Par Christophe Dordain
"Un juge, un flic" est une série comptant deux saisons. Elles furent diffusées en 1977 et en 1979. Elle met en scène le juge Walder de Neuville et le commissaire Villequier, chargés au sein du SILI (Service d'Information et de Liaison Interministériel) de traquer les fraudes dans les hautes sphères de l'État. Au départ, la série s’appelait "Un sport nommé la loi". Mais, c'est Marie Saby, la scripte, qui un jour proposa à toute l'équipe un autre titre, "Un juge, un flic". Finalement, celui-ci emportera l'adhésion générale.
BREF APERCU DES SERIES POLICIERES EN FRANCE A LA FIN DES ANNEES 70
Entre 1975 et 1980, créneau temporel dans le cadre duquel apparaît la série "Un Juge, Un Flic", les personnages de policier sont singulièrement en vogue. Dans les lignes qui suivent, nous nous limiterons aux seules productions françaises. Quand le juge Walder de Neuville et le Commissaire Divisionnaire Villequier débarquent pour le premier épisode, intitulé "Un Taxi pour l'Ombre", les flics français sont déjà légion tant l'univers de la police et de ses enquêtes constituaient un vivier presque inépuisable pour les scénaristes.
Ainsi, "Les Cinq Dernières Minutes", qui avait fait la gloire de Raymond Souplex jusqu'à sa disparition en 1973, était-elle renée de ses cendres à partir du 10 mai 1975 sur Antenne 2. Reprenant le schéma initial lancé le 01 janvier 1958, à l'initiative de Claude Loursais, et comme le précisait C. Bernadac dans son article publié sur le net en avril 1998 : "la nouvelle équipe devait trouver les coupables de meurtres qui se produisaient dans des milieux sociaux-professionnels les plus variés : radios libres ("Crimes sur Mégahertz"), sectes ("Meurtres à la Baguette"), le monde des musiciens de jazz ("Pour qui sonne le jazz"), bûcherons ("Mystères et Pommes de Pin"), le minitel rose ("Fais-moi Cygne"), haute couture ("Un Modèle du Genre"), diamantaires ("Crime Blanc-Bleu"), prostitution ("La Ballade de Ménardeau"), etc. Après être restée en friche pendant deux ans suite à la disparition de Raymond Souplex, cette émission à succès retrouvait son rythme avec l'arrivée de Jacques Debary, alias le Commissaire Cabrol, qui insufflait un style différent de celui qu'avait imposé Raymond Souplex en incarnant le commissaire Bourrel : moins rude, plus humain et compréhensif, avec de temps en temps une pointe d'humour. La prestation faite par Marc Eyraud dans un rôle délicat d'adjoint brouillon est également digne d'éloge."
Une autre grande figure dominait le paysage télévisuel policier des années 70 en la personne du "Commissaire Moulin" qui mène sa première enquête à partir du 04 août 1976 sur TF1. Créée par Paul Andréota, cette nouvelle série "apportait l'image d'un flic nouvelle vague : jeune, décontracté et portant jeans et baskets. Cela donnait une couleur différente aux services de police et ravivaient celle-ci en leur apportant une nouvelle jeunesse et ceci deux ans avant la venue de "Starsky et Hutch"." (cf : C. Bernadac dans l'article cité ci-dessus).
Parmi les autres programmes prisés des téléspectateurs, on peut insister sur les séries suivantes :
- "Recherche dans l'Intérêt des Familles", dès septembre 1977 sur TF1, avec Dominique Paturel, qui avait incarné D'Artagnan en 1969;
- "Madame Le Juge" avec Simone Signoret. Une collection de cinq téléfilms diffusée à partir du 11 mars 1978 sur Antenne 2 où elle interprètait un juge d'instruction qui doit suivre les affaires qui lui sont confiées tout en restant plongée dans une vie quotidienne de Mme Tout le Monde, avec notamment un fils attiré par le milieu artistique. Elle reçoit une aide précieuse de son ami avocat dont le rôle est joué sur un ton pince-sans-rire par Michel Vitold. Dans ses investigations elle est accompagné de son greffier le jeune Jean-Claude Dauphin;
- "Miss" avec Danièle Darrieux, 6 épisodes dirigés par Roger Pigault et diffusés à partir du 26 juillet 1979 sur TF1, dans lesquels Danièle Darrieux campe le rôle d'une veuve de commissaire de police confrontée à différentes affaires policières. Cette quinquagénaire résout les problèmes grâce à son expérience et à un instinct féminin très développé. Elle entraîne dans ses aventures son ami Honoré interprété avec bonhomie par Jacques Morel, qui incarnera l'année suivante, de façon excellente, un magistrat dans la série "Julien Fontanes, magistrat".
Comme vous pouvez le constater, les téléspectateurs français étaient alors littéralement abreuvés de séries policières en tous genres. Aussi, n'était-il pas acquis par avance de pouvoir se distinguer du lot commun de la production télévisuelle, sauf à bien concevoir ses personnages et leurs intrigues et, surtout, sauf à bien sélectionner ses futurs interprètes...
A PROPOS DE LA SERIE
Comme le précisait Patrick Ouardes dans sa présentation de la série "Un Juge, Un Flic" sur le site Télé70.com : "l’intérêt de ce feuilleton réside à la fois dans le choix des deux acteurs principaux, Michel Duchaussoy et Pierre Santini, parfaits dans leurs rôles de juge et de commissaire, et dans le souci de faire écho à ce qui était alors l’actualité : magouilles immobilières, mystérieux agissements d’une secte, manipulations de la CIA, escroqueries dans le milieu du show-business et du football, trafics de drogue, trafics d’armes, rachats frauduleux d’entreprises… Par ailleurs, les épisodes permettaient de revoir de grands seconds rôles du cinéma français comme Jean-Paul Frankeur, Jean Mauvais, Maurice Biraud ou Marcel Dalio. On regrettera seulement que le format choisi de 55 minutes laisse parfois une impression d’inachevé et que les intrigues ne soient pas toujours très approfondies."
Même si les scénarios sont parfois un peu trop hâtivement expédiés par la réalisation, il n'en demeure pas moins que Henri Viard (scénariste de formation qui avait très largement contribué à la naissance des séries "Karatékas and Co" avec Jean Marais et "Aux Frontières du Possible" avec Pierre Vaneck, tout en menant en parallèle une collaboration active avec Michel Audiard ("Faut pas Prendre les Enfants du Bon Dieu pour des Canards Sauvages"), et de romancier) aura su donner aux enquêtes menées par Willequier et de Neuville une incontestable authenticité. Ajoutons à cela des dialogues ciselés qui permettent au duo de comédiens de se lancer dans de grandes tirades au hasard des épisodes pour le plus grand bonheur des amateurs de la maîtrise de la langue française portée à son apogée. On peut insister également sur la qualité des séquences d'action. Brèves, mais bien mises en images avec le concours des équipes chevronnées dirigées par Claude Carliez et par Rémy Julienne.
Terminons par les réaction de la presse face à la série "Un Juge, Un Flic" avec notamment cet article savoureux que l'on doit à la plume de Gabrièlle Rollin, dans le défunt journal L'Unité, en date du 27 mai 1977, article qui évoquait, par exemple, l'impact de la série à la suite de la diffusion de l'un de ses épisodes :
"On se disait : « C'est trop beau, ça ne peut pas durer ». Chaque vendredi soir. Antenne 2 offrait, avec "Un juge. un flic", un feuilleton sortant de l'ordinaire. Sous l'apparence anodine d'une comédie policière, Cette série s'aventurait dans les coulisses du Pouvoir et prenait la main dans le sac quelques notables au-dessus de tout soupçon. Des détournements de fonds publics à l'évasion de capitaux, des filières de la drogue aux combines de politiciens véreux, chaque épisode se glissait entre l'arbre et l'écorce, la politique et l'argent, nous révélant l'existence de l'étrange vermine qui s'y tapit. Pour mener l'enquête. un petit juge à moustache blonde et nom à particule, un homme très bien auquel on aurait donné la Légion d'honneur sans confession. Mais ne vous y fiez pas son acharnement le rend sourd aux conseils de prudence. sa lucidité le pousse à trahir sa classe. A son propre étonnement, il se retrouve « gauchiste malgré lui » et son avancement nous parait sérieusement menacé. Hésiterait-il à porter le fer dans la plaie, à démasquer les activités parallèles d'une certaine droite, que son ami le commissaire Willequier le rappellerait à l'ordre.
Les exploits de ces deux fins limiers refluaient au téléspectateur le goût de la justice. Car on y croyait. On oubliait qu'il s'agissait d'une fiction, tant les faits qui nous étaient contés s'inscrivaient dans l'actualité quotidienne. La preuve ? La mésaventure du patron de L'Anchoïade, un restaurant de Marseille qui, dans la nuit du vendredi 06 mai 1977, reçut une pluie de coups de téléphone Les uns annulaient une réservation, les autres s'inquiétaient des effets de ta mitraillade. "Quelle mitraillade ?" demandait le propriétaire ahuri. "Celle dont la télé vient de parler" lui répondait-on. En présentant le feuilleton, un journaliste avait, en effet, annoncé l'attaque du restaurant par une bande de racketteurs. Menacée de procès par le gargotier, Antenne 2 a promis de rectifier le tir et de signaler qu'on pouvait réserver à L'Anchoïade sans porter de gilet pare-balles. Ce quiproquo rend hommage au réalisme de Denys de la Patellière, le metteur en scène du feuilleton."
LES COMEDIENS
Michel Duchaussoy
Né à Valenciennes, le 29 novembre 1938, Michel Duchaussoy, après des études de lettres à la Faculté de Lille, monte à Paris en 1961. Il passe avec succès le concours du Conservatoire. Il aura pour professeurs Robert Manuel et Fernand Ledoux. A sa sortie, Michel Duchaussoy obtient deux premiers prix de comédie classique et de comédie moderne, à l'unanimité du jury. Un prix d'excellence couronnera le tout. Michel Duchaussoy effectue alors un long service militaire en Algérie, puis devient pensionnaire à la Comédie Française.
En 1966, il est nommé sociétaire et se diversifie dans des emplois et un répertoire très larges : "Les temps difficiles", "Le songe d'une nuit d'été", "Électre", "Le dindon", "Un fil à la patte", "Le misanthrope" La même année, il débute au cinéma grâce à Alain Jessua : "C'est le premier film que je tourne déclarait-il alors. On m'avait déjà proposé plusieurs rôles, mais aucun ne me plaisait vraiment Dès que j'ai lu le script de Jessua, j'ai été enthousiasmé." Claude Chabrol, qui se souvient de lui pour avoir assisté au concours du Conservatoire, lui fait jouer l'inspecteur de police dans "La Femme Infidèle". C'est le début d'une collaboration. Suivront en effet: "Que la bête meure", "La Rupture", "Nada", et pour la télévision "Nul n'est parfait", dans la série des "Histoires insolites" ainsi que "Le banc de la désolation", d'après Henry James. Par la suite, Michel Duchaussoy a continué d'apparaître sur le petit écran: dans "Un juge, un flic", en 1977; "Hamlet", de Jean Delannoy, en 1978; "Il était un musicien : "Strauss" d'Édouard Molinaro (1979); "Pétrus", de Marcel Achard; "Tarendol", d'après Barjavel; "Le coup d'État", de Jean Delannoy.
Homme des fidélités (à Chabrol, Delannoy, Vadim, Corneau), Michel Duchaussoy retrouvera Alain Jessua à deux reprises ("Traitement de choc" et "Armagudeon"), mais favorisera sa carrière au théâtre. "J'aime le Français, dit-il avec conviction. Je me sens bien dans la troupe. Je mûris avec elle. Je n'ai jamais songé à partir. C'est un métier plus exigeant que n'importe quel autre, et éprouvant pour les nerfs et la santé. Je me fixe pour but : une exigence toujours plus grande de moi-même. L'épreuve est de maîtriser, de dépasser cette difficulté que je m'impose." (source : Télé 7 Jours, numéro 979).
Papa de Vincent Cassel dans le diptyque consacré à Jacques Mesrine, Michel Duchaussoy nous a quittés le 13 mars 2012 après une ultime apparition dans une aventure d'Astérix au cinéma (sorti en octobre 2012 sur les écrans) : "Astérix et Obélix : Au service de sa Majesté".
Pierre Santini
Pierre Santini est né à Paris le 09 août 1938. Comédien et metteur en scènes, il a côtoyé, au cinéma, de très grands réalisateurs : Claude Chabrol, Claude Lelouch. Il s’est illustré dans des séries télévisées à fort succès : "Navarro", "Commissaire Moulin", "Une femme d’honneur". Il a joué dans plus de cinquante pièces et dirige le Théâtre Mouffetard.
C’est au TNP de Vilar, et auprès de Jacques Lecoq, que débute sa carrière. Il retient les enseignements de Georges Wilson, Jean-Pierre Darras, et d’Alain Cuny. A vingt ans, il travaille dans les théâtres subventionnés de la capitale. Il crée une compagnie de théâtre, dès 1975. En 1983, il lance, à Champigny, le Théâtre des Boucles de la Marne ou il dispense ses enseignements jusqu’en 1986. Entre 1983 et 1986, il intervient au sein de l’Ecole privée de l’Aktéon et dirige, en 2000, à Yssingeaux, un stage consacré à la tragédie shakespearienne et à la folie.
Concernant sa carrière au petit écran, il incarne Julien Durtol, aux côtés de Christian Barbier, dans la série "L'Homme du Picardie", en 1968, puis interprète Servais dans "Jean-Roch Coignet", un feuilleton très populaire en France en décembre 1969 et qui mettait en vedette l'acteur-cascadeur Henri Lambert. Au début des années 70, il bénéficie d'une soudaine et large popularité en jouant un avocat dans le feuilleton "François Gaillard ou la Vie des Autres" (diffusé du 28 décembre 1971 au 18 février 1972 sur la 1ère chaîne de l'ORTF).
Après les deux saisons de la série "Un Juge, Un Flic", programmée en 1977 et en 1979, Pierre Santini a retrouvé un rôle régulier dans "Le Lyonnais", avec Kader Boukhanef, dont les 9 épisodes de 96 minutes ont été diffusés du 20 mai 1990 au 30 octobre 1992 sur Antenne 2. Plus récemment, il aura tenu le rôle du père d'Alice Nevers dans la série "Alice Nevers : le Juge est une Femme" entre 2009 et 2010.
Ainsi, durant sa carrière, Pierre Santini est intervenu sur dix-neuf films, dont de grands classiques tels que : "Paris brûle-t-il ?" de René Clément, une vingtaine de séries télévisées en tant que vedette-invitée et cinquante-six pièces de théâtres. Il a collaboré avec les plus célèbres metteurs en scènes : Jean Vilar, Peter Brook, Claude Chabrol, Claude Lelouch. Il est enfin Chevalier des Arts et des Lettres et Chevalier de l'Ordre national du Mérite.
INTERVIEW DE PIERRE SANTINI A PROPOS DE LA SERIE "UN JUGE UN FLIC"
En commissaire Villequier, Pierre Santini a été, aux côtés de Michel Duchaussoy, le héros de cette série au ton un peu différent, "Un Juge un Flic". Voici un costaud à l'air solide et calme, l'œil aux aguets, le sourire direct. Car Pierre Santini parle de ce qu'est un feuilleton télévisé, son impact, le travail qu'il demande aux comédiens. Surtout, il précise les limites d'un genre qui, comme une chanson, peut faire passer une idée mais pas changer le monde...
Pourquoi cette série a-t-elle tant plu au grand public français ?
Je crois que "Un Juge, un Flic" a plu au public surtout par le couple formé par Duchaussoy et moi. Ce que nous avions essayé d'y mettre, c'est-à-dire de l'humour, un rapport moderne, rare, et très bien passé. La série avait l'avantage d'être française tout en ayant la qualité de ton et d'action d'une bonne série américaine.
II y avait aussi un ton un peu nouveau dans "Un juge, un flic", un peu polémique et critique.
Peut-être aussi, oui. Sans doute était-ce intéressant pour les gens de voir tout à coup, même de façon assez simplifiée, dénoncer des pratiques peu correctes du monde de la haute finance. Mais nous pas essayé de faire des références précises à des affaires récentes. Parce que nous n'avons pas à donner notre interprétation de la réalité. Si nous voulions la donner, nous n'utiliserions pas le procédé du feuilleton. Ce serait plus de la compétence du cinéma de le faire parce que je crois que le feuilleton est un genre qui a ses limites.
Quelles limites et comment sont-elles définies ?
Le feuilleton, d'abord, a un rythme périodique et fonctionne selon certaines habitudes d'écoute. C'est un genre contraignant ; il ne permet pas de traiter certains sujets avec tout le regard critique, toute l'indépendance qu'on pourrait souhaiter. Pourtant, c'est intéressant un feuilleton, parce que c'est très regardé, mais il doit être plus schématique. Il cherche une audience particulière, il s'adresse autant aux enfants qu'aux adultes. Il y a une exception : "Scènes de la vie conjugale", de Bergman. Mais "Un Juge, un Flic" reste quand même un de ceux qui ont été le plus loin. Certaines réactions nous l'ont montré ; des réactions hostiles dans les milieux critiqués par la série ; le patronat, par exemple, s'est senti visé.
Est-ce vraiment une fatalité de considérer que le feuilleton a plus de limites que la dramatique et plus encore que le cinéma ?
Pour le moment, c'est comme ça. Je ne dis pas que ça ne peut pas être différent. Une œuvre dramatique, un film, c'est un tout, une fable, une parabole qu'on raconte. Le public peut facilement en faire le tour, l'analyser, le critiquer. Un feuilleton, lui, évolue dans le temps, sa seule continuité est dans la fidélité du téléspectateur.
Mais chaque élément de la série "Un juge, un flic" pourrait-il être considéré comme une petite œuvre dont on peut faire le tour ?
C'est trop court en une heure. Si on veut bénéficier d'un certain impact, il faut prendre le temps d'exposer les données de l'histoire. Il faut au moins une heure et demie pour raconter quelque chose. Un feuilleton est forcément plus schématique, plus simplement rapporté ; il y a des ellipses, des invraisemblances. La Patellière a fait je crois le mieux qu'il pouvait dans le cadre de 55 minutes et des moyens relativement réduits d'une série. Il a même réussi à donner une facture de film. Alors, qu'est-ce qui reste, finalement ? Le plaisir qu'éprouve le téléspectateur à voir une histoire et surtout des personnages qu'il reconnaît. Si les rapports entre ces personnages sont intelligents, sensibles, ça fonctionne. C'est ce qui s'est passé dans "Un juge un Flic", comme cela s'était passé dans "François Gaillard". C'était un jeune avocat qui traitait huit affaires judiciaires ; un très bon avocat, généreux, honnête, se battant comme un forcené. C'était plein d'humanité et de vérité et ça traitait de sujets qui concernaient beaucoup les gens comme le racisme, la réinsertion des détenus ou l'adoption. Le public s'y retrouvait peut-être plus que dans "Un Juge, un Flic" : le divorce, ça concerne plus les gens que la fraude à la T.v.a. Mais, au contraire, le feuilleton habituel traite de petits problèmes banals de la vie quotidienne ou de fiction improbable. Là, on parlait de choses réelles et graves, de la malhonnêteté à haut niveau.
Comment avez-vous travaillé sur le tournage de "Un juge, un flic" ?
Nous avions des scénarios clairs. Notre but, à Duchaussoy et à moi, a été de développer le couple, d'aller plus loin dans l'humour et dans la complexité des rapports entre les deux personnages. Et nous nous sommes bien amusés. Certaines fins d'épisodes n'ont jamais été écrites. Henri Viard, le scénariste, et Denis de La Patellière étaient ravis parce que ça nourrissait ce qu'ils avaient voulu au départ : on ne faisait pas n'importe quoi ; on s'amusait dans le sens des personnages ; parce que c'est difficile de montrer des personnages qui ont des fonctions différentes, qui appartiennent à des classes sociales différentes. Il ne faut pas non plus jouer les boy-scouts ou créer des stéréotypes. Il faut que ce soit possible. Alors, quand nous étions sur de bons rails, nous poussions la chose jusqu'où on pouvait. Je crois que si on refait une série, nous irons plus loin . Nous participerons de plus près à l'écriture du scénario. Parce que nous avons inventé des choses, créé tout un tissu de rapports entre nous que maintenant il faut enrichir et développer. Maintenant, je sais plein de choses sur le commissaire Villequier. J'aimerais en discuter avec les auteurs, avec mon partenaire, avec le metteur en scène. J'ai envie de mieux montrer les différences de fonction entre le juge et le flic, de développer l'humour et l'action et les rapports de vie quotidienne des protagonistes.
Vous choisissez de faire des feuilletons en fonction de quels critères ?
Le premier critère de choix, c'est avant tout le sujet, Et le deuxième, c'est le metteur en scène. Pour la télévision, il faut que le sujet témoigne du monde réel. Avec un certain respect pour l'homme, pour les personnages. Je souhaite que les rapports entre les personnages soient étudiés avec suffisamment de profondeur, d'humanité. Je ne veux pas non plus faire de films qui endorment les gens, qui peignent tout en rosé-bonbon. Je préfère faire des choses plus critiques, qui réveillent, qui stimulent. C'est plus facile au théâtre. A la télévision, le produit est plus contrôlé, plus distillé. Nous sommes aussi freinés par les normes de fabrication du feuilleton. Par exemple, pour des questions d'organisation et de budget, nous avons tourné toutes les scènes des six histoires qui se passaient dans les bureaux du juge ou de Villequier en même temps. Ces exigences inhérentes au feuilleton, c'est aussi une gymnastique ; je compare souvent ça à un marathon ; à une course de fond. Nous avons tourné les six heures, l'équivalent de quatre longs métrages, en cinq mois... Il faut être en forme tous les jours, égal à soi-même. Les personnages doivent donner une même image d'eux-mêmes, pour que le téléspectateur la retrouve. Mais en cinq mois, on évolue. C'est une gymnastique très particulière qui demande de la santé, du souffle, un certain équilibre. Mais c'est une des rares occasions du métier d'acteur, quand on a un rôle important, d'être presque complètement intégré au reste de l'équipe technique. On est là tout le temps, presque tous les jours. Une complicité s'installe sur le tournage.
Croyez-vous qu'il faille donner une interprétation politique dans "Un Juge, un Flic" ?
On peut le voir comme ça. Comme l'a fait le journal Minute. Toute œuvre dramatique a un contenu idéologique. A partir du moment où on dénonce les pratiques malhonnêtes de la haute bourgeoisie, un certain nombre d'idées se dégagent. Mais dire qu'il y a une, volonté politique cohérente derrière, c'est absurde. D'abord parce qu'un service comme le S.i.d.i. c'est complètement invraisemblable ; cela vaudrait dire qu'il y a une justice pour les riches ? On pourrait aussi trouver que "Un Juge, un Flic" va dans le sens d'un gouvernement qui a le mérite de créer un service d'incorruptibles pour montrer que l'Etat bourgeois se protège contre les brebis galeuses... C'est le propre même du feuilleton : chacun y prend ce qu'il veut. Je crois qu'on peut très bien parler de façon critique de la société dans laquelle on vit et que, de toutes façons, c'est sain de le faire même dans des œuvres aussi simples et populaires que le feuilleton. Mais, pour que la portée en soit réelle, il ne faut pas pécher par excès de parti-pris. Il ne faut pas avoir une volonté trop polémique : le sujet deviendrait trop schématique. En fait, il vaut mieux savoir dans quel cadre ses idées peuvent passer positivement. Et je ne crois pas que la série, dans l'état actuel des choses, soit un terrain favorable. Je préfère me battre sur d'autres terrains. Le feuilleton, c'est un divertissement, un contact avec le public, Par ce contact, on favorise des éléments de réflexion et de sensibilisation, Mais il faut rester léger, suggérer. Finalement, ce qui était bien dans "Un Juge, un Flic", c'était les deux personnages qui cohabitaient bien ensemble, aussi bien comme êtres humains que dans leurs fonctions. Et on montrait des choses que les gens n'ont pas l'habitude de voir, c'est-à-dire comment, avec de l'argent et du pouvoir, une société donnée peut favoriser l'escroquerie. Pour le reste, le feuilleton est un genre qui a ses limites. Là, nous les avons repoussées un peu. Mais très peu.
(Propos recueillis par Frédérique de Gravelaine pour le journal L'Unité, le 27 mai 1977).
FICHE TECHNIQUE
Création : Henri Viard
Adaptation : Henri Viard, Denys de la Patellière
Directeur de production : Guy Delooz
Production : Jean-Michel Taillefer, Françoise du Bouchet
Assistante de production : Lisette Le Pêcheur
Script-girl : Marie Saby
Directeur de la photographie : Louis Chrétien
Musique : Georges Carvarentz
Cadre : Lucien Miska, Guy Manièvre
Assistants-réalisateurs : Daniel Bart, Jeanne Barbillon
Casting : Bernard Malaterre
Décors : Daniel Heitz, Martine Lebaigue
Maquillage : Marie-France Leguillou
Montage : Frédérique Poulaillon, Michel Girard, Monique Laurent
Son : Charles Rabeuf, Michel picardat
Effets sonores : Daniel Couteau, Gérard Manneveau
Costumes : Jean-Philippe Abril, Daniel Droegmans, Monique Plotin, Michèle Cadin, Louis Tournie
Habilleuse : Jacqueline Picardat
Ensemblier : Daniel Pierle
Accessoires : Christian Pestour, Bernard Sans
Régisseur : Jean-Pierre Innocenzi
Coordination des cascades : Claude Carliez
Cascadeurs : Alain Saugoult, Jacques Vandooren, Michel Berreur, Guy Delorme, Sylvain Lévignac, Gérard Moisan, Roland Neunreuther, Henri Lambert, Guy Di Rigo, Alain Barbier, Daniel Perche, Jacques Brécourt, Daniel Breton, Patrick Laclau
Cascades automobiles : Rémy Julienne
Effets spéciaux : Marc Cauvy
Mixage : Christian Londe
Production : Antenne 2 / R.T.B.F. / S.S.R. (1977/1979)