack Swain, Ric Waite
Direction artistique : Richard Y. Haman (pilote), James Martin-Bachman, Richard Berger, Alfeo Bocchicchio
Assistants-réalisateurs : Barry Steinberg, Lloyd Allen, Bob Jeffords, Bill Derwin
Décors : Robert George Freer, Richard Spero, Joanne C. MacDougall
Coordinations des cascades : Al Wyatt, Sr
Cascades aériennes : James W. Gavin
Cascadeurs : Minor Mustain, Bill Catching, Dan Ferrone, Larry Holt, Tony Epper, Bob Hoy, Michael Masters
Une production Quinn Martin filmée aux studios Samuel Goldwyn à Hollywood (1976/1977)