Par Christophe Dordain
Au début du XIXème siècle, les sociétés rivales du compagnonnage s'affrontent. C'est ainsi que le capitaine Toussaint Rouveyre se fait engager dans l'une d'elle. Toutefois, il découvre que son compagnon est l'homme qui a tué son frère...
PRESENTATION
"Ardéchois Coeur Fidèle", raconte l'histoire au XIXème siècle d'ouvriers très spéciaux. Ils sont ce qu'on appelle à l'époque des compagnons. Le compagnonnage, c'est l'apprentissage d'un métier manuel. Mais c'est aussi une institution historique qui, vu de l'extérieur, peut paraître hermétique aux personnes non impliquées. En effet, le compagnonnage touche presque tous les métiers manuels.
Née sans doute au XIIIème siècle, la tradition du compagnonnage s'est perpétuée jusqu'à aujourd'hui. Alors quelle est son originalité ? En l'occurrence, recruter en milieu ouvrier et presque exclusivement en France. Toutefois, son aspect le plus attachant réside dans l'aspiration profonde du travailleur manuel qui veut réellement "créer" et pas seulement produire. C'est de là que vient l'attrait que le compagnonnage exerce depuis si longtemps. Le tout avec une telle constance notamment sur une part importante de la jeunesse ouvrière.
L'histoire, racontée par Jean Chatenet et Jean Cosmos, pour le feuilleton "Ardéchois Coeur Fidèle", se situe dans les années 1820. Celles-ci correspondent aux prémices de l'industrialisation, de la vapeur et de la mécanique. Un vaste mouvement qui déclenche les premiers conflits sociaux dont la violence va croissante. Ainsi, coïncident-ils avec une forte réaction du compagnonnage. Ce dernier ayant été mis en sommeil par les interdits de la Révolution et de l'Empire.
"Ardéchois Coeur Fidèle", mis en scène par Jean-Pierre Gallo, nous présente Toussaint. Il est un ancien capitaine des armées impériales qui regagne son village de l'Ardèche après dix ans d'exil au Canada. Là, il y retrouve sa famille en butte aux persécutions des exaltés, des furieux de la Terreur Blanche. Son frère, menuisier, est parti faire le Tour de France des Compagnons. Alors, pour tenter de le retrouver, Toussaint s'engage à son tour dans la Compagnie. Mille aventures viriles et tendres à travers les provinces de France attendent notre héros. Qui plus est, la découverte d'un monde singulier, attachant et fraternel également.
"Ardéchois Coeur Fidèle", c'est à la fois le roman de compagnonnage. Avant tout, c'est une sorte de "western" à la française dont les auteurs ont tiré un grand feuilleton télévisé. Ce dernier sera diffusé à partir du 21 novembre 1974 sur la 2ème chaîne de l'ORTF. Mentionnons que la programmation du feuilleton fut avancée dans la précipitation par Pierre Sabbagh (le grand patron de la 2ème chaîne).
LA CREATION ET LA PRODUCTION DU FEUILLETON
Tout d'abord, précisons que 65 jours furent nécessaires pour mettre en images l'ensemble des épisodes du feuilleton "Ardéchois Coeur Fidèle". Pourtant, la majorité des scènes furent tournées à 30 km de Paris. Plus précisément, une seule une semaine de tournage fut accordée à l'équipe sur le plateau du Larzac et au Pont du Gard. Notons ensuite que le metteur en scène aura dû convaincre Roland Gritti (responsable de la fiction de l'O.R.T.F., il jouera un rôle décisif dans l'arrivée de la série "Les Brigades du Tigre" cette même année 1974), d'engager Sylvain Joubert. Comédien de petite taille (il ne mesurait pas plus d'un mètre 65), il va devenir une grande vedette avec feuilleton. Enfin, "Ardéchois Coeur Fidèle" eut la chance d'être programmé au moment d'une grève affectant l'O.R.T.F. Ainsi, il bénéficia d'une promotion tout à fait exceptionnelle et de scores d'audience rares.
A propos de la création de la série "Ardéchois Coeur Fidèle", Jean Cosmos fut interviewé par le magazine Télérama, dans son numéro 1296, en date du 13 novembre 1974. Il y déclarait que : "pour moi, le compagnonnage représente un monde de relations amicales, fraternelles entre les individus, une grande entraide. Il a des résonances humaines et sociales passionnantes. Nous le connaissions par Georges Sand et Perdiguier, ce compagnon célèbre du XIXème siècle qui nous a laissé de nombreux écrits. Et nous avons fait quelques recherches historiques."
Puis, Jean Chatenet, co-auteur du feuilleton, poursuit sur ce point : "mais ce qui nous a passionnés, c'est l'histoire de Réné Edeline. Edeline est un compagnon boulanger, qui possède le plus belle collection d'objets de compagnonnage de France. Nous l'avions vu un jour dans l'émission de Pierre Sabbagh : "Le Coin des Collectionneurs". Le personnage nous avait fascinés. Peu de temps après, je déménage et trouve absolument par hasard, rue de Grenelle, Edeline dans sa boulangerie. J'ai remarqué, au fond de la boutique, une enseigne, avec les deux cannes des compagnons. Nous avons lié connaissance. La chaleur et la sympathie que j'ai rencontrées chez cet homme m'ont donné envie de connaître mieux le compagnonnage, ses hommes et son histoire."
SYLVAIN JOUBERT
Né le 28 juillet 1944 à Saint-Philbert-de-Grand-Lieu (Loire-Atlantique), et mort le 7 février 2000 à Paris (crise cardiaque), Sylvain Joubert était un acteur et écrivain français.
Bien que essentiellement connu pour ses rôles à la télévision (il fut rendu populaire par le triomphe, avec son ami Claude Brosset, dans "Ardéchois Cœur Fidèle" en 1974 dans laquelle il tenait le rôle titre), il joua également au théâtre après avoir été formé au centre de la rue Blanche. Auparavant, Joubert était également passé par le Conservatoire national supérieur d'art dramatique d'où il était sorti avec un prix de comédie moderne.
Toutefois, une grande partie de son activité tournera autour du petit écran pour lequel il aura interprété quelques 80 rôles. Rappelons aussi que le comédien aura aussi écrit une quarantaine de scénarios dont certains comme "L'Amuseur" et "Les Feux de la Saint-Jean" furent réalisés pour France 3. Puis, il a également écrit deux romans : Un Crime de guerre, en 1994 et La Mer de l'Océan Pacifique, en 1996. Enfin, il a été récompensé d'un prix par la SACD en 1987. Il a de même reçu un Sept d'or pour la série "Félicien Grevèche" dont il était l'interprète et l'auteur du scénario.
Sylvain Joubert a prêté sa à Al Pacino dans "Le Parrain", réalisé par Francis Ford Coppola, et dans "L'Epouvantail", mis en scène par de Jerry Schatzberg.
LE SCENARISTE : JEAN COSMOS
De son véritable nom Jean Gaudrat, est né à Paris le 14 juin 1923. Après des études d'ingénieur, les aléas de la guerre l'obligent à occuper un emploi de fonctionnaire. Puis, il commence par écrire des chansons, notamment pour Yves Montand et Les Frères Jacques. Des textes qu'il signe du pseudonyme Jean Cosmos. Ensuite, une rencontre l'oriente vers la rédaction de dramatiques pour la radio. Ainsi, écrit-il "Oh, Agnès !" ou "La Poursuite Sentimentale" qui obtient le prix de la RTF, 1952. Enfin, il devient un rédacteur régulier de pièces radiophoniques.
Dès 1959 il travaille pour le cinéma avec "Bonjour Toubib", mais après une suite d'échec, il se replie sur les scénarios pour la télévision. Il est l'auteur d'une pièce, "Les Oranges", réalisée par Roland Bernard, télédiffusée en 1964 et qui obtient le prix Albert Olivier. Cette pièce se déroule presque totalement dans le parloir d'une prison.
Sa production d'adaptations et de scénarios pour la télévision est imposante. Il écrit ou co-écrit aussi de nombreux feuilletons, "Quand on est Deux" (1962), "Rue Barrée" (1967), des épisodes pour "Les Cinq Dernières Minutes" avec Raymond Souplex puis Jacques Debary (de 1967 à 1980), "Ardéchois Cœur Fidèle" (1974), etc.
En 1988, c'est le réalisateur Bertrand Tavernier qui le convainc de revenir vers le scénario de cinéma avec "La Vie et rien d'autre" (Prix spécial du Film Européen). Il continuera sa collaboration avec Tavernier pour "La Fille de d'Artagnan" (1994), "Capitaine Conan" (1996) et "Laissez-passer" (2002). Ses derniers scénarios auront été ceux d'"Effroyables Jardins" (2003) de Jean Becker, co-écrit avec Gilles Laurant et "Fanfan la Tulipe" (2003) de Gérard Krawczyk (co-écrit avec Luc Besson). Jean Cosmos s'en est définitivement allé le 24 Août 2014.
LA REACTION DE LA PRESSE ET DU PUBLIC
Dire que "Ardéchois, Coeur Fidèle" aura rencontre une large adhésion de la part de la presse spécialisée et du public relève de la l'évidence. Voici, une première illustration sous la plume de Jacques Siclier, pour le journal Le Monde, en date du 18 novembre 1974 : "Ardéchois cœur fidèle, feuilleton de Jean Cosmos et Jean Chatenet, réalisé par Jean-Pierre Gallo (six épisodes d'une heure), nous ramène donc au dix-neuvième siècle. Mais c'est le dix-neuvième siècle de la campagne et des provinces françaises, du monde ouvrier constitué en associations jalouses de leurs secrets de travail, de leur indépendance, de leur discipline corporative, au moment où le prolétariat, guetté par la révolution industrielle, va devenir une "classe dangereuse".
Michel Subiela et Yves-André Hubert avaient autrefois esquissé cet univers dans la Clef des cœurs, une histoire écrite pour le Théâtre de la jeunesse. Le propos de Jean Cosmos, Jean Chatenet et Jean-Pierre Gallo est, évidemment, plus vaste, plus complet. Ardéchois, cœur fidèle tient du roman social à la Eugène Sue et du reportage sur les rites, les lois, l'esprit de ces deux grandes associations antagonistes : les compagnons du devoir ou "dévoirants", les compagnons du devoir de liberté ou "gavots". Voilà un feuilleton qui ne se contente pas de l'imagerie populiste et pittoresque, ni des " héros " archétypes.
La mise en scène de Jean-Pierre Gallo ne sépare pas les personnages d'un environnement naturel saisi, par les images de Jacques Renoir, dans son réalisme documentaire, et d'un contexte social si bien reconstitué qu'il paraît aller de soi. Et les comédiens sont dirigés selon un réalisme du comportement. Il y a chez Toussaint (Sylvain Joubert) la violence nerveuse et les arrière-plans psychologiques du paysan déraciné, qui a vu le monde à travers l'épopée impériale. Toussaint a été soldat, il a fait la guerre. Il connaît le prix de la vie, il est en crise, en mutation, et Sylvain Joubert lui donne une vérité troublante. Tourangeau (Claude Brosset) est, lui, le tempérament sanguin, la force physique instinctive. C'est un être apparemment tout d'une pièce, mais que l'on découvre progressivement. L'affrontement et la connivence - car Toussaint et Tourangeau se révèlent l'un par l'autre - de Sylvain Joubert et Claude Brosset donnent le sens réel d'une histoire qui, après tout, aurait pu n'être que romanesque."
Il est à noter que Jacques Siclier écrivait également pour Télérama. Voici sa critique confirmant le propos développé précédemment (numéro 1296 en date du 13 novembre 1974) : "cette intrigue romanesque, dans la réalisation de Jean-Pierre Gallo, atteint une vérité qu'on n'a pas l'habitude de trouver dans des feuilletons plutôt fidèles, lorsqu'il s'agit du XIXème siècle, à une certaine imagerie populiste. Ici nous voyons vivre et s'affronter les hommes d'une société en transformation qui, dans le petit monde clos du corporatisme artisanal, cherche vaguement l'union de classe. La vengeance de Toussaint l'Ardéchois, ressort dramatique de l'intrigue, nous mène au coeur d'un univers social rarement exploité. C'est fort, rude, ça va à l'essentiel. C'est une belle oeuvre populaire, où deux comédiens exceptionnels, Sylvain Joubert et Claude Brosset, d'abord à la recherche l'un de l'autre, se retrouvent ensuite face à face.
Un autre exemple plus récente et que voici démontre que la série "Ardéchois Coeur Fidèle" aura su rester prégnante dans la mémoire populaire : "une vengeance, de grands sentiments (fidélité, honneur, fraternité), la peinture d’une époque romanesque et de l’univers mystérieux des compagnons : comment rater une telle histoire ? Le scénario original signé Jean Cosmos et Jean Chatenet allie avec efficacité une certaine langueur typique des feuilletons de la télé de papa et un sens du rebondissement hérité des grands écrivains populaires du XIXe siècle. À cela s’ajoutent l’affirmation d’une conscience sociale, la valorisation du terroir et de l’amour du travail bien fait… Le succès fut phénoménal, d’autant plus que ce feuilleton bénéficia d’un coup de pouce imprévu. Sa diffusion fut en effet programmée au moment où l’éclatement de l’ORTF déclencha une grève. Ardéchois fit office de programme unique des trois chaînes d’alors. Comme un adieu à la télé d’antan.
Tourné à la façon d’une série B en 65 jours (soient 11 minutes utiles par jour, une sorte de record), Ardéchois coeur fidèle ressemble à un western. Il n’est qu’à voir le début du premier épisode. Voici un héros solitaire à cheval, un soleil brûlant des collines rocailleuses, des bandits surgissant de nulle part… Hormis le chant des cigales, on s’y croirait. Mais pour que tout cela marche, il fallait de bons comédiens. En premier lieu, Sylvain Joubert, alors quasi inconnu, inaugurait là une carrière intéressante. Se montrant costaud, teigneux, mais aussi généreux et gardant pour lui sa part de mystère, le comédien fait corps avec son personnage. En second lieu, en face de lui, font merveille Claude Brosset et beaucoup d’acteurs indissociables de cette télévision disparue." (Michel Doussot).
DISTRIBUTION
Sylvain Joubert (Ardéchois coeur fidèle), Claude Brosset (Tourangeau Sans Quartier), Michel Robin (Louvigny), Raymonde Vattier (Mme de Sérignac), Francis Lax (Canardel), Hélène Dieudonné (Noémie Rouveyre), Pierre Guéant (Pontoise), Henri Marteau (Lyonnais), Claude Furlan (Bordelais), Alain Doutey (Maître Debrosses), Masha Gonska (Angeline), Julien Verdier (Salembières), Michel Pilorgé (Pujol), Philippe Nahon (Poitevin), Jeanine Souchon (Mère de Montpellier), Guy Kerner (Capelle), Jean Champion (oncle d'Ardéchois), Jacques Rispal (père d'Ardéchois)
Commentaires :
- Guy Kerner incarna le personnage Des Essarts dans de nombreux épisodes de "Thierry la fronde". N'oublions qu'il fut également opposé à Robert Etcheverry dans "Les Mohicans de Paris" (1973). Ainsi qu'à Jean-Claude Drouot dans "Gaston Phébus".
- Doit-on présenter Francis Lax, la voix française de David Soul dans "Starsky et Hutch" ? Toutefois, ne résumer sa carrière qu'à cela serait injuste tant il a oeuvré pour le théâtre par exemple...
- Jean Champion fut la vedette, avec Marc Lamole et Jean-Claude Balard, d'une belle série intitulée "La Brigade des Maléfices" (1971).
- Avec la participation du comédien Alain Doutey. Sa filmographie est impressionnante au petit écran. De surcroît, on l'a vu au cinéma dans des films tels que "Odette Toulemonde", "Mesrine : L'Ennemi Public n°1", "Safari", "Les Tuche", "Mais qui a re-tué Pamela Rose ?", etc.
FICHE TECHNIQUE
Réalisation : Jean-Pierre Gallo
Scénario, adaptation et dialogues : Jean Chatenet, Jean Cosmos
Administratrice de production : Céline Schwartz
Secrétaire de prodution : Mireille Salvat-Nyls
Musique : Gérard Gallo
Direction musicale : Michel Gannot
Directeur de la photographie : Jacques Renoir
Assistants-opérateurs : Jean-Jérôme Carcopino, Claude Masson, Christian Vivier
Scripte : Jacqueline Finas
1er assistant-réalisateur : Patrick Meunier
2ème assistant-réalisateur : Jean Dénuzière
Ingénieur du son : René Levert
Perchman : Christian Larouette
Décors : Serge Douy
Assistant-décorateur : Michel Varier
Accessoiriste : Michel Grimaud
Assistant aux décors : Michel Grimaud
Costumes : Sylvie de Segonzac
Maquillage : Maguy Vernadet
Montage : Danièle Anezin
Assistantes au montage : Jeannine Pommier, Geneviève Salvetti
Bruiteur : Jean-Pierre Lelong
Mixage : Jean Duguet
Combats réglés par : Claude Carliez
Cascadeurs : René Fossart, Guy Delorme, Eric Vasberg, Sylvain Levignac, Bruno Oppe, Antoine Baud, Daniel Vérité, Gérard Moisan, Yves Gabrielli, Stefan Gudju
Conseillers équestres : Manfred De Diepold, Francis Colombeau
Laboratoire : C.T.M.
Editions musicales : Top 2000
Production : ORTF (France) / Technisonor / Taurus Films (RFA) / SSR (Suisse) / RTBF (Belgique) (1974)