Par Emmanuel Francq
C’était le samedi 24 janvier 1981 sur TF1. Plus de 40 ans déjà que le premier épisode de la saga familiale "Dallas" était diffusée sur nos chaînes françaises. Aux Etats-Unis : le 02 avril 1978 sur CBS. Lors premier festival « Séries Mania » à Lille, en mai 2018, le comédien Patrick Duffy (Bobby Ewing) nous avait accordés une longue interview dont voici, en exclusivité, la teneur.
A propos de jouer le même personnage pendant longtemps dans « Dallas » (1978/1991, 14 saisons, 356 épisodes) et « Notre Belle Famille » (Step by Step, USA, 1991/98, 7 saisons, 160 épisodes), comment faites-vous pour le garder « frais » et juste ?
Patrick DUFFY : Bobby Ewing était plus facile à jouer sur le tard qu’au tout début. La raison était qu’au début, les scénaristes ne savaient pas comment l’écrire. Pas dans le sens négatif du terme mais c’est difficile d’écrire un héros comme personnage parce que son boulot, c’est d’être héroïque. C’est plus facile d’écrire pour un personnage fou, négatif, flamboyant et tous les qualificatifs qui vont avec et mènent à J.R. C’est plus facile d’écrire une Sue Ellen en état d’ivresse, un Cliff Barnes qui devient dingue, un cowboy étrange comme Ray Krebbs. Quand vous écrivez pour Bobby Ewing, qu’est-ce qui le caractérise ? Il est bon. Il l’est parce que les autres personnages ne le sont pas autant. Pendant la 1ère saison de la série, j’ai eu beaucoup de réunions avec mon ami, le producteur Leonard Katzman, pour lui dire : « Il doit y avoir plus que ça derrière le personnage. »
Larry Hagman (J.R. Ewing) se moquait toujours en disant : « Voici le petit Bobby qui est juste dans ses deux petites chaussures. » C’est comme ça que les scénaristes l’ont écrit au début, ils accordaient plus d’importance aux autres personnages et aux détails de leurs personnalités alors que pour Bobby, c’était juste « OK, c’est bon. ». J’ai dit : « Non, non, il faut trouver quelque chose. » C’était comme ça pendant la 1ère saison. Après, c’est devenu de plus en plus facile car ils ont mieux compris le personnage et j’ai encore plus apprécié de le jouer. Pour « Notre belle famille », c’était facile à faire. J’aurais aimé incarner Frank Lambert pendant encore 20 ans parce que vous faites la série chaque semaine, vous répétez, vous faites des blagues, prenez du plaisir et avez le contact direct avec le public comme pour une pièce de théâtre d’une demi-heure. Vous saluez le public, le rideau se baisse et vous allez ensuite dîner avec votre famille. C’est le meilleur travail au monde. Dans la vie, je pense que je ressemble plus à Frank Lambert et suis comme Bobby Ewing à 60%. »
A propos du reboot de « Dallas » de 2012 à 2014 (3 saisons, 40 épisodes) :
Patrick DUFFY : Quand « Dallas » a été annulée en 1991, immédiatement après, il y avait déjà un désir chez tous de pouvoir le refaire à nouveau. Des scénarios avaient été écrits et nous avaient été envoyés à moi et mes partenaires. Ils étaient pour la plupart horribles parce que personne ne savait ce qu’il y avait dans la tête de Leonard Katzman, le producteur principal de « Dallas ». Il était le cœur et l’âme de la série et le garant du contrôle qualité. D’autres scénaristes ont essayé et n’y sont pas parvenus. Donc, on a commencé à perdre espoir que cela se refasse un jour. 25 ans plus tard, une femme nommée Cynthia Cidre a écrit le pilote du reboot. On s’est dit : « Ouais, bon, on va le lire pour la forme… ». Larry Hagman, Linda Gray (Sue Ellen) et moi l’avions reçu. Quand j’ai fini de lire la dernière page du scénario, j’ai appelé Larry et Linda et leur ai dit : « Cynthia sait qui sont ces personnages, sait l’écrire et sait pourquoi ils agissent de la façon dont ils le font. » Et donc, tous les trois, on a dit « oui » et on a décidé de faire le reboot.
Maintenant, je ne suis pas fan des reboot. J’en avais fait un car je savais quelle en était la raison et aussi pourquoi les personnages étaient ressuscités. 25 ans plus tard, Bobby Ewing avait vieilli. Quand on a fait le reboot, je fêtais le 65ème anniversaire de Bobby Ewing. Donc, je n’essayais pas d’être quelque chose que le personnage n’était pas. Je pense que la plupart des reboot sont faits car c’est facile et porteur d’une publicité inhérente à la popularité de la série. Ils n’ont pas à travailler dur, ils se reposent sur le succès passé et font quelque chose du passé à l’heure actuelle et c’est souvent horrible. J’ai regardé la série basée sur les films « L’arme fatale » qui n’est pas vraiment un reboot mais j’ai aimé car ils n’essayent pas de refaire ce qui a déjà été fait dans les films. Je suis sûr qu’il y aura encore d’autres reboot, de « Cheers » ou d’autres, mais très peu répondront à la question : « Pourquoi ? »
Et la deuxième raison pour laquelle je n’aime pas les reboot, c’est parce que si on le fait, il y a toujours cette étroite ligne entre faire ça et faire plus d’heures de télévision « reality shows ». Je trouve que cela atrophie le vivier de talents dans notre industrie du spectacle. Il y a des gens qui ont de super nouvelles idées, de super concepts pour de nouvelles séries télévisées. Mais les fenêtres se ferment car il y en a d’autres qui se disent : « Oh, on va refaire « Cheers » ou « Roseanne » ! Ou « Notre belle famille » ». Bien sûr que j’aimerais retrouver mes partenaires qui étaient tous mes amis mais je ne peux pas croire à un mensonge qui ait du sens. OK, on va gagner beaucoup d’argent pendant au moins deux années puis jouer avec nos fans mais pourquoi au final ? Je ne peux pas mentir et je préfère voir émerger de nouveaux talents plutôt que de revoir nous, vieilles badernes, à nouveau au boulot.
A propos d’Irving J. Moore, réalisateur de 52 épisodes de « DALLAS » (mais aussi 59 épisodes de « Dynastie » et 26 épisodes des « Mystères de l'Ouest » considéré à l’époque comme étant parmi les 5 meilleurs réalisateurs de séries de la télévision, selon John Forsythe (Blake Carrington dans « Dynastie ») :
Patrick DUFFY : Irving était quelqu’un de très drôle durant les tournages, on n’arrêtait pas de rigoler mais c’était surtout un grand professionnel qui savait ce qu’il faisait et le faisait très bien. Quand il travaillait pour Lorimar qui produisait « Dallas », il n’aimait pas devoir se garer loin du studio où on tournait. Un jour, il leur a demandé s’il pouvait avoir une place de parking à côté du studio et Lorimar a dit non. Irving leur a répondu : « Okay, bye bye. » Et il est parti chez la concurrence en travaillant pour Aaron Spelling pour qui il a réalisé encore plus d’épisodes de « Dynastie » que « Dallas », disposant de son savoir-faire acquis chez nous. C’était vraiment un homme très généreux et on a tous été tristes à l’annonce de son décès en 1993, à l’âge de 74 ans. On a été à son enterrement et en hommage à sa mémoire, on a rappelé tous les bons moments qu’on avait passé ensemble. Cela lui aurait plu.
A propos du lien spécial d’amour qui existe entre Patrick Duffy et le public français avec les trois séries « L’Homme de l’Atlandide », « Dallas » et « Notre Belle Famille » :
Patrick DUFFY : Le lien dont vous parlé concerne surtout ces trois séries. Pour moi, c’est inexplicable. D’abord, « L’Homme de l’Atlantide » était très différent de la plupart des séries de l’époque. Ils ont eu la même réaction en Angleterre avec ce super-héros qui ne portait pas de cape mais était sous l’eau. C’est ce qui le rendait unique et les gens dans d’autres pays ont aimé ce côté unique de la série. « Dallas », je ne comprends absolument pas pourquoi elle est devenue aussi populaire.
L’aspect « anglo » de l’histoire peut se comprendre au Royaume-Uni, ici et même dans les pays scandinaves mais en Indonésie, en Chine, aux Philippines ? La transposition dans des langues que je ne peux même pas m’imaginer, comment ont-ils traduit notre histoire dans leur culture ? Et le succès était absolument phénoménal dans ces pays. Je ne le comprends pas et personne d’autre d’ailleurs. Car je pense qu’aucune autre série télé a atteint ce tel pinacle de popularité. Elle est apparue au bon moment sur les écrans, avec les bons acteurs, les bons scénaristes, les bons producteurs. A la fin, nous étions tous, nous acteurs, un groupe de gens heureux. Peu importe le contenu de la série mais l’interaction entre les personnages sur un écran et leur vie privée touche le public. Vous pouvez être un très bon acteur mais une personne horrible et vous pourriez faire une bonne performance comme acteur à laquelle le public n’accroche pas. Nous étions le groupe d’acteurs le plus heureux, ces 14 années ont été les meilleures de nos vies. Et c’est pour ça que les gens nous aimaient. Je pense aussi qu’une partie du succès de « Dallas » dans tous les pays vient du fait que c’était, de manière sous-jacente, un western avec des cowboys du Texas même si ça parlait du monde des affaires et du pétrole. Cela a beaucoup aidé la série à gagner en popularité.
Ici, je peux le dire honnêtement car je ne le fais pas quand je suis dans d’autres pays qui me posent la question : il y a quelque chose en France qui a toujours été important pour moi car ma femme était danseuse (NDLR : Patrick Duffy a perdu sa femme, Carlyn Rosser (78 ans), le 23 janvier 2017, après 43 ans de mariage.) Elle dansait dans un ballet qui se joue traditionnellement en français et elle partait en tournée à travers le monde. C’était le pays qu’elle aimait le plus quand elle était en tournée. Si on avait dû quitter les USA, on serait certainement venus vivre en France pour le restant de notre vie. C’est quelque chose qui fait que votre pays m’est familier alors que je ne parle pas un mot de français ! Ma femme parlait bien le français et quand on venait ici, je lui disais en aparté : « je dois apprendre » (rires) !
OÙ REVOIR LES SERIES DE PATRICK DUFFY ?
· « Dallas » existe en DVD en français (saisons 1 à 7 sur 14) chez Warner Bros.
· « L’Homme de l’Atlantide » (intégrale ou achat à l’unité avec d’abord les 4 téléfilms puis la série : 1 seule saison) existe en DVD en français chez LCJ Editions.
· « Notre Belle Famille » : inédit en français mais existe en zone 1 (USA : « Step By Step »).
Relisez ou découvrez la rencontre du public avec Patrick Duffy.
+ BONUS (hors « DALLAS ») :
A propos de Victor BUONO alias le méchant Monsieur Schubert dans « L’Homme de l’Atlantide » et la forme de camaraderie qui existait entre les deux personnages à l’écran :
Patrick DUFFY : Victor Buono était quelqu’un de très cultivé, éloquent, au répertoire shakespearien, on pourrait presque dire de la Renaissance. Il était déjà connu pour avoir joué dans les films « Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? » (1962) et « Chut… Chut, chère Charlotte » (1964) (NDLR : tous deux réalisés par Robert Aldrich, metteur en scène de « Vera Cruz » et des « Douze salopards »). Il plaisantait sans cesse sur le tournage et je l’aimais bien. Par contre, il s’est passé quelque chose d’étrange quand j’ai commencé ma carrière avec cette série. Les producteurs cherchaient un bon acteur pour jouer le méchant principal et qui ont-ils engagé ? Victor Buono ! Il a été le camarade de classe de ma femme Carlyn au lycée. Et c’était ensuite comme ça avec d’autres personnes rencontrées sur d’autres projets, comme si tous nos liens étaient interconnectés. Cela m’a suivi durant toute ma carrière. Le seul souci avec Victor, c’est que nous étions inquiets pour sa santé. (NDLR : le comédien souffrait d’obésité et est décédé le 1er janvier 1982 d’une crise cardiaque, à seulement 43 ans. On se souvient aussi de lui en méchant « King Tut » dans la série « Batman » de 1966).
A propos d’Aaron Spelling, producteur de « Drôles de dames », « Hôtel », « La croisière s’amuse » entre autres, séries dans lesquelles Patrick Duffy a joué le temps de quelques épisodes :
Patrick DUFFY : Aaron a toujours été gentil avec moi. Il me sollicitait souvent pour travailler pour lui et m’a proposé « Texas », un téléfilm western sur les Texas Rangers avec Stacy Keach, d’après le roman de James A. Michener (NDLR : auteur très populaire aux USA dont on a vu en France la minisérie « Colorado » de 1979 avec Robert Conrad, Raymond Burr, David Janssen, Gregory Harrison). Je me souviens que pendant le tournage au Texas en 1993, j’étais dans une chambre de la taille d’une table et le téléphone sonna. Qui était au bout du fil ? Pas une secrétaire, pas un assistant, non, c’était Aaron Spelling qui m’a dit : « Je téléphonais juste pour savoir si tout va bien, si tu es bien installé car je suis content de t’avoir dans ce téléfilm. »
Et moi : « Tout va bien, merci. »
Puis Aaron : « Si tu as besoin de quelque chose, fais-le moi savoir. »
Ils ne font plus ça aujourd’hui et même à l’époque, les autres producteurs n’étaient pas comme ça. Il était comme ça avec les acteurs, avec sa famille et si « Dallas » avait été annulée et qu’il m’aurait demandé de jouer dans une série, j’aurais accepté sans savoir ce qu’était l’histoire. Il ne me l’aurait pas demandé si je ne convenais pas pour le rôle. Aaron Spelling était ce genre de personne. Jouer dans « Hôtel » était sympa et je me suis retrouvé au lit avec deux « drôles de dames », qui peut se vanter de ça ?! Qui a fait ça dans la même série ? Et la seule chose à faire, c’était de me tuer à la fin car ils ne savaient pas comment résoudre ce problème. (rires) »
A propos de son engagement sur la sitcom « Notre Belle Famille » qui a suivi « Dallas » :
Patrick DUFFY : Peu avant de commencer « Notre belle famille », les producteurs de cette série se disaient à mon sujet : « Ce type n’est pas marrant. » Pendant le tournage de « Dallas », on avait tourné des scènes ratées, des « gag reels » où on n’arrêtait pas de rire avec Larry Hagman (J.R.). Finalement, les producteurs les ont vu en se disant « Et mais il est drôle ! ». Donc, ils ont commencé à développer une série ayant pour cadre une équipe de pompiers dans une caserne, traitée sur le ton de la comédie, un peu comme la série comique « TAXI » avec Judd Hirsch où j’allais jouer un rôle similaire. En fait, « Dallas », c’était une comédie. Je veux dire que quand les caméras tournaient, c’était censé être sérieux mais en dehors de ça, on n’arrêtait pas de s’amuser avec Larry Hagman. On a eu les meilleurs moments de notre carrière ensemble quand on tournait cette série. Quand j’ai fini de tourner « Dallas », les producteurs de « Notre belle famille » sont immédiatement venus m’engager et ensuite, je n’avais plus qu’à prouver au reste du monde que j’étais drôle.