Par Thierry Le Peut et Christophe Dordain
La famille Ingalls, ses joies, ses peines. Le tout vu par les yeux de la petite Laura. Jour après jour. En somme, un classique du petit écran ! Depuis sa première diffusion en 1974, la série imaginée par Michael Landon est devenue partie intégrante du patrimoine télévisuel mondial...
Quelle histoire que celle de "La Petite Maison dans la Prairie" ! Découverte en 1974 par les américains, elle arrive en France dès 1976, sur TF1. Elle ne cessa ensuite d'être diffusée et rediffusée. En général, par tranches de treize épisodes comme c'était la coutume à l'époque. Avec quelle conséquence ? Il faut alors souligner qu'on la découvrit par petits bouts. Mais dans une certaine continuité. Toutefois, sans se douter que beaucoup d'épisodes étaient restés de l'autre côté de l'Atlantique. C'est souvent pour les fêtes que la première chaîne sortait et ressortait ses épisodes. Jusqu'au jour où la petite M6, cherchant des programmes fédérateurs pour fidéliser son public, racheta les droits de l'intégralité des épisodes. Aussi, l'impensable révolution se produisit-elle ! M6 les diffusa dans l'ordre, en continu !
RETOUR EN ARRIERE
Star des années 80
Ce n'est donc qu'à la fin des années 1980 que le public français découvre vraiment la série. En particulier, ces épisodes, auparavant disparus, que M6 diffusera dans leur doublage canadien. Ainsi, il n'était pas rare, à l'époque, prise d'une frénésie d'intégrales, d'entendre parler des héros bien établis avec une voix inconnue, parfois nasillarde. Citons Steve Austin et Joe Mannix. Même Steve McGarrett ont eu droit à cet honneur… Cependant, la différence, ici, est que le public s'enticha très vite fin 80 de la famille Ingalls à la faveur de cette redécouverte. Tant et si bien que que M6 la rediffusera quasiment en boucle pendant une bonne quinzaine d'années. Et d'autres rediffusions furent proposées ensuite par d'autres chaînes...
Le phénomène fut tel que la chaîne finit, sous la pression des fans dont certains ne supportaient pas d'entendre parler leurs héros avec « d'autres voix », par faire doubler en français les épisodes jadis inédits. Tous les comédiens n'étant pas disponibles (Michel Gatineau, la voix française de Michael Landon, est décédé en 1989), ce sont finalement toujours de nouvelles voix qui feront parler les Ingalls et leur entourage (Marc Cassot pour Landon), mais bien de chez nous.
La pépite oubliée
Enfin, cerise sur le gâteau ! Un soir d'août 1995, M6 créa l'événement en exhumant LE seul épisode resté inédit après toutes ces années. Au point que certains ignoraient jusqu'à son existence. En l'espèce, le téléfilm-pilote d'une heure trente ! Celui-là même qui présenta la série aux Américains en 1974, rebaptisé « La Genèse » pour sa première diffusion française. Désormais la boucle était bouclée. "La Petite Maison dans la Prairie" existait en intégralité dans sa version française. C'est ainsi qu'elle sera rediffusée encore pendant dix ans par M6 (6Ter puis Téva ayant repris le relais ces dernières années). Pourtant, elle restera inédite en DVD jusqu'en 2002. Exception faite de deux coffrets reprenant une sélection d'épisodes des deux premières saisons.
UNE SERIE FAMILIALE PAR EXCELLENCE
La famille avant tout
Il est sans doute vain de rechercher les raisons du succès assez extraordinaire – et surtout durable – de cette série. Comme tous les succès populaires qui durent, le sien a souvent fait jaser. Cependant, la série est toujours là. Elle restera probablement longtemps. La découverte de l'intégrale bien ordonnée (notamment entre la fin des années 90 et le début des années 2000) a finalement décuplé son impact auprès du public. Elle a mis en évidence une continuité tout de même assez rare dans l'univers des séries.
Parce que les enfants Ingalls ont grandi sous les yeux du public durant près de dix années consécutives. Ainsi, le personnage de Laura Ingalls, égérie de la série (la véritable Laura Ingalls Wilder inspira le show par sa série de livres racontant son enfance), passe de petite fille à femme mûre. Elle devient la protagoniste majeure de la dernière saison (inédite avant M6) en compagnie de son mari.
Des personnages devenus familiers
Mais elle n'est pas la seule ! Si sa sœur Mary a entretemps disparu de la série, l'insupportable Nellie a elle aussi grandi. Elle s'est mariée et a quitté Walnut Grove. Puis, elle est remplacée par une copie conforme de ce qu'elle était enfant ! On n'imagine pas une telle continuité dans une série française. Surtout dans un si grand nombre d'épisodes (plus de deux cents). Or, la pierre angulaire de "La Petite Maison dans la Prairie" est précisément la famille. Un atout maître lequel repose l'essentiel de son imaginaire. En suivant les aventures des Ingalls sur neuf années, le public fait lui-même partie d'une famille vers laquelle il est toujours tenté de revenir.
UN UNIVERS TROP MIEVRE ?
Les deux griefs majeurs qui sont faits à la série sont probablement sa mièvrerie et la prégnance du religieux. Par mièvrerie, on entend l'abondance de bons sentiments que sert le programme. Cependant, "La Petite Maison dans la Prairie" est surtout un mélodrame aux ficelles éprouvées. Ces bons sentiments font cause commune avec une suite de drames que jalouserait n'importe quel soap opera des années 1980. Mort de nourrissons, personnages brûlés vifs, agonies larmoyantes, maladies mortelles ou handicapantes sont le pain quotidien des personnages de la série. Ces derniers trouvent dans la famille et la religion les seuls refuges contre la tragique adversité de la vie. Rarement une série aura autant fait pleurer que celle-ci. Curieusement, l'impression première qu'elle dégage est celle de la joie de vivre et du bonheur partagé dans un petit coin de paradis.
Walnut Grove est une petite ville du Minnesota. Nous sommes à l'approche des années 1880. Plum Creek est une petite vallée traversée par un cours d'eau au creux de laquelle Charles Ingalls a bâti une maison pour sa famille et une ferme pour la nourrir. Ces deux lieux sont emblématiques de la série. Les Ingalls ne les quitteront qu'exceptionnellement (le début de la cinquième saison se déroule dans une autre ville, la vallée ayant été désertée pour cause de famine). Au moment des adieux, dans le téléfilm de conclusion tourné en 1983, les décors seront détruits solennellement. Voilà qui donne lieu à l'un des dénouements les plus amers de l'histoire des séries télévisées.
UNE SERIE TROP RELIGIEUSE ?
Le temps des pionniers
Pour les Ingalls, l'installation en ces lieux a la même portée symbolique que pour les Hébreux anciens l'installation en Terre Promise. Le téléfilm-pilote, qui conte la longue et difficile quête d'une terre et la première installation au Kansas, est d'ailleurs l'acte fondateur du symbolisme biblique dans la série. En effet, il pose d'emblée le personnage de Charles Ingalls comme la figure du Patriarche qu'il restera durant toute la série. Accessible au chagrin, compatissant et bienveillant, Charles Ingalls est aussi un pionnier fier. Sa vie entière repose sur la capacité à faire vivre sa famille. Son souci prioritaire est d'élever ses enfants selon les préceptes de Dieu. Pour ses enfants comme pour ses amis de Walnut Grove, il est une incarnation de la force et de la justice mises au service des siens et des autres.
Rien d'étonnant par conséquent à ce que même les fans des livres de Laura Ingalls Wilder aient nourri quelques griefs à l'égard de Michael Landon. Ce dernier s'empare littéralement du personnage pour bâtir la série sur ses épaules. Pourtant cette figure quasi-divine connaît ses moments de doute, ses spasmes humains de rébellion contre l'Ordre divin, parvenant ainsi à toucher autant qu'elle transmet la confiance. Monolithique certes, Charles Ingalls reste humain dans ses émotions et ses réactions. C'est aussi sur sa capacité à surmonter les drames de l'existence que repose la faculté de la série à demeurer une image de la stabilité et du bonheur alors même qu'elle mobilise les ressorts du mélodrame larmoyant.
God bless America
On peut s'étonner qu'une série mettant à ce point l'accent sur la religion (Dieu est cité dans à peu près tous les épisodes, les scènes de prêche dans ou hors de l'église sont légion, le symbolisme biblique est souvent envahissant) ait rencontré un tel succès hors du territoire américain. De fait, la religion est bien moins prégnante en France qu'elle ne l'est aux Etats-Unis. Là-bas nombreux sont les programmes qui font l'apologie de Dieu.
Dans ce cadre, plusieurs séries mettent en vedette des anges venus tendre la main aux hommes (Michael Landon sera l'un d'eux, Jonathan Smith, de 1984 à 1989 dans "Les Routes du Paradis", mais on connaît aussi "Les Anges du bonheur" ou "Destins croisés", sans compter "Code Quantum" où les références à Dieu seront fréquentes lors des premières saisons avant d'être gommées à la demande de NBC). C'est sans doute la raison pour laquelle un épisode comme « Le fils », en deux parties, fut écarté de la diffusion sur TF1. Laura y rencontrant ni plus ni moins que Dieu ou l'un de ses anges au sommet d'une montagne !
Un monde à part
Il faut sans doute imputer cette tolérance du public français à la même force qui rend acceptable le mélodrame et les bons sentiments : le contexte historique de la série, où plus qu'un souci de réalisme on doit chercher la volonté de situer l'action dans un passé imaginaire, un temps pionnier recréé, une sorte de « bulle temporelle » qui préserve les héros des attaques de l'Histoire et les fait exister dans un passé lointain similaire à celui des contes. Non que la recréation des années 1880 dans la série soit exempte de réalisme : au contraire, un grand soin est apporté à la description de la vie des fermiers de l'époque et nombre d'épisodes reposent sur la référence explicite aux aléas d'alors – le chemin de fer, la famine, la Grange ou la naissance des coopératives sur fond de capitalisme galopant.
Mais le petit monde de Walnut Grove n'en vit pas moins en vase clos, ayant peu de contacts avec l'extérieur et développant essentiellement des intrigues internes, ce qui renforce la symbolique du Jardin d'Eden. La prégnance du religieux renforce la nature de conte de la série en insistant sur l'opposition du Bien et du Mal. Quant à la voix off de Laura, qui conclut un certain nombre d'épisodes, elle ne rappelle pas seulement la parenté littéraire du programme, elle met encore en exergue le regard de l'enfance et sur l'enfance propre au monde du conte.
Un sacré mélange
Si le religieux est omniprésent, l'intrusion d'anges dans la série rattache cependant celle-ci à un procédé courant dans les programmes américains, qui est le mélange des genres. Le contexte de la série la fait entrer dans le genre « western », bien que son contenu l'inscrive dans la veine familiale, mais le sentiment religieux qui l'habite peut être assimilé au merveilleux, voire au fantastique, qui sont des éléments inhérents au conte.
La religion comme fondement de la vie en communauté apparaît ainsi comme un élément historique, tandis que son rôle moral et l'intervention du merveilleux relèvent de l'imaginaire. De là, un équilibre qui autorise à faire abstraction des croyances réelles sous-tendues par le substrat religieux du show. Les citations des Saintes Ecritures servent la morale à l'œuvre dans les histoires plus qu'elles n'apparaissent comme du prosélytisme.
UN PATRIMOINE DU PETIT ECRAN
"La Petite Maison dans la Prairie" aura durablement marqué l'imaginaire issu de la télévision. Si la télévision américaine a tenté de revisiter le « mythe », ce n'a jamais été avec autant de succès : "La Véritable histoire de Laura Ingalls", en 2000, tentait un retour aux œuvres de Laura Ingalls Wilder sous forme de deux téléfilms d'une heure trente, tandis que "La Petite Maison dans la Prairie", en 2005, revenait lui aussi aux sources de l'histoire, de nouveau sous forme de téléfilms. Surtout, le tournage d'une nouvelle série familiale dans le contexte historique de la fin du XIXème siècle a amené durant les années 1990 une inévitable comparaison avec le show de Michael Landon : "Dr Quinn femme médecin", en effet, retrouvait un peu de la veine de "La Petite Maison dans la Prairie", mais actualisée et surtout débarrassée de l'omniprésente religion.
Moins de bons sentiments, plus de références historiques, de cynisme dans les personnages, "Dr Quinn" est un peu "La Petite Maison" post-"Danse avec les loups". Au Canada fut également tournée une série qui, se situant dans l'influence de "Dr Quinn", évoquait également la saga des Ingalls : "Les enfants de Plumfield" ("Little Men") n'aura connu que deux saisons mais repose sur les bons sentiments et la volonté optimiste qui nourrissaient hier la vie des pionniers de "La Petite Maison dans la Prairie".
POUR CONCLURE
A l'heure des « salauds » plébiscités par le public ("Lucifer" entre autres...), il est certainement réconfortant de constater que "La Petite Maison dans la Prairie" réunit toujours un public suffisant pour justifier sa présence sur les écrans (Teva a recommencé une diffusion depuis le 18 juillet 2022), mais aussi en DVD au hasard des éditions remastérisées proposées en 2014 et 2015. C'est le signe d'un attachement à des valeurs qui s'expriment autrement que dans les discours électoraux du moment, mais aussi au format classique de la série, où le cloisonnement des épisodes n'empêche pas une continuité à l'image de la vie.
MICHAEL LANDON EST CHARLES INGALLS
Michael Landon est né en 1936 dans un univers de comédiens. En effet, ses deux parents étaient eux-mêmes des acteurs chevronnés. Baignant dans un milieu intellectuellement et artistiquement stimulant, Michael Landon doit beaucoup au producteur Herman Cohen. Ce dernier le fait débuter au cinéma en 1957 dans le film "I Was a Teenage Werewolf."
Deux ans plus tard, c'est le producteur David Dortort qui le sollicite afin de devenir Little Joe Cartwright dans la série "Bonanza" dont la diffusion sur NBC se poursuivra jusqu'en janvier 1974. A peine cette série achevée, Michael Landon enchaîne avec "La Petite Maison dans la Prairie". Un programme qu'il produira à partir de 1974 et dont il dirigera quelques uns des épisodes jusqu'au printemps 1982.
Suivra la série "Les Routes du Paradis" pour laquelle il retrouvera Victor French. Ce dernier était déjà à l'affiche de "La Petite Maison dans la Prairie". Elle sera programmée de 1984 à 1988. Alors qu'il tournait le pilote pour une nouvelle série, on lui diagnostique un cancer qui finira par l'emporter en mai 1991.
FICHE TECHNIQUE
Produite par : John Hawkins, William F. Claxton, Winston Miller
Producteur exécutif : Michael Landon
Co-producteur : B.W. Sandefur
Producteurs associés : Kent McCray, Marvin Coil, Gary L. Wohlleben, Ed Friendly
Musique : David Rose
Directeurs de la photographie : Ted Voightlander, Haskell B. Boggs, Harry L. Wolf, Brianne Murphy, Stephen H. Burum
Supervision du montage : Marvin Coil
Montage : Bob Fish, John Loeffler, Jerry Taylor, Clay Bartels, George Watters, Robert Gutknecht
Casting : Susan McCray, Edward R. Morse
Directeurs artistiques : Walter M. Jeffries, Trevor Williams, George Renne
Décors : Don Webb, Dennis W. Peeples, Morris Hoffman, Sam Gross
Maquillage : Allan Snyder, Lynn F. Reynolds, Hank Edds
Coiffures : Larry Germain, Lillian Barb, Damion, Darby Hoppin, Gladys Witten
Assistants-réalisateurs : Ray DeCamp, Reid Rummage, Miles Middough, Maury Dexter, Brad Yacobian, Buck Edwards, Ronald Martinez, Robert Enrietto, James B. Greer
Son : Duncan McEwan, Vince Gutierrez, M. Curtis Price, Frank Meadow, Anthony F. Brissinger, David Dockendorf, Charles T. Knight, Gordon L. Day, Barry Thomas
Costumes : Andy Matyasi, Richalene Kelsay, Linda Taylor, Mike Termini, Dallas D. Dornan, Michael R. Faeth
Effets spéciaux : Luke Tillman
Coordination des cascades : Hal Burton
Cascadeurs : Hal Burton, Bob Herron, Chuck Hicks, Loren Janes, Whitey Hughes, Gene LeBell, Jack Lilley, George Orrison, Neil Summers
Consultant pour la couleur : Edward P. Ancona Jr.
Production : Ed Friendly Productions / NBC Television (1974/1983)