Par Magali Devine et Jean-Louis Bergami
Lorsque la police d'un pays est confrontée à un crime commis dans des circonstances exceptionnelles, ou à une affaire totalement insoluble, le dossier finit tôt ou tard par atterrir sur le bureau de Curtis Seretse. Celui-ci le transmet alors au Département S d'Interpol. Telle est l'idée originale qui a germé dans l'esprit de Monty Berman et Dennis Spooner. De toute évidence, un concept qui aura permis à cette série (une des meilleures des sixties) de voir le jour.
PRESENTATION
L'année précédente, 1968, ces mêmes producteurs avaient créé "Les champions". En l'espèce, un programme mettant en scène une équipe de deux hommes et une femme. L'idée avait plu au public. Toutefois, ces trois héros étaient trop identiques. Quant à leurs personnalités, elles étaient trop exemptes de défauts pour qu'il puisse vraiment s'identifier à eux. En effet, ils étaient tous trois revenus de leur étrange aventure dans l'Himalaya avec la force physique et l'intelligence de surhommes. Confrontés à un problème, ils tenaient le même raisonnement au point d'en être presque interchangeables. De plus ils travaillaient pour Nemesis. Or, celle-ci apparaissait telle une organisation un peu nébuleuse basée à Genève. En somme, une agence dont on avait du mal à comprendre les rapports avec les gouvernements du monde entier.
En le rattachant à Interpol, et en en faisant une sorte de bureau des affaires non classées une vingtaine d'années avant "X-Files", Monty Berman et Dennis Spooner placent le Département S dans un contexte beaucoup plus réaliste. De surcroît, pour ce qui est du trio de départ, leurs membres possèdent des personnalités suffisamment différentes pour être crédibles :
Stewart Sullivan (Joel Fabiani - voix française Vincent Davy)
C'est le chef du groupe. Sérieux, incorruptible, il est l'archétype du flic des séries policières des sixties. Mais c'est aussi un homme d'action. Aussi, n'hésite-t-il pas à se servir de ses poings ou de son arme lorsque c'est nécessaire.
Annabelle Hurst (Rosemary Nicols - voix française : Perrette Pradier)
Annabelle est une brillante informaticienne. Basée à Paris, une de ses principales fonctions consiste à programmer Tantine, l'ordinateur d'Interpol, pour fournir à ses collègues des listes de suspects et des hypothèses concernant les affaires traitées par le Département S. Elle ne recule devant aucune tâche, même lorsqu'il s'agit de vider une poubelle pour rechercher des indices ou de servir d'appât pour attraper un criminel.
Jason King (Peter Wyngarde - voix française : Jacques Berthier)
Jason est un dandy à la mode des années soixante. Son activité principale est l'écriture de romans policiers. Aussi, son travail pour Interpol relève-t-il plutôt des loisirs. Les aventures de son personnage, Mark Caine, sont souvent basées sur les affaires résolues par le Département S. Ce sont des best-sellers dont il tire les revenus substantiels qui lui permettent de mener le train de vie fastueux qu'il affectionne tant. Il se déplace en Bentley, boit, fume et drague tout ce qui bouge. Contrairement à ses collègues qui raisonnent à partir de preuves et de faits tangibles, il possède une fâcheuse tendance à bâtir des hypothèses en se basant uniquement sur son imagination féconde. Ce trait de caractère a le don d'exaspérer Annabelle et Sullivan, surtout lorsqu'il s'avère qu'ils se sont trompés et que l'hypothèse de Jason, si farfelue soit-elle, est exacte !
LA PRODUCTION
Produite par Monty Berman et Dennis Spooner, ITC Production, la série s'inspira de "Chapeau melon et bottes de cuir" mais avec un traitement plus réaliste de ses aventures. En effet, parmi les scénaristes, nous retrouvons Brian Clemens, très connu pour avoir été le scénariste et producteur de "Chapeau melon et bottes de cuir" et Ralph Smart, le scénariste de "Destination Danger".
Le personnage de Jason King, superbement interprété par Peter Wyngarde, rencontra un tel succès que les producteurs décidèrent, en 1971, de créer une nouvelle série intitulée tout simplement "Jason King". Malheureusement elle ne connaîtra qu'une seule saison. La première diffusion en France eu lieu à partir du 2 janvier 1971 sur la 2ème chaîne de l'ORTF. Puis, rediffusion sur M6 en 1990. Enfin, sur Série Club.
POURQUOI FAUT-IL VOIR ET/OU REVOIR DEPARTEMENT S ?
Nous reprenons ici très largement, et avec son grand soutien, les propos de Jean-Louis Bergami, un des rares internautes français qui se soit exprimé au sujet de "Département S" dans les années 2000.
Souvenir d'enfance
J'ai découvert quelques épisodes de "Département S" au milieu des années 70. A cette époque, des feuilletons anglais étaient diffusés l'après-midi sur la 2ème chaîne de l'ORTF après Aujourd'hui Madame, vers 15h15. Durant les vacances scolaires, ou bien les jours où je n'avais pas cours, je ne les aurais ratés pour rien au monde. En fait, je n'ai vu que trois épisodes de la série, en noir et blanc évidemment : "Le village désert", "Le dernier train pour Redbridge" et "Une arme qui peut détruire le monde". Je me souviens aussi d'avoir lu le résumé de "L'homme de nulle part" au hasard de la consultation d'un Télé 7 Jours. Malheureusement, je n'ai pas pu le regarder car j'avais cours. Fatalitas ! Je crois même avoir envisagé de sécher le cours en question. Cependant, je me suis dégonflé au dernier moment.
Bien des années plus tard, je crois que c'était au début des années 90, la série "Département S" a été rediffusée le samedi en début d'après-midi sur M6. Aussi, ai-pu en enregistrer quasiment tous les épisodes. En fait, il ne me manquait que "Mort dans un hangar." Il faut admettre que la qualité de ces enregistrements n'avait rien à voir avec celle des DVD de l'intégrale. De surcroît, ils contenaient presque autant de publicités que de feuilletons.
Mais au fait, pourquoi "Département S" est-il un feuilleton-culte, j'ose le terme ! Une série qu'on continue à apprécier même lorsqu'on en connaît tous les épisodes ? A la réflexion, je vois au moins trois raisons :
Un monde à part
Tout d'abord, comme "Chapeau melon et bottes de cuir", "Le prisonnier" et "Amicalement vôtre", la série "Département S" a été créée au cours des années 60. En résumé, pendant l'âge d'or des séries télé anglaises ! On y dépeint un monde de cocagne. Un univers dans lequel le téléspectateur n'a pas assez de ses deux yeux pour apprécier, non seulement l'action, mais aussi la beauté des paysages, des automobiles et des actrices. Imaginez un monde qui serait, à l'exception de quelques grandes villes, couvert de champs, de bois et de petits villages. Concevez un univers dans lequel on ne croiserait sur les routes que des Rolls, Bentley, Jaguar, Lotus et autres MG. Un monde dans lequel la moindre fille qui passerait dans la rue serait belle au point de donner envie à Miss monde de changer de métier. Tel est Voilà le royaume imaginaire dans lequel se déroulent ces épisodes.
Des intrigues solides
Ensuite, la majorité des épisodes est à la fois originale et bien construite. Toutefois, on constate parfois une certaine redondance au niveau des thèmes développés par les scénaristes (les décors de théâtre, les avions, les mannequins de cire). Un constat similaire peut être établi en ce qui concerne les accessoires (la Lotus Elan rouge qu'on voit dans plusieurs épisodes, le papier peint à fleurs grises sur fond rouge dont il restait probablement des tas de rouleaux inutilisés à la fin du tournage des Champions...). Plus quelques problèmes de continuité (la production n'avait certainement pas les moyens de faire exploser une Rolls et brûler une Mercedes, et ça se voit...). Mais rien de rédhibitoire.
Qui dirige l'équipe ?
Un afro-anglais si j'ose ce néologisme ! Bien avant "Starsky et Hutch" dans les années 70, à la même époque que "Les espions" (avec Bill Cosby) et "Star Trek" (avec le lieutenant Uhura), la profonde originalité de la série "Département S" réside-t-elle, selon moi, dans le fait que le trio d'investigateurs soit dirigé par un comédien afro-britannique. En l'occurrence, Dennis Alaba Peters, né en 1927 en Gambie et décédé en 1996.
Voilà pourquoi, bien des années avant que Bernie Hamilton n'impose sa figure de responsable policier, grande gueule mais grand coeur également, mettre en vedette un noir dirigeant des blancs représentait, dans l'Angleterre des années 60, un pari plutôt osé. Dennis Alaba Peters aura de fait apporté, par son allure sophistiquée, un atout considérable dans le succès de "Département S".
Un détail mérite alors d'être mentionné qui agit tel un révélateur. En l'espèce, la place prise par le comédien dans la plaquette publicitaire présentant la série. Peters y bénéficie d'une égale exposition que ses trois partenaires. Si on ajoute un égal traitement de salaire, on mesure mieux alors la portée de la présence de Dennis Alaba Peters dans la distribution artistique de la série.
Le cas Jason King
Enfin, la série "Département S" a été littéralement construite autour du personnage de Jason King. Peter Wyngarde s'en donne à cœur-joie remettant au goût du jour des accessoires vestimentaires datant de l'époque victorienne (montre de gousset, canne), utilisant sa propre Bentley et allant même jusqu'à dessiner lui-même ses costumes. La classe ! Car Jason King est Peter Wyngarde et réciproquement.
Ces quelques anecdotes vous donneront, mieux qu'un long discours, une première image de ce personnage hors du commun : dans "La double mort de Charlie Crippen", Jason se rend chez un concessionnaire Rolls-Royce afin de l'interroger sur sa clientèle. Il s'accoude nonchalamment à l'aile d'une limousine, ce qui bien sûr déplaît au vendeur qui ne manque pas de le lui faire remarquer : - "Attention à votre manche !" - Et Jason de se relever et de brosser sa manche pour faire comprendre au vendeur que la voiture est plus sale que sa veste...
Dans "La soupe du jour", Jason enquête à Lisbonne sur une entreprise qui exporte de la soupe de poisson. L'entretien avec le directeur de la compagnie est assez chaud : - "En fait je trouve Mark Caine, pour être franc avec vous, de très mauvais goût." - " Ah ! Mais comme c'est curieux : c'est exactement mon opinion sur votre soupe..." Le personnage de Jason King aura tant de succès qu'il aura droit en 1971 à sa propre série, appelée tout simplement Jason king, ainsi qu'à une BD publiée dans les années 80.
COMMENT VOIR DEPARTEMENT S ?
L'intégrale de "Département S" est constituée de 7 volumes. La qualité de la remasterisation des images et du son est excellente. On retrouve les mêmes versions que dans les autres rééditions de feuilletons anglais des sixties distribuées par TF1 vidéo (version française, version originale sous-titrée, mais hélas toujours pas de version originale sans sous-titres). En clair, cela signifie que les fans anglo-saxons qui se procureront cette intégrale auront en permanence des sous-titres français sous les yeux. Dommage !
A PROPOS DES PRODUCTEURS
Dennis Spooner
Dennis Spooner est un scénariste britannique. Il est principalement connu dans les années 1960 pour ses scénarios pour des séries d’espionnages ou des programmes pour enfants. Il fut l’un des scénaristes les plus prolifiques pour ITC Entertainment. Dennis Spooner a aussi créé les séries "L’homme à la valise", "Les champions", "Département S", "Mon ami le fantôme" et "Jason King".
Monty Berman
Monty Berman est un producteur, réalisateur et directeur de la photographie britannique. Il est né le 16 août 1913 et décédé le 14 juin 2006. Monty Berman fut un des nombreux et précieux collaborateurs de Sir Lew Grade et sa société ITC. Parmi les séries qu’il a produites, on retiendra "Le Saint", "Alias le Baron", "Les champions", "Département S", "Jason King", "Mon ami le fantôme" et "L’aventurier".
FICHE TECHNIQUE
Créée par : Monty Berman, Dennis Spooner
Producteur : Monty Berman
Consultant aux scénarii : Dennis Spooner
Consultant à la production : Cyril Frankel
Supervision de la production : Ronald Liles
Supervision de la post-production : Philip Aizlewood
Directeurs de la photographie : Frank Watts, Brian Elvin
Directeurs artistiques : Charles Bishop, John Graysmark, Cedric Drawe, Robert Jones
Musique : Edwin Astley
Montage : Philip Barnikel, Derek Chambers, Rod Nelson-Keys, Lee Doig
Réalisateurs de 2ème équipe : Jack Lowin, Cyril Gray
Cameraman de 2ème équipe : Gerald Moss
Opérateurs caméra : Tony White, Harry Gillam, Peter Murray, Val Stewart
Opérateurs caméra 2ème équipe : Gerald Moss, Brian Elvin, Stephen Dade
Casting : Judith Lourd, Anthony Arnell
Maquillage : Gerry Fletcher
Coiffures : Mike Jones
Supervision des costumes : Laura Nightingale
Assistants-réalisateurs : Ken Baker, Gino Marotta, Denny Lewis, Colin Lord, Michael Meighan
2ème assistant-réalisateur : Mike Higgins
Enregistrement du son : Dave Bowen, Len Abbott, Len Shilton, Bill Rowe
Montage du son : Roy Lafbery, Rydal Love, Peter Lennard, Russ Hill
Effets sonores : Cinesound
Montage de la musique : Deveril Goodman, Alan Willis
Coordination des cascades : Frank Maher
Cascadeurs : Nosher Powell, Larry Taylor, Romo Gorrara, Terry Yorke
Continuité : Elizabeth Wilcox, Janice Byles, Marjory Lavelly
Achats pour la production : Sid Palmer
Générique : Chambers+Partners
Production : ITC Television (1969/1970)