Par Thierry Le Peut
A peine huit mois après la mise à la retraite de Steve McGarrett, la relève pointe déjà le bout de son nez avec Magnum. Et quelle relève ! Magnum est aujourd'hui intégrée au patrimoine télévisuel et encore encensée par la critique française qui voit en elle l'une des séries les plus abouties des années 80, alors qu'Hawaii Five-0 jouit d'une presse mitigée même encore aujourd'hui et c'est injuste. Aux Etats-Unis, certains épisodes de la série sont même utilisés dans les universités pour illustrer des cours sur la guerre du Viêtnam. Qui plus est, les moustaches de Tom Selleck sont aussi célèbres que la Ferrari de Robin Masters ou les "Par Saint-George ! " d'Higgins.
Retour sur un must de la fiction télé (proposé par notre confrère du magazine Arrêt sur Séries) qui aura connu une nouvelle jeunesse en Blu-ray grâce aux éditions proposées par Elephant Films depuis 2018. Il est à noter que l'intégrale est sortie en Bluray le 25 Août 2020.
Indissociable aujourd'hui du thème musical composé par le tandem Mike Post - Pete Carpenter, Magnum a pourtant commencé sa carrière cathodique sans lui. Au départ, en effet, la musique de la série était signée Iain Freebrain Smith et d'influence beaucoup plus jazzy que rock, tant le privé avait du mal à s'affranchir d'un lourd passif, hérité des décennies antérieures. Le blues du privé, immortalisé par le Staccato que campait à la fin des années cinquante l'acteur John Cassavetes, trouvera encore dans la décennie 80 une déclinaison majeure avec le Mike Hammer incarné par Stacy Keach, sur un thème musical d'Earle Hagen.
Mais déjà les moustaches de Tom Selleck ont apporté un sang neuf à l'image du privé télé, débarrassé de l'écrasant héritage et poussé vers des horizons plus modernes. Au bout de quelques épisodes, le thème musical est changé et messieurs Post et Carpenter engagés par la production pour mettre en musique la totalité de la série. Plus rythmé, plus dynamique, bref plus moderne, le nouveau thème entraîne le héros vers une gloire qui mettra un an à s'imposer.
LES DEBUTS
C'est lors de sa deuxième saison que le programme réalise les scores d'audience qui feront son succès. Il faut dire que la première a débuté à mi-saison, en décembre 1980, par un téléfilm qui annonçait pourtant déjà les qualités de la série. D'abord imaginé par Glen A. Larson, le producteur de Switch, MacCloud avec Dennis Weaver et Galactica, le personnage de Thomas Magnum fut ensuite remodelé par Donald P. Bellisario, qui abandonna l'image trop stéréotypée conçue par son prédécesseur pour doter son héros d'un passé guerrier problématique et d'une personnalité plus détendue, accessible aux faiblesses humaines. En fait, Bellisario réalisa un croisement du concept dessiné par Larson et de sa propre idée de série encore invendue, H.H. Flynn. Il flanqua le héros de deux acolytes, comme lui anciens du Viêtnam, et en fit le chef de la sécurité d'un écrivain richissime en voyage perpétuel, de sorte qu'on ne verrait jamais ce patron énigmatique, à l'instar du Charlie des Drôles de Dames et de Mme Columbo.
Ainsi redéfini, le personnage eut l'heur de plaire à Tom Selleck, alors sous contrat avec les studios Universal et d'ores et déjà investi du rôle. Acteur encore peu connu, Selleck avait tourné plusieurs pilotes pour les studios, dont un avec James Whitmore Jr (ex-Gutterman des Têtes Brûlées et futur Terwilliger de Rick Hunter, au demeurant fils du comédien James Whitmore et bientôt réalisateur de séries telles que Code Quantum et Raven). Ce téléfilm, Gypsy Warriors, bénéficiait de la collaboration de Stephen J. Cannell, alors jeune producteur déjà responsable de séries telles que Baretta et Les Têtes Brûlées, et de Donald Bellisario, qui avait été l'un des maîtres d'oeuvre de la seconde saison de cette dernière série.
Conçu pour devenir une série, The Gypsy Warriors se déroulait durant la Seconde guerre mondiale mais ne dépassé pas le stade du pilote. Comme l'a confié le producteur au magazine Génération Séries, Tom Selleck se souvint cependant du travail de Bellisario sur ce téléfilm et c'est lui qui suggéra de lui confier l'idée de la nouvelle série afin d'en redéfinir le concept. Une fois la nouvelle mouture du scénario acceptée par l'acteur et par le studio, le tournage put commencer. Bellisario a confié qu'il avait écrit l'histoire sans avoir jamais mis les pieds à Hawai, en s'aidant simplement de guides touristiques. Le fait est que l'intérêt du pilote, bien que rehaussé par le tournage dans l'archipel, est déjà dans la nature du scénario et dans l'attention aux personnages.
Thomas Magnum présente déjà les caractères qui définiront le personnage durant les huit saisons de son existence et ses comparses, quoique peu développés encore à l'exception d'Higgins, sont déjà solidement campés. Seul le personnage de Rick, conçu au départ comme une copie du Bogart de Casablanca (le nom y compris, ainsi que le Rick's Café Américain dont il est propriétaire, comme Bogart dans le film de Michael Curtiz), sera redéfini pour la série régulière, perdant son caractère caricatural pour devenir le gérant du King Kamehameha Club, en bord de mer (ainsi baptisé du nom d'un ancien roi d'Hawai). Il conservera cependant jusqu'à la fin l'influence bogartienne, qu'il reprendra à l'occasion dans des épisodes comme "Tout au dernier vivant" ou "La Roue de la fortune".
Le comédien choisi par Bellisario pour prêter ses traits à Rick fut Larry Manetti, un ancien des Têtes Brûlées (de même que Jeff MacKay, qui apparaît dès le pilote dans un petit rôle et deviendra le lieutenant Mac Reynolds à partir du huitième épisode, et W.K. Stratton, qui incarne l'enseigne Healy dans le pilote), peu suspect d'être un grand acteur shakespearien mais qui s'avéra parfait pour le rôle. Roger E. Mosley, entrevu dans un épisode de Starsky et Hutch et d'autres séries, sera T.C., le pilote d'hélicoptère, indispensable élément coloré d'une équipe "multinationale" à sa manière puisque Rick est d'origine italienne (comme Manetti) et Higgins britannique. Ainsi complété, le "team" de Magnum resterait inchangé jusqu'à la fin de la série et les comédiens, dit-on, devinrent de vrais amis (au point que Selleck et Manetti ont ouvert ensemble un restaurant à Hawai, baptisé The Black Orchid comme l'un des épisodes de la première saison).
Comme pour Hawaï Police d'Etat, la délocalisation des tournages fut d'abord un problème. Certes, la production bénéficiait cette fois de l'infrastructure d'Universal, mais il fallait encore assurer le transport régulier des acteurs invités et d'une partie de l'équipe de tournage, les réalisateurs en premier lieu. L'abondance des tournages en extérieurs fut une difficulté supplémentaire, accrue par les prises de vues aériennes qui nécessitaient une préparation minutieuse. La première année fut marquée par un événement qui alimenta les chroniques des journaux et heurta profondément toute l'équipe : lors du tournage d'une scène aérienne de l'épisode "Dans la peau", une vague emporta le caméraman Robert VanDerKar, qui mourut sur le coup, et provoqua le crash d'un hélicoptère au cours duquel fut tué le cascadeur Beau Vanden Ecker. L'accident aurait pu compromettre l'avenir de la série, mais heureusement il n'en fut rien. Chacun cependant garda à l'esprit le danger de ces prises de vues, comme le rapporte Larry Manetti dans son livre Aloha Magnum (Renaissance Books, 1999).
Si la série éprouva au départ quelques difficultés à s'imposer dans les sondages, elle reçut cependant un accueil encourageant. Classée seizième lors de sa première saison, puis dix-huitième l'année suivante, elle atteint la troisième place en 1982-1983, à égalité avec MASH qui en est alors à sa onzième et dernière saison. Tom Selleck est élu "l'homme le plus sexy de l'Amérique", ce qui aide la série à gagner un nouveau public. La qualité des scénarii, perceptible dès la première saison, fera le reste, ainsi qu'une réalisation impeccable et de grands numéros d'acteurs. En 1984, Selleck reçoit un Emmy Award du meilleur premier rôle dans une série dramatique, suivi en 1987 d'un autre Emmy pour John Hillerman, cette fois en qualité de meilleur second rôle.
Classée sixième en 1983-1984, la série redescend en quinzième position l'année suivante et ne retrouvera plus son audience de la grande époque, mais elle a fidélisé un public et saura conserver jusqu'au bout ses qualités. La septième saison s'achève, chose exceptionnelle pour une série télé, par la mort du héros, élevé au rang d'ange-gardien, mais Selleck accepte in extremis de reprendre le rôle une année de plus et le personnage revient d'entre les morts dans l'épisode "Coma". Le temps de quelques épisodes, Thomas Magnum est flanqué d'un ange-gardien insolite qui souligne une parenté évidente avec la nouvelle série sur laquelle Bellisario travaille déjà depuis quelques années, Code Quantum. Bien qu'écourtée, la dernière saison compte encore d'excellents épisodes et se termine par un téléfilm de conclusion qui apporte un point final à l'aventure. Non sans laisser la porte ouverte à une suite...
DES PERSONNAGES CONVAINCANTS
L'une des qualités de la série Magnum est d'avoir su développer ses personnages tout en s'accommodant très bien du format série. La personnalité de Tom Selleck a beaucoup fait pour son personnage, mais également les qualités d'acteur de John Hillerman, qui confère à Higgins une épaisseur probablement insoupçonnée au départ.
Avec ces deux protagonistes, Bellisario a su exprimer ses propres idées sur l'identité masculine et l'importance de la paternité. Magnum comme Higgins ont un rapport problématique à leur père : le premier parce qu'il l'a perdu alors qu'il n'était encore qu'un enfant (voir "Record battu"), le second parce qu'il a souffert de la dureté d'un père avec lequel il est resté brouillé (voir "Déjà vu"). Les thèmes du dépassement de soi, de l'héritage, de la réconciliation, très présents dans la série, sont tous liés à l'image du père, qui occupe aussi une place majeure dans les autres programmes de Bellisario, des Têtes Brûlées à JAG.
Rick et T.C., qui au départ étaient surtout des faire-valoir du héros (les bras et la tête, comme aime à le répéter Rick), ont aussi droit à leurs épisodes. Dotés chacun d'un passé et d'une personnalité propres, ils parviennent bientôt à acquérir une présence autonome dans la série. Orphelin, élevé par une sorte de parrain plus ou moins rangé, Icepick (qui sera appelé successivement Pic à Glace, As de Pique, La Pioche, Spicking et enfin Icepick dans la v.f. ! ), Rick a aussi une sensibilité à fleur de peau qui n'apparaît pas au premier abord mais se révèle dans des épisodes comme "Petite soeur" ou "Tous pour un". T.C., lui, est surtout un pilote hors pair qui, dans les dernières années du show, sera pourvu d'un background familial avec l'introduction de son ex-femme et de ses deux enfants. A son tour, il deviendra donc un père, comme Magnum avec la petite Lily, sa fille née de ses retrouvailles avec Michelle, l'amour de sa vie, dans "Souvenirs ineffaçables", et Higgins, qui d'une certaine manière est une référence paternelle pour Magnum. L'attention portée aux personnages ne s'arrête pas aux vedettes de la série.
Les rôles épisodiques sont également étoffés, dans la tradition des séries familiales plus que des habituelles séries policières. Les plus marquants d'entre eux ont leurs propres démons, leurs motivations secrètes, liées souvent à leur famille ou à des difficultés personnelles bien éloignées des ressorts criminels. Dans "Mad Buck Gibson", Magnum passe au second plan derrière un homme qui refuse de vieillir et veut vivre ses rêves jusqu'au dernier souffle. Dans "Professeur Jonathan", une parodie du film My Fair Lady, Higgins s'emploie à faire d'une fille des rues une lady respectable. Dans "Les ultimes honneurs", une femme essaie de réhabiliter la mémoire de son père, mort lors de l'attaque japonaise sur Pearl Harbor, en 1941.
On le voit, les rapports humains ont une place essentielle dans la série, qui s'efforce de peindre une galerie de personnages attachants, sans accorder le primat à la trame policière comme le faisait Hawaii Five-0. Cette particularité de Magnum explose à travers la création d'une vraie petite famille de personnages récurrents, tour à tour insolites et émouvants. Du privé "old-fashioned" Luther H. Gillis, héritier de la tradition du hard-boiled dick illustrée par les pulps de la grande époque du "noir américain", à la sympathique Agatha qui aime en secret Higgins et joue un rôle majeur dans l'épisode "Prémonitions", du policier Tanaka à la dégaine inimitable au tough guy Katsumoto entrevu dans deux épisodes, de l'insupportable Susan Johnson apparue dans "Rembrandt fait du camping" et rappelée pour "Les enfants terribles" à l'assistante du procureur Carol Baldwin, ces visages familiers composent une galerie singulièrement étoffée dans laquelle on retrouve aussi les lieutenants Mac Reynolds et Maggie Poole ou le docteur Ibold.
Parfois anciens comédiens de Hawaï Police d'Etat, comme Kwan Hi Lim (Tanaka) et Glenn Cannon (Ibold), ou transfuges d'autres séries de Bellisario à l'instar de Jean Bruce Scott (Maggie Poole, Caitlin dans Supercopter) et Jeff MacKay (Mac, vu dans Les Têtes Brûlées, Galactica et Jake Cutter), tous contribuent à créer une véritable famille autour de la série, ajoutant un "plus" pour le public fidèle. Cette richesse des personnages doit beaucoup aussi à la collaboration de scénaristes qui deviendront indispensables à Magnum. Reuben Leder, qui retrouvera plus tard John Hillerman et Jeff MacKay pour Berlin anti-gang, est notamment le "papa" de Tanaka, de Luther Gillis et de Katsumoto.
Avec Chris Abbott (qui collabora à La Petite Maison dans la Prairie et travaillera plus tard sur Dr Quinn, femme médecin, deux programmes familiaux s'il en est) ou Jay Huguely, qui compteront parmi les chevilles ouvrières de la série, il a su s'adapter à l'univers mis en place par Bellisario et lui apporter des développements originaux, maintenant et relançant sans arrêt la qualité du show. Au rang des scénaristes de premier plan, il faut aussi mentionner Robert Hamilton, qui a signé douze des épisodes les plus aboutis de la série.
DES ECRIVAINS EN LIBERTE
L'écriture de Magnum est sans conteste l'un de ses autres atouts. Les épisodes écrits par Bellisario lui-même sont en général d'une grande qualité, mêlant souvent plusieurs lignes narratives qui finissent par se rejoindre pour révéler un sens caché, comme dans "Record battu" et le téléfilm pilote. Le passé et le présent s'entrecroisent en un crescendo narratif qui culmine à la fin de l'épisode, au moment de la résolution. Dans une scène de "Souvenirs ineffaçables", les deux époques se superposent également à l'image lorsqu'un hélicoptère survolant les plaines du Viêtnam passe finalement à peu de distance des personnages marchant sur la plage de Waikiki, illustrant la vivacité présente du souvenir dans la vie des héros. Comme Code Quantum, que Bellisario produira juste après Magnum, la série a un côté anthologique. Bellisario voulait que le public soit surpris chaque semaine, en ne sachant pas à quoi il devait s'attendre.
Les histoires, en effet, sont tantôt dramatiques tantôt comiques, tantôt policières tantôt familiales, se permettant des incursions dans le programme de guerre aussi bien que dans l'espionnage. "Meurtre dans la nuit", par exemple, est un épisode parodique diffusé en noir et blanc (sauf sur France 3, bien sûr, qui l'a diffusé en couleurs sans se soucier de la nature de l'épisode), hommage aux films noirs des années quarante, référence permanente de Bellisario. A l'opposé, "Raison d'Etat" est un épisode très grave qui s'appuie sur des événements dramatiques et laisse peu de place à la comédie, alors que "Ascenseur pour nulle part" est un private jokes episode, centré sur un affrontement très réussi entre Magnum et Higgins.
Tout au long de son existence, la série joue ainsi sur plusieurs tableaux, comme le fera plus tard The X-Files pour tenter de se renouveler. Dès la première saison, avec "L'Orchidée noire", Robert Hamilton s'amuse avec les clichés du genre detective movie en comparant Magnum au privé classique en vigueur dans les films d'antan et dans les romans des années trente-quarante. Dans un segment ultérieur, "La Méprise", écrit et réalisé par Reuben Leder, le héros s'interroge sur sa place dans la tradition du privé, entre le détective intellectuel façon Sherlock Holmes et ses déclinaisons plus intuitives comme le Philip Marlowe de Raymond Chandler. Ces références, amusantes pour le néophyte, sont une joie pour le connaisseur capable d'apprécier lui-même le jeu des références culturelles.
Un autre aspect de l'écriture de Magnum est une volonté récurrente d'introduire un second degré dans les histoires. Toutes sont directement compréhensibles sur un plan linéaire, mais certaines s'amusent des conventions du genre : pas seulement des clichés, comme dans les épisodes parodiques, mais également de conventions élémentaires comme l'absence d'interactivité entre les acteurs et le public, ou la mise en avant du caractère artificiel de toute représentation.
Dès le pilote, Selleck regarde directement la caméra et s'adresse en voix off à son public, une habitude qui se retrouve dans nombre d'épisodes, notamment avec la phrase rituelle : "Oh, je sais ce que vous pensez..." L'effet est bien sûr une complicité entre les acteurs et le public, en plus d'un aspect comique qui tient au refus de se prendre au sérieux. Mais certaines histoires vont plus loin : "Dans la peau", par exemple, repose tout entier sur l'incertitude entre réalité et représentation, mise en exergue dans un prologue très réussi, où l'on hésite entre plusieurs lectures de l'événement. "Le Fantôme de la plage" joue également sur cette incertitude : l'une des scènes finales, entre un écrivain et un meurtrier, est filmée comme une répétition de théâtre, alors même que l'action est dramatique. Dans "La Prisonnière de la tour" et "Oeil pour oeil", le public d'une représentation applaudit lorsque les personnages se livrent à des règlements de compte très sérieux, croyant à un jeu d'acteurs. Toujours il s'agit de souligner l'artifice et de rappeler que chaque épisode de Magnum n'est lui-même qu'une représentation.
Grâce à cette variété d'écriture, la série a su se renouveler constamment et a sans doute contribué à la naissance de programmes tels que Clair de Lune, où le jeu avec les conventions du récit filmé devient un élément essentiel, poussé plus loin que dans Magnum. Surtout, les scénaristes ont su rester cohérents tout en passant fréquemment d'une tonalité à une autre, et les acteurs eux-mêmes en se prêtant avec autant de talent aux facéties et aux conflits dramatiques. Car, contrairement à une idée reçue qui veut que Magnum passe son temps à glousser et Higgins à lancer ses chiens après lui ou à le couvrir d'anathèmes, la série offre également des moments dramatiques très réussis.
Certaines confrontations de Magnum et Higgins sont empreintes de gravité, bien loin des joutes verbales qui sont restées dans la mémoire des téléspectateurs : on reverra par exemple, pour s'en convaincre, "Lettres à une duchesse", où une rivalité amoureuse rend Higgins quelque peu amer, ou l'excellent "Déjà vu", où Magnum aide son comparse à renouer avec son père, qu'il n'a pas revu depuis des années.
LA GUERRE ET L'ARMEE
Magnum est également remarquable par la peinture qu'elle propose des conséquences de la guerre du Viêtnam sur ceux qui l'ont faite. Aux Etats-Unis, certains épisodes servent à illustrer des cours universitaires, ce qui en dit long sur la pertinence de cet élément dans la série. On sait que Donald Bellisario avait en tête la Seconde Guerre mondiale plus que la guerre du Viêtnam lorsqu'il a développé cet aspect du programme. Cela explique en partie le traitement des vétérans choisi par les scénaristes : il s'agit clairement de les réhabiliter, nullement de les accabler comme cela fut fait lors du retour des soldats sur le continent.
Honnis par la foule hostile à la guerre, accueillis au mieux dans l'indifférence au pire dans la haine, les combattants eurent en effet d'énormes difficultés à reprendre une vie normale et à se réinsérer dans la société à leur retour du Viêtnam. Beaucoup d'entre eux n'avaient jamais voulu faire cette guerre et vécurent très mal ce retour dans la honte. Magnum, parmi d'autres, refuse cependant de tirer un trait sur cette partie de son passé : "c'est un passé révolu, dira-t-il dans "Déjà vu", mais "dont je n'ai pas à rougir."
Comme lui, T.C. et Rick ont souffert de la guerre (les cauchemars récurrents et les difficultés de la réinsertion furent responsables du divorce de T.C. et de son exil dans le Pacifique) mais ils n'oublient pas. Dans "Tran Quoc Jones", Magnum s'en prend violemment à un politicien qui, n'ayant pas "fait le Viêtnam", critique aujourd'hui ceux qui s'y sont battus et y ont laissé une partie de leurs illusions. Sa position est claire : "J'en ai assez de ces dégonflés qui veulent donner des leçons à tout le monde. Ce n'est pas aussi simple que cela." Sans faire de la guerre, encore mal perçue par l'opinion au début des années quatre-vingt, une "noble cause", comme le dira le président Reagan décidé à rendre leur honneur aux soldats méprisés, Magnum la décrit comme un enfer dont les soldats ne sont pas responsables.
Certains épisodes, plus revanchards que d'autres, accusent les bureaucrates d'être responsables de la défaite (une idée répandue aux Etats-Unis) et proposent une relecture du conflit : c'est le cas surtout de "Tous pour un", dans lequel les héros retournent en Asie du sud-est et mènent leur petite guerre privée pour débarrasser cette région de la lie communiste. Mais, dans l'ensemble, la série préfère s'intéresser aux combattants et à leurs blessures, laissant les aspects polémiques au cinéma et aux journalistes. Le cadre naturel d'Hawai offrait une végétation propre à évoquer celle de l'Asie du sud-est : c'est là aussi que sera tournée la série L'Enfer du Devoir consacrée entièrement à la guerre du Viêtnam, et certaines reconstitutions de Magnum soutiennent la comparaison avec cet autre programme dont l'authenticité sera saluée par les vétérans eux-mêmes.
Dans le pilote, une ligne narrative parallèle replace les personnages dans l'enfer de la guerre, que l'on retrouvera fréquemment ensuite dans des épisodes comme "La Dernière Page", "Amnésie" ou "Les Voix du Paradis". Une grande part de l'épaisseur de Magnum provient de cet arrière-plan toujours disponible, que les scénaristes surent exploiter sans excès tout en restant dans les limites d'un réalisme voulu par Bellisario. La guerre ne touche pas seulement les anciens du Viêtnam. Par son passé glorieux (et singulièrement riche), Higgins a aussi sa part de souffrances issues des multiples conflits auxquels il a participé. L'épisode "Mau Mau" s'intéresse ainsi à l'un de ses souvenirs de guerre les plus douloureux, lors de la révolte des Mau Mau en Afrique, dans les années cinquante. Parabole sur les atrocités commises en temps de guerre, ce segment de la série peut être vu comme une manière détournée d'aborder les crimes de guerre américains, en particulier le massacre de My Lai qui secoua l'opinion publique lorsque la presse révéla en 1969 qu'un village entier de civils avait été exterminé par une unité américaine. L'événement n'est jamais mentionné directement dans le scénario, mais le parallèle entre les expériences d'Higgins et de Magnum est assez évident.
Produite pendant les années Reagan, entre 1980 et 1988, Magnum n'échappe pas à un anticommunisme évident qui, dans "Tous Pour Un", frise la propagande. Résurgence aussi, peut-être, de l'époque dans laquelle Bellisario dit avoir puisé son inspiration, l'après-Seconde Guerre mondiale. Toujours est-il que les communistes de la série sont en général des sadiques qui connaissent une fin peu enviable. Le colonel Ki dans "Souvenirs Ineffaçables", le colonel Ivan dans "Avez-vous vu le soleil se lever ?" et le major Thieu dans "Tous Pour Un" sont les déclinaisons majeures de ce "type" : tous sont finalement exécutés par le héros, qui sanctionne ainsi leurs crimes de guerre et leur âme corrompue. On est parfois gêné par la persistance de ce discours dans la série, qui la rattache à l'inspiration revancharde des deuxième et troisième Rambo ou des Portés disparus au cinéma. Un esprit radical salué par Reagan après la projection de Rambo II, mais qui appliqué à Magnum n'entre pas dans la longue liste des qualités d'une série qui en compte heureusement beaucoup d'autres !
Le milieu militaire a généralement de l'importance dans les séries de Bellisario. Magnum ne fait pas exception, tant par son traitement de la guerre du Viêtnam que par la présence elle aussi récurrente des militaires. Ce qui intéresse Bellisario dans l'armée, c'est avant tout un ensemble de valeurs qui, si elles y sont célébrées, n'en sont pas pour autant toujours respectées. Contrairement à ceux de L'Agence tous risques, qui sévissent à la même époque, les militaires de Magnum ne sont pas tournés en ridicule. Surtout, Bellisario les montre tiraillés entre leur sens du devoir et une hiérarchie plus préoccupée de politique que de grands principes.
Le colonel Green, dont la route croise plusieurs fois celle du héros au fil de la série, incarne le revers de ces principes : manipulateur, sournois, il tient la vie humaine en piètre estime et place au-dessus d'elle "les intérêts supérieurs de l'Etat". Lesquels relèvent davantage du concept que d'une réalité aisément appréciable. Face à lui, le débonnaire Mac Reynolds et la discrète Maggie Poole incarnent au contraire l'humanité : l'armée est leur métier, non une profession de foi. Mac est un brave garçon qui ne résiste pas à un beignet garni de sucre, suffisant pour le convaincre de fermer les yeux sur certaines recherches de Magnum. Maggie, quant à elle, est une femme en premier lieu : la compassion l'emporte sur son devoir militaire, et elle souffre du machisme qui caractérise l'univers dans lequel elle a choisi de travailler.
Dans "Avez-vous vu le soleil se lever ?", son mépris pour le colonel Green est manifeste, et dans "Raison d'Etat" elle aide le héros à trouver les réponses qu'il cherche, passant outre ses responsabilités envers sa hiérarchie. Tout en refusant les compromissions dans lesquelles se perd le colonel Green, qui d'une certaine manière représente un sens du devoir coupé de tout sentiment humain, Magnum fait siennes certaines valeurs "martiales" comme le sens de l'honneur et l'amitié confraternelle des soldats. C'est là le côté positif de ce que symbolise l'armée.
Dans plusieurs épisodes, comme "Dette de Vie, Dette d'Honneur" ou "La Dette", ces valeurs s'affirment comme des repères indispensables pour les héros. Elles structurent leur existence et leurs rapports, fortifiées par la guerre. Indépendante de l'amitié, la fraternité du soldat pousse les héros à suivre Tyler McKinney, pour lequel ils n'ont aucune sympathie, jusque dans la jungle asiatique de "Tous Pour Un", comme elle pousse T.C. à risquer sa liberté dans "Dette de vie, dette d'honneur", simplement pour répondre à l'appel d'un ancien compagnon de guerre. La guerre et l'armée, en définitive, avant d'être un motif militaire, sont dans Magnum une manière d'aborder des questions plus larges comme la responsabilité, la compassion et l'honneur, qui aident les personnages à se construire une identité et en font, avec leurs excès et leurs défauts, des êtres humains avant toute chose.
CONCLUSION
Les multiples facettes de la série en font un objet d'étude intéressant, au-delà du simple plaisir que l'on prend à suivre ses histoires, ce qui est déjà une qualité. Série très américaine par la personnalité de son héros (adepte du sport, athlétique, dilettante, amateur de bière et de pizzas, pratiquant le basket et le base-ball, aimant les enfants, célébrant à sa manière chaque 4 juillet, jour de la Fête nationale américaine, conduisant une voiture de sport et se mettant au garde-à-vous devant les symboles de la glorieuse nation, patriote endurci, individualiste intransigeant, et on pourrait sans doute continuer), Magnum séduit surtout par la tendresse qui émane de ses personnages et de ses histoires, autant que par la rigueur de son écriture et le charme de son cadre.
Tout en s'inscrivant par la nature de ses deux protagonistes, Magnum et Higgins, l'Américain dilettante et l'Anglais cérémonieux et débonnaire, dans la lignée des buddy movies "culturels" comme Amicalement Vôtre et Mission Casse-Cou, la série a su emprunter avec bonheur à plusieurs genres sans perdre son âme : autant vaudeville marivaudé que série policière, série de guerre que programme familial pétri de nobles sentiments, elle agace par certains aspects trop patriotiques mais gardera toujours une place de choix dans le panthéon des séries télé. En tout cas pour ceux qui l'aiment !
FICHE TECHNIQUE
Producteur exécutif : Donald P. Bellisario
Supervision de la production : Chas. Floyd Johnson, Douglas Benton, Joel Rogosin, Chris Abbott
Producteurs : Tom Greene, Tom Selleck, Douglas Green, Andrew Schneider, J. Rickley Dumm, Stephen A. Miller, Jeri Taylor
Co-producteurs : Rick Weaver, Reuben Leder, Jay Hughely, Nick Thiel, Jill Donner, Mark R. Schilz, Walton Dornisch
Producteurs associés : David Bellisario, Gilbert M. Shilton, John David
Musique : Pete Carpenter, Mike Post, Velton Ray Bunch, Garry Schyman
Directeurs de la photographie : William Gereghty, John C. Flinn III,J. Barry Herron, Woody Omens, Frank Raymond, Sherman Kunkel, Jim Luske, Lloyd Ahern II, Isidore Mankofsky, Tom Neuwirth, Duke Callaghan, Jack Whitman
Montage : Michael Berman, Bob Kagey, Douglas Ibold, Kurt Hirschler, Jeff Gourson, Arthur W. Forney, Peter Ishkanian, Albert J.J. Zúñiga, Mario Di Gregorio, Bill Luciano, Francine Fleishman, Ed Guidotti, Howard B. Anderson, Leon Ortiz-Gil, Mark Newman, Dianne Ryder-Rennolds, Ron Rutberg
Casting : Donna Dockstader, Mark Malis, Eleanor Ross, Jack Hogan, Margaret Doversola, Donna Dobies
Directeurs artistiques : Archie J. Bacon, Louis Montejano, Frank Grieco Jr., Charles R. Davis, Adrian Gorton, Bill Taliaferro
Décors : Rick Romer, Mary Ann Biddle, Buck Henshaw, Philip Leonard, Robert De Vestel, Richard J. DeCinces
Costumes : Charles Waldo, Brienne Glyttov, James Gilmore, Norma Brown, Charlene Tuch, Linda Serijan, Grace Kuhn, Lawrence Richter, Susan Smith, Wingate Jones
Maquillage : Lon Bentley, Albert Jeyte, Holly Donahue, Pete Altobelli, Jim Kail, Michael F. Blake
Coiffures : Jan Van Uchelen, Dagmar Loesch, Carolyn Elias, Susan Schuler-Page
Assistants-réalisateurs : Joseph A. Ingraffia, Allen DiGioia, Robert M. Williams Jr., Burt Burnam, David L. Beanes, Kevin G. Cremin, Brett Crutcher, Steven Tramz, D. Scott Easton, James Dillon, J. David Jones, Lewis Stout, John Liberti, Douglas E. Wise, Ryan Gordon, Carl Olsen, Clifford C. Coleman, Richard Graves, Bruce L. Shurley, Paul Cajero, Gary Grillo, Carole Keligian, Richard Luke Rothschild, David Menteer, Peter Gries, Mack Bing, Gary Rogers, James Lansbury, Bob Minor
Son : Stan Gordon, Jerry Jacobson, Rich Dodge, Glenn Hoskinson, Lee Alexander, James F. Rogers, Don Sharpless, Anthony Magro, James R. Alexander, Barney Cabral, Charles E. Moran, Claude Riggins
Effets visuels spéciaux : Jim Michaels, Orlando Delbert
Coordination des cascades : John Sistrunk, Bob Minor, Tom Lupo, Marvin Walters, Charles Picerni
Cascades aériennes : J. David Jones, Steve Kux, Beau Vanden Ecker
Cascadeurs : Jean Coulter, Tom Elliott, James Winburn, Marian Green, Khristian Lupo, Carey Loftin, Christine Pan James, Gene LeBell, Alan Stuart, Steve Kelso, Tom Elliott, Eddie Braun, Jimmy Lynn Davis, Larry Holt, John Tuell, Jesse Wayne, Gardner Doolittle, Don Charles McGovern, Tony Brubaker, Bob Herron, Conrad E. Palmisano, Dick Warlock, Gene Hartline, Carlos A. Herzer, Dan Inosanto, Tony Kahana, Rick Avery, Bruce Paul Barbour, Marco Paul
Production : Belisarius Productions / Glen A. Larson Productions / Universal Television (1980/1988)