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Nip Tuck, créée par Ryan Murphy : La série

Par Thierry Le Peut

 

SYNOPSIS

Sean McNamara et Christian Troy sont amis depuis la faculté de médecine. Chirurgiens plasticiens, ils ont installé leur clinique à Miami. Ils ne reculent devant rien pour faire tourner leur affaire. Surtout Christian, play-boy sans scrupule, VRP de charme dont le métier agit comme un aimant sur les femmes. Sean a plus d'éthique et souhaiterait moraliser ses interventions.

ANALYSE

Moins habitée par l’ombre et les nuances de gris qu’"Urgences", "Grey’s Anatomy" se veut optimiste. Ce n’est pas toujours le cas de "Nip/Tuck". Une série qui prend ses quartiers dans une clinique privée dirigée par deux chirurgiens esthétiques, les docteurs Troy et McNamarra, à Miami.

L'envers du décor

Loin de l’inexpérience des internes de "Grey’s Anatomy", les médecins de "Nip/Tuck" sont parmi les plus compétents de leur profession et recrutent leur clientèle dans les milieux huppés et branchés de la ville. On pourrait croire que pour eux tout est rose et vert. D’autant que McNamarra a une famille et une belle maison. Quant à son comparse, il conduit des voitures luxueuses et fréquente les boîtes à la mode. Mais les choses ne sont jamais si simples. En effet, la famille du premier est en train d’imploser lentement. Les frasques du second dissimulent une incapacité à assumer un passé difficile et un présent qu’il brûle plus qu’il ne le vit.

Quant à l’exercice de la chirurgie esthétique, la série nous le montre aux antipodes de l’image glamour qu’en proposent les magazines dédiés à la beauté artificielle. Ainsi, dans la salle d’opération, le corps n’est plus qu’un matériau sur lequel les médecins pratiquent un art plus proche de la charcuterie et de la boucherie que de la chirurgie aseptisée dont les magazines ne montrent que les meilleurs résultats.

C’est l’envers du décor que nous montre, avec complaisance, la caméra de "Nip/Tuck". Voici donc la chair molestée, les peaux découpées, les os rabotés. Entre les mains des chirurgiens, le corps n’est pas une personne mais un motif. Sur celui-ci, ils dessinent au marqueur rouge les parties à corriger, celles qui font défaut, celles qui sont en excédent, celles qu’il faut retoucher.

Une quête de perfection

L’archétype de cette opération est montré dans le premier épisode. Dans ce dernier, Troy « retouche » au marqueur une femme séduisante qu’il a rencontrée la veille et avec qui il a passé la nuit. Sur son corps nu apparaissent désormais les « stigmates » repérés par l’œil intransigeant du praticien. Belle, cette femme n’obtiendra grâce à ses yeux qu’une fois qu’il l’aura rendue parfaite. Mais, dès l’opération effectivement réalisée, Galatée découvre que son Pygmalion l’a déjà délaissée.

Telle est la problématique du personnage de Troy : une quête de perfection absolue dont le médecin fait son fonds de commerce mais qui cache en vérité chez l’homme l’impuissance devant le monde tel qu’il est, et l’incapacité à accepter les gens tels qu’ils sont. Entre ses mains, la chirurgie esthétique devient l’art de disputer à la nature – à Dieu ? – le contrôle final sur la matière humaine.

McNamarra n’est pas si névrosé. Moins cynique et moins obsédé par la perfection, il exécute son travail avec la conscience d’un bon professionnel. Mais, tout autant que Troy, il reporte sur ce travail les préoccupations et les imperfections de sa vie privée. Son mariage bat de l’aile. Les rêves d’étudiants qui l’ont conduit, avec Troy, à monter une clinique désormais réputée, ont en même temps réduit la femme dont ils étaient amoureux tous les deux à devenir une mère au foyer insatisfaite et frustrée qui brusquement ne supporte plus de n’être que l’épouse. Désormais, elle aspire à réaliser elle-même la réussite professionnelle à laquelle elle a renoncée.

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Crédits photo : Warner Bros. Television / Ryan Murphy Productions
Classique triangle

Les trois personnages forment un triangle amoureux des plus classique : l’homme dépassé, la femme frustrée et l’« ami » rassurant mais, au fond, incapable d’apporter un nouvel espoir. De cette situation de base, dans laquelle chacun apporte ses propres carences, ses doutes, ses aspirations contradictoires, naissent la plupart des situations secondaires des épisodes de la série. Ce sont ses frustrations à la maison qui poussent McNamarra à changer sa manière de gérer la clinique. Ce sont elles aussi qui conditionnent souvent son attitude vis-à-vis des patients. Les patients, justement, sont très importants dans la série. Rien d’étonnant, dans un programme axé sur la chirurgie esthétique, à ce que la différence soit l’un des thèmes majeurs.

Les deux médecins ont à son égard des attitudes apparemment opposées mais finalement contradictoires. Le plus « coincé » des deux, McNamarra, réagit parfois avec maladresse et étroitesse d’esprit, notamment lorsqu’un jeune transsexuel se présente à lui. A contrario, Troy semble plus ouvert. Il fréquente volontiers les milieux où certaine forme de différence est reine. Troy est adepte de surcroît des expériences sexuelles les plus variées. Aussi, il accueille avec plaisir les clients les plus excentriques.

L’un et l’autre, pourtant, sont placés au hasard des rencontres et des opérations, qui sont autant de défis, devant leurs propres difficultés à gérer la différence. Là où l’un veut tout corriger et vend volontiers la perfection, l’autre est pétri de doutes et cherche d’abord à savoir ce qui motive les patients, au point de vouloir qu’un psychologue soit présent à chaque entretien avec ceux-ci.

Toujours, ce que la série montre et met en perspective c’est la difficulté à gérer la réalité, à assumer une personnalité dont le corps est l’image ; ce qu’elle dénonce, c’est l’erreur de croire que la « correction » de cette image suffit à résoudre tous les problèmes. Ainsi de ces jumelles qui pensent affirmer leur différence en changeant leurs corps. Puis, qui, après l’opération, réalisent qu’elles ne supportent pas de ne plus se reconnaître l’une dans l’autre.

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Julian McMahon et Dylan Walsh - Crédits photo : Warner Bros. Television / Ryan Murphy Productions
Une série-phare des années 2000

Il y a évidemment plus à dire sur "Nip/Tuck", qui aura été l’une des révélations des années 2000. La réduire à une réflexion sur l’être et le paraître est injuste et il faut en voir les épisodes pour apprécier les nuances par lesquelles scénaristes et réalisateurs font passer leur propos. Mais, ce qui est clair, c’est qu’en ayant choisi la même profession que "Grey’s Anatomy", la chirurgie, "Nip/Tuck" se déroule dans un univers bien plus sombre et tragique, où chacun est, d’une manière ou d’une autre, prisonnier de lui-même sans qu’une morale rassurante vienne adoucir chaque fin d’épisode.

Ainsi, du médecin au policier, il n’y a qu’un pas. L’un comme l’autre, sous le couvert de leur métier, approchent l’âme des gens qu’ils croisent et travaillent en même temps à explorer la leur. Certes, les séries de Bruckheimer, qu’il s’agisse des "Experts", de "FBI portés disparus" ou de "Cold Case" (inspirée, même si le générique ne le mentionne pas, de la série canadienne "Cold Squad, Brigade spéciale"), ne sont pas construites autour des blouses blanches (ou bleues) – encore que les différentes équipes d’Experts exercent en laboratoire.

Pourtant le « procédé » grossissant de ces séries médicales et policières est très similaire ; les unes comme les autres font passer par le prisme de leurs protagonistes un concentré remarquablement riche de ce qui compose les sociétés qui les produisent. L’essentiel en effet n’est pas forcément dans la résolution d’une énigme, qu’il s'agisse de retrouver une personne disparue, d’identifier un coupable ou de faire la lumière sur des événements vieux parfois de plusieurs dizaines d’années. Non, l’important est la charge humaine, émotionnelle, que comporte chaque affaire, et la nécessité dans laquelle sont les enquêteurs, ou l’opportunité qui leur est donnée, de mettre au jour une personnalité, un sentiment, un drame sur lequel s’est fondée l’affaire.

C’est là l’essence du policier comme de la fiction médicale, mais une essence que n’a pas toujours exploité la télévision : dans "Cannon" ou dans "Starsky et Hutch", mais même dans nombre d’épisodes de "Kojak", la structure primait sur les caractères et il n’était pas si courant de toucher « l’âme » d’une société. De même les problèmes que "Marcus Welby" et son jeune assistant étaient chargés de résoudre chaque semaine s’inscrivaient dans un cadre que l’on jugerait aujourd’hui assez contraignant et restreint, imposé par une certaine frilosité des producteurs et des diffuseurs.

La liberté de ton et de thèmes en vigueur dans les actuels programmes policiers et médicaux – mais pas uniquement – est sans commune mesure avec ce que l’on (s’)autorisait alors. Ce que ces séries explorent ont exploré en profondeur et "Nip Tuck" notamment. C’est ce que nous appelons « la psyché de la cité », ou les ressorts plus ou moins cachés qui font agir l’Homme.

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