Par Emmanuel Francq
Voici "Mike Hammer", un des plus mémorables privés des années 80 après "Magnum". Une série typique des années 80. Celle-ci constitue un véritable régal que de revoir les aventures du détective moustachu.
PREAMBULE
Avant d’apparaître sur écran, le personnage de Mike Hammer naît sous la plume de l’écrivain Mickey Spillane. Nous sommes à la fin de la Seconde Guerre mondiale et Spillane a formé des pilotes de combat. Il s’inspire donc de son vécu et crée un personnage de dur à cuire (hard boiled en anglais), violent, voire sadique. En 1947 sort « J’aurai ta peau », premier roman qui rencontre un immense succès. De 1950 à 1952, Spillane écrit encore 5 autres romans qui rencontrent toujours la ferveur du public. Aimant la série des années 80 et cherchant à en découvrir la source, j’en avais lu quelques-uns durant mon adolescence. Toutefois, je garde le souvenir d’histoires anti-communistes assez primaires, à la violence outrancière avec une sexualité sous-jacente aux limites de la pornographie.
Ce succès de librairie attire le monde d’Hollywood, toujours à l’affût de faire de l’argent avec un matériau d’origine déjà testé sur grand public. L’acteur Biff Elliott campe le personnage dans une adaptation oubliable de "J’aurai ta peau" (1953). Ensuite, le réalisateur Robert Aldrich adapte "En quatrième vitesse" en 1955 avec Ralph Meeker dans le rôle principal. Un film noir aux lisières du fantastique et certainement une des meilleurs œuvres du metteur en scène de "Vera Cruz" et des "Douze salopards". En tous cas, un des films préférés du futur cinéaste François Truffaut qui l’encense alors qu’il est encore critique aux « Cahiers du Cinéma ».
Ces adaptations débouchent sur deux autres films tombés dans l’oubli : "My Gun is quick" (1957) où Robert Bray campe Hammer et enfin, "Solo pour une blonde" (1962) où Spillane lui-même incarne le privé dur à cuire. Notons que l’écrivain jouera ensuite un écrivain assassiné (sic) dans "Edition tragique" (saison 3, épisode 5) de "Columbo". Un sacré sens de l’humour noir le Mickey. Entre 1952 et 1961, l’écrivain arrête d’écrire mais comme le cinéma prend le relais de son personnage, cela lui permet de se reposer sur ses lauriers. Au début des années 60, il se remet au travail et publie 5 nouvelles aventures entre 1961 et 1970 (Baroud solo, Le serpent, Interdit aux moins de seize ans, Délices suspectes, Zéro de survie).
Après le cinéma, une première série tv "Mickey Spillane’s Mike Hammer" - inédite en Europe - voit le jour en 1957/59 avec Darren McGavin (futur Carl Kolchak de la série fantastique "Dossiers brûlants"). Cette série compte 78 épisodes de 30 minutes en noir et blanc où, comme dans la version des années 80, les commentaires en voix-off du héros occupent une place prépondérante. Autre « personnage » principal : la ville de New York et enfin, une musique jazzy pour marquer le côté rétro. Mike Hammer disparaît des écrans durant deux décennies avant de revenir dans "J’aurai ta peau" ("I the Jury", 1982) avec Armand Assante dans le rôle-titre et la sulfureuse Barbara Carrera à ses côtés dans un film d’action lui aussi oubliable. La télévision s’y remet sous la houlette du producteur exécutif Jay Bernstein avec un premier téléfilm intitulé "Meurtre sans mobile apparent" ("Margin for Murder", 1981) où l’assez fade Kevin Dobson (Crocker dans "Kojak") incarne Mike Hammer. L’accueil du public américain est mitigé et ne débouche pas sur la mise en chantier d’une série hebdomadaire.
UN PRIVE PAS COMME LES AUTRES
Pas découragé, Bernstein revoit sa copie et revient aux fondamentaux : de l’univers original de Mike Hammer dans les romans de Spillane, il reprend le feutre, l’imper, le Colt 45 (surnommé « Betsy »), une musique jazz « Harlem Nocturne » d’Earle Hagen. Bref, un côté rétro totalement assumé mais adapté au New York des années 80. Il engage ensuite Stacy Keach, excellent acteur habitué aux films policiers (le sublime "Les flics de dorment pas la nuit") et aux westerns mais dont la carrière sur grand écran décline. Le producteur adapte aussi le passé du personnage au goût du jour : Hammer est désormais un vétéran de la guerre du Vietnam où il a combattu avec son ami Pat Chambers (Don Stroud), Capitaine de la Criminelle. Excellent dans le rôle, Stacy Keach dégage une grande virilité, un côté macho et cynique, tout en sortant des petites « punchlines » (pointes d’humour) bienvenues.
Mais un acteur seul ne suffit pas toujours à faire un succès et pour faire de sa série une réussite, Bernstein engage des scénaristes ayant l’expérience du polar : B.W. Sandefur, Bill Stratton (d’ailleurs récompensé d’un Edgar Allan Poe Award pour son travail sur le tout premier téléfilm "Si tu me tues, je te tue"), Joe Gores (écrivain du roman « Hammett ») ou encore des noms bien connus des séries comme Stephen Kandel et Chester Krumholtz. A la réalisation des épisodes, on retrouve des techniciens confirmés : Gary Nelson, Sutton Roley, Paul Krasny, Leo Penn, Ray Danton, Don Weis. Habitués à travailler vite et bien, ils parviennent à donner une aura de film noir à la série, recréant ruelles sombres, pavé sale et humide, femmes fatales et autres bars louches. Même si elle se déroule dans un cadre contemporain, la série insiste sur sa filiation avec les grands classiques du film noir des années 40 et 50 : certains scénarios sont d’ailleurs des copier / coller de films du genre comme "Le quatrième homme" (1952) et des épisodes-clin d’œil invitent d’anciennes gloires du film noir avec Cornel Wilde.
Enfin, comme toute bonne série qui se respecte, n’oublions pas de mentionner la présence de vedettes invitées qui allaient faire une belle carrière ensuite ou avaient déjà une renommée bien établie : Lauren Hutton, Sharon Stone, Jim Carrey, Stepfanie Kramer (DeeDee McCall de "Rick Hunter"), Ray Liotta ("Les Affranchis"), Bruce Boxleitner ("Les deux font la paire"), Lou Ferrigno (barbu et sans son maquillage de "L’incroyable Hulk"), Jonathan Banks ("Un flic dans la Mafia", "Breaking Bad"), Barbara Bain ("Cosmos 1999"), Lynda Carter ("Wonder Woman"), Ken Kercheval ("Dallas"), etc.
Cela dit, que la gent féminine en faveur de l’émancipation du beau sexe nous pardonne : "Mike Hammer" (1984) se révèle une série basique pour « primates » où les femmes sont soit des salopes, soit des victimes, soit des idiotes prêtes à coucher et à grosse poitrine (le défilé de gros lolos dans les premiers téléfilms est parfaitement ridicule). On est très loin de personnages féminins forts et intelligents comme Joyce Davenport dans "Capitaine Furillo" et DeeDee McCall dans "Rick Hunter Inspecteur choc", pourtant présentes sur les écrans à la même époque.
Ensuite, les intrigues sont assez répétitives : un ami ou une amie de Mike Hammer meurt, les flics s’en foutent et le privé part se venger de façon expéditive. Cette violence, plutôt inhabituelle pour une série de « network » (grande chaîne nationale) comme CBS, peut surprendre. Mais l’époque était à l’audace. C’est ce qui a permis à de futurs grands cinéastes comme Michael Mann de se faire les dents et d’expérimenter des choses jamais vues à la télévision comme dans les premières saisons de "Deux flics à Miami". Certes, "Mike Hammer" n’a pas les qualités filmiques, ni le bon goût vestimentaire de Crockett et Tubbs. Cependant, la série partage en commun la cigarette, la vengeance et une utilisation très prononcée du flingue.
UNE SERIE A PLUSIEURS VIES
Lors de leur diffusion aux USA, les deux premières saisons marchent convenablement sans casser la baraque jusqu’à ce qu’un incident stoppe la production : arrêté à l’aéroport de Londres en possession de cocaïne, Stacy Keach se voit condamner à une peine de 6 mois de prison. Fidèle en amitié et confiant dans les capacités de son acteur à rebondir, le producteur Jay Bernstein lui propose de reprendre le rôle dans une nouvelle fournée d’épisodes intitulée "Le Retour de Mike Hammer" (1986/87) qui reste dans la continuité avant de s’arrêter avec le téléfilm "Le carnet fatal". Notons que dans cet ultime épisode de la période 80’s, Mike Hammer part enquêter à Las Vegas après une incursion à Los Angeles dans un autre épisode, alors qu’il déteste quitter New York. Keach arrête donc l’aventure et joue, avant et après "Mike Hammer", dans des miniséries à succès des années 80 et 90 comme "Les bleus et les gris" (1982), "L’amour en héritage" (1984) et "Hemingway" (1988).
Plus récemment, on se souvient de lui en directeur de pénitencier dans la série carcérale "Prison Break" (2005), dans "Urgences" (saison 13), "Ray Donovan" (saison 4), dans "NCIS Nouvelle Orléans" (saison 5) et en archevêque face à Tom Selleck dans plusieurs épisodes de "Blue Bloods" (saisons 7 et 9). Au cinéma, citons les films "Los Angeles 2013" (1996), "American History X" (1998) et "The Bourne Legacy" (2012). Toujours très actif, il compte déjà près de 215 titres dans sa filmographie.
Bernstein tente de relancer le personnage dans "La blonde et le privé" (1994), un téléfilm catastrophique se passant à Miami avec Rob Estes ("Les dessous de Palm Beach") et Pamela Anderson ("Alerte à Malibu") dans le rôle de Velda, sans doute plus engagée pour son tour de poitrine que pour ses talents d’actrice. Dix ans après l’arrêt de la série, en 1997, Bernstein parvient à convaincre Stacy Keach de revenir pour ce qui sera une dernière salve d’épisodes. A ses côtés, on découvre l’athlétique Shane Conrad, fils de Robert « Pépé Boyington » Conrad. Keach a vieilli et grossi. La magie n’opère plus, les scénarios étant une resucée d’anciens épisodes dans une version « cheap » qui singe l’original. Aux USA, CBS refuse d’acheter cette nouvelle version qui finit par être diffusée sur des chaînes régionales (syndication) sans laisser grande trace dans les mémoires.
UNE VERSION FRANÇAISE SUBLIME
Soulignons la qualité de l’adaptation française de la série avec le travail exceptionnel de plusieurs grands noms du doublage / postsynchronisation : Serge Sauvion (déjà voix de "Columbo"), Jacques Richard (Pat Chambers), Monique Thierry (Velda) et Jean Barney (Barrington). Comme "Starsky et Hutch" et "Magnum", il semble difficile, pour ne pas dire impossible, de voir la série en version originale même si Stacy Keach joue aussi le second degré et que la VO reste tout à fait agréable. L’humour, la gouaille et la dérision que donnent Sauvion au personnage apportent un « + » indéniable qui nous donne envie de revoir les épisodes juste pour avoir le plaisir d’écouter son travail remarquable (tout comme sur "Columbo" d’ailleurs).
Cet article reprend de nombreux éléments de l’excellent dossier « Mike Hammer Le Détective et le Visage » écrit et réalisé par Jean-Jacques Schleret dans le mythique trimestriel « Génération séries » de Christophe Petit, Oct.-Nov.-Déc. 2002 – N°40, pages 32 à 41.