Par Christophe Dordain
Ce n'est pas une défaillance de votre téléviseur, n'essayez donc pas de régler l'image. Nous avons le contrôle total de l'émission. Contrôle du balayage horizontal, contrôle du balayage vertical. Nous pouvons aussi bien vous donner une image floue qu'une image pure comme le cristal. Pour l'heure qui vient, asseyez-vous tranquillement. Nous contrôlerons tout ce que vous verrez et entendrez. Vous allez participer à une grande aventure et faire l'expérience du mystère avec "Au-delà du réel." (vf : Jacques Deschamps).

LE CONCEPT
C'est donc par ces quelques mots inquiétants qu'en 1963, très précisément à 19h30, sur la chaîne ABC, apparaissait sur les écrans américains une nouvelle série intitulée "Au-delà du réel".
Les origines de la série
L'origine de ce programme, devenu culte depuis plus de 60 ans, remonte à 1962. Tout débute par une conversation entre Leslie Stevens (producteur indépendant, ancien dramaturge, et scénariste du magnifique film "Le Gaucher" d'Arthur Penn, en 1958, avec Paul Newman) et Daniel Melnick, directeur de la programmation d'ABC. Depuis déjà trois ans, Rod Serling et sa "Quatrième dimension" faisaient un tabac tous les vendredis soir chez le réseau concurrent CBS.
Aussi, ABC cherchait-il de nouveaux programmes susceptibles de s'inscrire dans cette vague fructueuse. Le but est donc de produire une série de science-fiction. En fait, une véritable anthologie (sans aucun personnage récurrent) dans le cadre de laquelle apparaîtrait un monstre nouveau. Si possible dans les cinq dernières minutes de chaque épisode.
La production d'"Au-delà du réel"
Pour parvenir à ses fins, Leslie Stevens (qui venait de lancer une nouvelle série, "Stoney Burke", avec Jack Lord) ressent le besoin d'être aidé. Il fait appel dans ce but à Joseph Stefano (adaptateur-scénariste de "Psychose" d'Alfred Hitchcock) pour l'écriture du pilote. Ce dernier va devenir rapidement le grand patron de la série. Travaillant 18 heures par jour, il édicte des règles très strictes quant au contenu du show. Notamment pour ce qu'il appelle "The Bear" (la créature ou phénomène monstrueux sur lequel est basé chaque épisode).
La conception et la réalisation de ces monstres mobiliseront un régiment d'artistes (Wah Chang entre autres) ainsi qu'une société spécialement fondée pour en modeler les têtes : Project Unlimited. Le budget de chaque épisode avoisinant les 150 000 dollars dont environ 10 à 40 000 dollars pour la créature. Toutefois, cette dernière est d'une qualité variable suivant les histoires, il faut bien le reconnaître. Au fond, elle reflète les moyens dont on disposait à l'époque surtout pour un budget de série télé.
Un style visuel marquant
Dans un style que n'aurait pas renié le producteur Quinn Martin, Leslie Stevens décide d'utiliser la voix de Vic Perrin afin de créer une présence invisible et inquiétante. Une voix introduisant et commentant l'histoire de la semaine. Joseph Stefano eut, lui, l'idée d'embaucher des techniciens à même d'expérimenter des techniques quasi inédites pour le petit écran : grand angulaires et tournage en semi-obscurité. Le tout destiné à intensifier le côté fantastique du programme. Parmi les chefs opérateurs, on peut mentionner Conrad Hall (qui assuma, par exemple, la photographie de l'excellent film qu'est "Les Sentiers de la Perdition" avec Tom Hanks, Paul Newman et Daniel Craig). Pour les metteurs en scène : Gert Oswald, Laslo Benedek, Leonard J. Horn, Alan Crosland Jr, Byron Haskins, Abner Biberman, Robert Florey, John Erman et James Goldstone.
Joseph Stefano écrira 11 épisodes de la première saison. Au casting desquels, on retrouve quelques héros de série tels David Mc Callum ("L'homme invisible") et Barry Morse ("Le fugitif", "L'aventurier" et "Cosmos 1999". Mais aussi de futures stars du grand écran : Robert Duvall, Cliff Robertson et Donald Pleasence pour ne citer qu'eux.
La diffusion et la réception de la série
Dès les premières diffusions, la série est l'objet de virulentes critiques. Elles sont généralement railleuses envers les créatures. Pourtant, le succès public est au rendez-vous. Les téléspectateurs sont ravis de retrouver dans leurs téléviseurs des monstres comparables à ceux du cinéma de l'époque. Dans cette première saison, se trouvent de petits bijoux. Citons entre autres "Les forçats de Zanti" (où notre terre sert de bagne pour les criminels de la planète Zanti), ou bien "Du fond de l'enfer" (le dernier épisode de la saison 63/64).
Ainsi "Au-delà du réel" aura su exploiter une veine différente de "La Quatrième Dimension". Là où cette dernière suggérait la peur, l'autre prend le parti de flanquer la trouille comme au Grand Guignol, mais non sans poésie. Chaque épisode est axé autour d'une nouvelle créature bien repoussante et souvent hostile : insecte géant, plante vertigineuse, minéraux intelligents, humanoïde détraqué, robot criminel, mollusque gluant ou savant fou, venus des profondeurs sous-marines, de mondes parallèles, de lointaines galaxies, d'autres dimensions, de déformations du temps ou parfois même, et c'est indéniablement pire, de notre quotidien. Il s'agit donc de confronter des êtres humains normaux à des dérapages non contrôlés dans l'irréel.
Une seconde saison inachevée
Face à un succès aussi probant, une seconde saison est envisagée. Cependant, à un horaire différent. La série "Au-delà du réel" glisse donc du lundi soir au samedi soir. Et son concurrent direct est désormais "Flipper le dauphin" ! Ou comment opposer deux programmes diamétralement distincts dans leur contenu !
Joseph Stefano, furieux, quitte alors la production. Aussi, est-il remplacé par Ben Brady. Ce dernier impose d'emblée ses idées. Soudainement, exit les monstres ! Place à une série plus conventionnelle et scientifique dans son contenu. Mais aussi plus sage également dans sa réalisation. Moins novateur, le programme ne perd pas pour autant de son intérêt. Effectivement, voici un exemple avec l'épisode "La main de verre" (écrit par Harlan Ellison et interprété par Robert Culp) qui le révélateur de la qualité atteinte par la série. Toutefois, le changement d'horaire est fatal. "Au-delà du réel" s'arrête donc après 17 épisodes diffusés Nous sommes le 16 janvier 1965.
LA DIFFUSION EN FRANCE
Un cas d'école ! En effet, il faut souligner que la série avait été intégralement doublée et donc prête à la diffusion. Toutefois, elle connaîtra comme une forme d'errance avant de rencontrer son public. C'est pourquoi il est singulièrement difficile de pouvoir repérer avec exactitude les premières diffusion de "Au-delà du réel" par l'ORTF.
Par exemple, pour les tous premiers épisodes diffusés en France, on annonce une date dans Ciné Revue, mais pas dans Télé 7 Jours. Un constat qui est identique en consultant le livre que Didier Liardet a consacré à la série. Ainsi, annonce-t-on la date du 14 juillet 1972 sur la 1ère chaîne de l'ORTF pour l'épisode "Attraction pour touristes". Le constat est ensuite similaire pour "La plante inconnue" (le 16 septembre 1972). Mais aussi pour le double-épisode "Les Héritiers" (les 16 et 17 novembre sur la 2ème chaîne de l'ORTF). Aussi, ce double-épisode en question fut-il finalement proposé tel un programme de remplacement après un mouvement de grève ou autre ? Difficile finalement de le confirmer...
Tant et si bien que c'est grâce à l'excellente émission de Guy Lux, la seule et unique "La Une est à Vous", que la série connaîtra enfin un succès largement mérité. Un total de 18 épisodes sera donc diffusé qui a marqué toute une génération de jeunes téléspectateurs...
L'EQUIPE DE PRODUCTION
Producteurs : Joseph Stefano, Ben Brady
Producteur exécutif : Leslie Stevens
Producteurs associés : Leon Chooluck, Sam White, Lou Morheim, Dominic Frontiere
Coordination de la production : Elaine Michea
Supervision des scripts : Hope McLachlin, George Rutter, Helen Gailey, Robert Gary, Frank Kowalski
Musique : Dominic Frontiere, Harry Lubin, Robert Van Eps
Supervision de la musique : John Elizalde, John Caper Jr
Coordination de la musique : Roger A. Farris
Directeurs de la photographie : Kenneth Peach, Conrad L. Hall, John M. Nickolaus Jr., Fred J. Koenekamp
Montage : Anthony DiMarco, Fred Baratta
Supervision du montage : Richard K. Brockway
Responsables de casting : Meryl O'Loughlin, Harvey Clermont
Consultant au casting : John Erman
Direction artistique : Jack Poplin
Décoration de plateau : Chester Bayhi
Supervision des maquillages : Fred B. Phillips
Maquillage : John Chambers
Coiffures : Shirley Althouse
Costumes : Forrest T. Butler, Sabine Manela
Responsables de production : Lindsley Parsons Jr., Claude Binyon Jr., Robert H. Justman
Assistants à la réalisation : Robert H. Justman, Lee H. Katzin, Claude Binyon Jr., William P. Owens, Phil Rawlins, Gregg Peters, Wilson Shyer, Rusty Meek
Montage des effets sonores : Arthur Cornell
Mixage du son : Jay Ashworth, Ralph Butler
Effets spéciaux : Thol Simonson, Harry Redmond Jr., Pat Dinga, Jack Erickson, Harold W. Smith
Effets visuels spéciaux : Jim Danforth, Paul LeBaron, Ralph Rodine
Effets optiques : M.B. Paul
Cascadeurs : Paul Stader, Bill Catching, Chuck Hayward, George Robotham, Matty Jordan, Dennis McCarthy, Roy Jenson, Richard Farnsworth, Helen Thurston, Fred Stromsoe, Louie Elias, Robert 'Buzz' Henry, Jack Perkins, Boyd 'Read' Morgan
Production : Villa Di Stefano, United Artists Television, Daystar Productions (1963/1965)
SOURCES CONSULTEES
- Tout d'abord, "Fifty Years of Television" par Vincent Terrace (1987),
- "Télé-feuilletons" de Jean-Jacques Jelot-Blanc (1989),
- Ensuite, "Les grandes séries américaines des origines à 1970" aux éditions Huitième Art,
- "The Encyclopedia of TV Science Fiction" de Roger Fulton, éditions TV Times, 1990,
- "Science Fiction, Horror & Fantasy Films and television Credits" de Harris M. Lentz III, 1994, éd : McFarland,
- Enfin, "30 ans de feuilletons et de séries à la télévision" de Jean-Jacques Jelot-Blanc (1984).