Par Thierry Le Peut
LE LANCEMENT
A l'époque qui nous intéresse (1976), Stephen J. Cannell est encore débutant mais n'est déjà plus un inconnu. Il a en effet créé et produit avec Roy Huggins (le créateur du "Fugitif" que produisit Quinn Martin dans les années 60) la série de détective privé "Deux cents dollars plus les frais", avec James Garner dans le rôle du privé Jim Rockford, le père spirituel de "Magnum", ainsi que "Baretta" avec Robert Blake. Garner comme Blake sont de fortes pointures, avec lesquelles il est indispensable de savoir dialoguer sur un plateau pour éviter parfois des déconvenues. Aussi, est-ce la raison qui pousse Universal, studio producteur de "200 dollars plus les frais", à confier à Cannell le livre d'un « dur à cuire » de la Seconde Guerre mondiale, Gregory Boyington, colonel à la retraite qui a couché sur les pages de Flying Misfits les souvenirs de ses années de combat aérien dans le Pacifique sud, face à l'adversaire japonais ? C'est bien probable.
Toujours est-il que le bouquin atterrit entre les mains de Cannell. Ce dernier est invité à plancher sur une série que NBC voudrait diffuser dès la rentrée suivante, en 1976. Le délai est court. Cependant, ce n'est pas un problème pour Cannell, qui a l'habitude de travailler vite. Il se définit lui-même comme un malade de l'écriture. Pourtant affligé d'un problème de dyslexie, il n'en noircit pas moins des pages par dizaines, les confiant ensuite à son assistante pour qu'elle les retape ! Voilà donc le bonhomme plongé dans les souvenirs de guerre de Boyington. Ce dernier étant placé durant la Seconde Guerre mondiale à la tête d'une escadrille de fortes têtes amenées à devenir les « terreurs du Pacifique ». Un Cannell sans doute perplexe devant le moyen d'adapter ce livre en série. Le tout en le faisant entrer dans les impératifs d'une production télé hebdomadaire.
Mais le scénariste producteur n'en commence pas moins à noter les éléments qu'il souhaite conserver de ce livre pour les intégrer à un script où l'on sent la « patte » du futur co-créateur de "L'Agence Tous Risques". A ce titre, dans le script qu'il livre à Universal, Boyington est une « tête brûlée » qui passe outre les règlements de l'Armée. Aussi se révèle-t-il particulièrement doué pour commander un escadron de « propres à rien » en attente de cour martiale ! Cette vision ne plaira guère aux anciens acolytes de Boyington (certains sont encore en vie à l'époque) et ils le feront savoir. Néanmoins, le script reçoit l'aval d'Universal et de NBC qui autorisent le tournage du pilote, d'une durée de 90 minutes.
Habitué aux fortes têtes, Cannell n'aura aucun mal à travailler avec Robert Conrad. Un cascadeur-acteur auréolé du succès des "Mystères de l'Ouest" et auquel est confié le rôle de Greg « Pappy » Boyington. Conrad a sans conteste l'aura indispensable au personnage. Il campe un petit chef d'escadrille aux jambes solidement plantées sur le sol (être pilote n'empêche rien). Il est respecté et redouté de ses subordonnés dont il partage les épreuves au quotidien, dormant comme eux sous une tente (avec son chien) et s'enfilant bière sur bière au mess des officiers.
S'il s'est essayé ou s'essaiera à d'autres rôles (celui de "Sloane, Agent Spécial" lorgnait du côté de James Bond tandis que celui de "L'Homme de Vienne" est un espion au charme... européen), Conrad reste attaché à ceux de James West et de Greg Boyington qui lui collent à la peau. Le courant passe immédiatement entre le comédien et son équipe. Tout comme il passait avec Ross Martin (Artemus Gordon) dans "Les Mystères de l'Ouest".
UNE SACREE EQUIPE
En fait d'équipe, Cannell et ses producteurs (essentiellement Philip DeGuere et Alex Beaton) ont réuni autour de Conrad une joyeuse bande. On y reconnaît ceux qui deviendront justement à partir de ces années-là les fidèles de Cannell aussi bien que de Glen Larson et de Donald Bellisario (producteur de la seconde saison des "Têtes Brûlées", comme on le rappellera plus loin) :
- James Whitmore, Jr, fils de l'acteur James Whitmore, est le premier second rôle de la série puisqu'il campe le second de « Pappy », le Lt Gutterman, absent ensuite de la seconde saison. Or, Whitmore réapparaîtra dans plusieurs épisodes de "Magnum". Il sera aussi le policier veule Bernie Terwilliger dans "Rick Hunter" produite en 1984 par Cannell. Le tout après avoir également côtoyé James Garner dans "200 dollars plus les frais". Whitmore Jr en outre passera très vite de l'autre côté de la caméra et se fera réalisateur, notamment sur les séries de Cannell et Bellisario.
- Simon Oakland, le flic de "West Side Story", est le Général Moore (voix française : Henri Djanik). Un personnage taillé d'une pièce, fort en gueule et impressionnant mais juste au fond. En somme, l'interlocuteur idéal pour Greg Boyington qui a en horreur les simagrées procédurières du Colonel Lard, hélas son contact numéro un, avant le Général Moore.
- Lard justement est interprété par Dana Elcar (voix française : Jacques Deschamps). Voici un autre vétéran de la télé qui deviendra quelques années plus tard le patron de Richard Dean Anderson dans "MacGyver".
Mais jetez un oeil aux seconds couteaux de la série ! Vous découvrirez des visages indissociables des deux autres producteurs mentionnés ci-dessus :
- Larry Manetti (Bobby Boyle) sera Rick dans "Magnum" (après être apparu dans "Galactica" et "200 dollars plus les frais") ;
- Jeff MacKay (French - voix française : Bernard Murat), lui, sera l'un des copains militaires de "Magnum" dans la série du même nom. Puis, il deviendra le père de Bud Roberts dans "JAG". Il jouera en outre dans "Jake Cutter" et dans "Berlin antigang". Une série créée après la fin de "Magnum" par l'un des scénaristes attitrés de la série, Reuben Leder ;
- W.K. Stratton (Casey), futur récurrent de "Code Quantum" et de ''L'Agence "Tous Risques", participera aussi à plusieurs épisodes de "Magnum".
On pourrait prolonger la liste ! Il suffit d'y ajouter John Larroquette, revu plus tard dans "Tribunal de nuit" et "The Practice". Ou bien encore Robert Ginty (disparu en 2009) qui tentera de jouer les émules de Schwarzenegger au cinéma. Sans oublier Red West (voix française : Alain Dorval), déjà cascadeur et acolyte de Conrad sur "Les Mystères de l'Ouest". Un habitué aussi des séries de Larson et des autres.
Un petit mot, simplement, sur la musique. Comme pour "200 dollars sur les frais", Cannell fait appel pour la série à un tandem de compositeurs composé d'un homme de jazz (Pete Carpenter) et d'un homme de rock (Mike Post). L'association peut paraître étonnante pour une série se déroulant durant la Seconde Guerre mondiale. Pourtant, Post et Carpenter resteront les compositeurs les plus prolifiques et emblématiques de toute la décennie 1980. Ils seront constamment sollicités par Cannell puis par Donald Bellisario pour mettre en musique leurs productions (autre amateur mais plutôt de Mike Post seul : Steve Bochco, qui confie dès 1981 la musique de "Hill Street Blues" à celui qui l'accompagnera longtemps).
LA PREMIERE SAISON
Cannell écrit lui-même six épisodes de la première saison. Il confie l'écriture des autres segments essentiellement à son producteur Philip DeGuerre (le futur créateur de "Simon et Simon" est encore débutant à l'époque) et à Ken Pettus. Ce dernier est un scénariste que l'on retrouve sur les productions Glen Larson notamment (comme "Galactica" et "Magnum").
Très souvent, bien que les épisodes s'ouvrent sur des images d'archives empruntées aux actualités de l'époque, et introduites par le logo d'Universal, véritable certificat d'authenticité, l'Histoire sert surtout de toile de fond aux intrigues imaginées par les scénaristes. Il s'agit moins de rendre hommage aux souvenirs de Boyington que de développer des histoires dans lesquelles peuvent s'exprimer de manière cohérente les personnages mis en place par Cannell dans le pilote.
La plupart des épisodes accueillent en outre un « invité ». Un héros en proie à ses démons ou prisonnier d'une réputation usurpée : correspondant de guerre, as de l'aviation, fils de grand général assombri par l'ombre paternelle, etc. On est bien en territoire connu puisque chacun de ces personnages invités arrive dans la vie des pilotes récurrents avec une rédemption à accomplir, un passé à exorciser, un progrès à faire, un défi à réaliser. Certes, la série "Les Têtes Brûlées" n'a pas l'innocence de l'Ouest des Ingalls mais le destin de ces personnages évoque bien celui des « invités » usités à Plum Creek ou dans le cabinet d'un Dr Marcus Welby !
Tournée dans les environs de Los Angeles, la série n'en a pas moins un cachet d'authenticité tant dans la reconstitution au sol des baraquements de l'escadrille que dans celles des combats aériens. Elle allie images d'archives et prises de vues réelles (les mêmes seront souvent réutilisées, pour des raisons évidentes d'économie). Quelques attaques aériennes contre l'escadrille ajoutent des effets spectaculaires à un ensemble déjà rehaussé par l'abondance des tournages en extérieurs. A cela s'ajoutent les nombreux plans tournés dans les véritables Corsairs ou à proximité. Le vrai Boyington est même convié à apparaître dans le rôle d'un Général que croise son alter ego fictionnel. De quoi asseoir le « réalisme » de la série pour longtemps et faire taire les anciens acolytes mécontents !
"Les Têtes Brûlées" pouvait axer son propos sur la guerre sans merci que se livrèrent Américains et Japonais dans cette partie du monde, éloignée du théâtre européen des opérations. Cannell, DeGuere et Pettus, les principaux scénaristes, auraient pu, dans cette optique, peindre l'ennemi comme l'incarnation du Mal et le cantonner à l'apparition et à la destruction de ses Zéros, premier signe de sa présence. De fait, les combats aériens, bien sûr, limitent les possibilités dramatiques et reposent sur l'opposition de deux types d'avions, de deux bruits de moteur ! Mais plusieurs épisodes insistent aussi sur la vision de la guerre par les Japonais. Aussi, les découvre-t-on parfois dans leur camp de base. Ou bien les voit-on fréquemment aux commandes de leurs avions. Certes, ils sont cantonnés parfois à des rôles de « grands méchants » mais qui franchissent aussi cette limite restrictive pour prendre un peu de personnalité.
C'est le cas spécialement lorsque surgit l'alter ego nippon de Boyington. Un as de l'aviation japonaise répondant au nom de Harachi. Les deux hommes s'affrontent périodiquement dans les airs. Il arrive même qu'ils se retrouvent sur la terre, après un double crash. C'est là encore un choix très cannellien. Les rôles ne sont pas distribués en fonction des camps mais plutôt en fonction des individus. Voilà qui n'exclut pas, par conséquent, qu'un type sympathique soit dans le camp des « méchants », ni qu'un antipathique se retrouve au milieu des « gentils ». Tout cela participe à l'aspect divertissant de la série mais la sauve aussi d'un manichéisme qui la rendrait moins attrayante aujourd'hui (à titre de comparaison, revoyez les épisodes de "Magnum" où les Russes et les Viêtnamiens sont d'odieux communistes sans nuance : vous saisirez mieux).
Malgré d'indéniables qualités, la série est pourtant annulée en fin de saison. Ses scores d'audience n'ont rien de déshonorant et l'explication est plutôt à chercher ailleurs ; NBC aurait invoqué semble-t-il la violence des images d'archives mais l'argument paraît peu convaincant. Toujours est-il qu'au terme d'une première saison plutôt de bonne facture "Les Têtes Brûlées" semble bel et bien abandonnée.
LA SECONDE SAISON
"Les Têtes Brûlées" renaquit de ses cendres à la faveur d'une défection. En effet, la série programmée à sa place à la rentrée 1977 ne remporta pas le succès attendu. NBC décida alors de rappeler l'équipe du Pacifique sud pour reprendre du service sitôt le « nouveau » annulé ! Chacun répondit donc présent pour la reprise de la production. Toutefois, des changements importants marquent pourtant cette deuxième saison. A commencer par le départ de James Whitmore, Jr, John Larroquette et Robert Ginty, qui disparaissent de l'écran très vite tandis qu'un « nouveau », incarné par le jeune Jeb Adams, fait son apparition.
La seconde saison ne comptera que quatorze épisodes. Sept sont écrits par le nouvel associé de Cannell à la production, Donald Bellisario. Ce jeune scénariste (jeune dans le métier, car il a déjà les tempes grisonnantes) ne tardera pas à faire parler de lui. Après "Les Têtes Brûlées", il sera engagé par Glen Larson pour produire et écrire en partie "Galactica". Puis Universal le chargera de reprendre un script écrit par Larson lui-même pour une nouvelle série : "Magnum" !
Pour l'heure, Bellisario se retrouve pratiquement aux commandes des "Têtes Brûlées", dans un univers auquel il s'identifie parfaitement. Car il est lui-même imprégné des valeurs militaires et grand admirateur des films de guerre d'antan, en particulier de la période couvrant la Seconde Guerre mondiale. Il ne pouvait trouver meilleur véhicule pour sa passion. A ce titre, le personnage de Jeb Pruitt, interprété par Jeb Adams, est d'ailleurs un personnage éminemment bellisarien, car il incarne le jeune adolescent pris en charge par l'Armée et littéralement adopté par ses compagnons d'armes. Courage, exploits et hommage au cinéma d'hier sont les composantes de l'écriture de Bellisario, qui intègre à la série ses préoccupations récurrentes (comme la présence d'un Irlandais dans "La prière de l'Irlandais" !).
La seconde saison se signale également par un ajout discutable qui en modifie quelque peu la nature. En effet, une équipe d'infirmières débarque sur l'île de l'escadrille. Aussi est-ce le prélude à des développements romantiques plus rares dans la première saison. Le résultat n'est pas toujours de mauvais goût mais il oriente parfois les scénarii de la série vers plus de légèreté et de digression. Bref, trop courte, la seconde saison n'aura pas permis de savoir jusqu'où la production aurait voulu pousser l'expérience.
FICHE TECHNIQUE
Créée par : Stephen J. Cannell
Producteur exécutif : Stephen J. Cannell
Supervision de la production : Alex Beaton, Philip DeGuere
Producteur associé : Chuck Bowman
Producteurs : Donald P. Bellisario, Russ Mayberry
Producteurs associés : J. Rickley Dumm, Chas. Floyd Johnson
Consultant aux scénarios : Ken Pettus
Musique : Mike Post, Pete Carpenter
Directeurs de la photographie : Edward R. Plante, John Elsenbach, Chuck Arnold, H. John Penner, Rexford L. Mex (2ème équipe)
Montage : Robert L. Kimble, Jerry Dronsky, George Potter, Christopher Nelson, Harvey Stambler, George R. Rohrs
Montage son : Lowell Harris, Larry Crow, Pieter Hubbard, Walt Jenevein, Charles E. Moran, Colin C. Mouat, Lawrence E. Neiman, David Pettijohn, Kendrick Sweet, Donald L. Warner Jr
Directeurs artistiques : John D. Jeffries, Sr, Ron Forman, Adrian Gorton, Robert Crawley, Sr
Décors : Ed Baer, Richard Reams, Ron Jeschke
Costumes : Yvonne Wood
Assistants-réalisateurs : Larry Powell, David Menteer, James W. Gavin, Robert Gilmore, Leonard Bram
Cascadeurs : Conrad E. Palmisano, Jean Coulter, Ron Veto, Tom Morga, James P. Winburn, Chuck Courtney, Bruce Paul Barbour, Mic Rodgers, Bill Hickman, John Galindez
Coordinations des cascades aériennes : James W. Gavin
Cascades aériennes : Milt Rosen, Art School, Frank Tallman, Steve Hinton, Gerald Martin, Junior Burchinal, James W. Gavin, Steve Rosenberg
Production : Stephen J. Cannell Productions / Universal TV (1976/1978)