Par Christophe Dordain
Nous sommes à l'automne 1973. Depuis plusieurs semaines déjà, la nouvelle émission imaginée par Guy Lux occupait alors l'ensemble du samedi après-midi. Bien sur, le temps était encore aux ajustements. Toutefois, "La Une est à Vous" prenait alors, et progressivement, la forme qui allait faire son succès pendant plus de trois ans. En l'occurrence, une alternance bienvenue entre séries populaires et chanteurs qui l'étaient tout autant.

Certes, parfois, l'émission essayait de reprendre un peu du chemin initial qui aurait normalement dû être le sien. En l'espèce, le concept qui avait été présenté par Guy Lux à Jacqueline Baudrier en juin 1973. Parce qu'à ce moment précis de cet article, une question fondamentale se pose ? Quel était le public finalement visé par ce nouveau programme ? Quel était son cœur de cible au fond pour reprendre une expression plus actuelle ? Quoiqu’il soit plus que douteux que cette dernière expression fusse en vogue à l’époque de "La Une est à Vous".
Quel était le concept originel ?
Inévitablement, au fil des saisons, c’est le jeune public, si sensible à ce lien particulier qui va s'établir par exemple avec Bernard Golay, qui va plébisciter ce nouveau concept. Néanmoins, au début en tout cas, et les quelques atermoiements dont nous nous faisons notamment l’écho ici en témoignent, Guy Lux souhaitait s’adresser au plus grand nombre possible, petits et grands. Cependant, le célèbre animateur-producteur devait aussi tenir compte de ses engagements initiaux. Ceux qu'il avait présentés dans son projet de télévision à la carte à Jacqueline Baudrier, responsable de la 1ère chaîne de l’ORTF et de ses programmes.
Aussi, c’est là qu’un rappel s’avère nécessaire sur ce qu’aurait dû être "La Une est à Vous" si les intentions initiales avaient été respectées. Dans Télé 7 Jours (21 juin 1973), interrogé à ce sujet, Guy Lux y annonçait : « une nouvelle émission, pour la chaîne 1, dont il a soumis l’idée, mais qui ne sera peut-être pas animée par lui. Titre provisoire : "La Une est à Vous". Le samedi après-midi, pendant cinq heures d’antenne, les téléspectateurs pourront se faire projeter à l’écran des extraits de toutes les émissions ou films de leur choix, aussi bien "Les Rois maudits" que "La demoiselle d’Avignon", du sport, etc. » Et Jacqueline Baudrier de confirmer : « c’est une préfiguration de la télévision de demain notamment de la télévision par câble : choix très large et participation des téléspectateurs. »
Comme vous pouvez le constater, nous sommes quand même assez loin de ce que sera finalement "La Une est à Vous". Parce que, par exemple, il est avant tout question d’extraits et non de diffusions intégrales. Car il est de même fait référence à des programmes français en priorité et non à des séries étrangères dont l’utilisation engagera alors le nouveau concept dans « le règne de la facilité » comme l’observera perfidement en mars 1974 une célèbre revue consacrée au petit écran.

Le temps des reproches
Alors, et dans la presse me direz-vous ? Effectivement, "La Une est à Vous" ne faisant pas encore l’objet d’article de fond, après seulement quelques émissions. Cependant, on sentait poindre, çà et là, quelques analyses annonciatrices de philippiques qui n'allaient pas manquer de s’abattre sur elle. Ainsi, Télé Poche et Télé 7 Jours dénonçaient de concert, dans leurs éditions hebdomadaires respectives du mois de septembre 1973, et avec une hargne certaine quoique compréhensible, l’absence d’informations fiables concernant le programme de "La Une est à Vous".
Voici un exemple avec Télé Poche (numéro 397, 22 septembre 1973) : « Rappelons que cette émission a pour principe d’offrir aux téléspectateurs une carte parmi laquelle, comme au restaurant, ils choisissent eux-mêmes ce qu’ils désirent consommer. Il s’agirait là d’un projet louable à condition, bien entendu, que les téléspectateurs aient sous les yeux les émissions parmi lesquelles ils ont à choisir. Seulement voilà, dès la semaine dernière, nous étions obligés de constater que la carte proposée était des plus imprécises. Cette semaine, c’est pire encore, nous ne pouvons vous donner que les grands chapitres de l’émission et, encore, sous toutes réserves...»
En résumé, indépendamment de la classique diatribe des journalistes honnissant le bon Guy Lux, reconnaissons quand même le fondement de cette critique. Même s'il apparaît difficile de connaître par avance un programme que les téléspectateurs réaliseront en direct. Toutefois, le problème ne durera pas bien longtemps. Parce que l'annonce des rubriques, séries et autres programmes se fera ensuite dans une cohérence bien plus certaine dès la fin de l'année 1973.

Télé-démocratie ou télé-démagogie ?
Pour illustrer cette accroche, voici un extrait de l’éditorial de Jean-Pierre Dubois-Dumée (Télérama numéro 1239, 13 octobre 1973) qui permet de mieux cerner comment une certaine presse appréhendait la création télévisuelle : « les uns trouvent qu’il y a trop de sport et les autres pas assez : de même pour l’accordéon. Et ainsi de suite. Car chacun veut avoir sa télévision, faite pour lui, à son goût, sur mesure. Ce qui est évidemment impossible au moins tant qu’on ne disposera pas de vingt ou quarante chaînes, avec des programmes à la carte (…) En attendant jamais la télévision ne pourra convenir à tous et à chacun. Il faut l’admettre, clairement, honnêtement. Prétendre le contraire, ce n’est pas le respecter, c’est le tromper : démagogie ou hypocrisie. » Certes, ici, l’émission de Guy Lux n’est pas clairement nommée. Mais qu’il n’y ait aucun doute sur ce point. Car, de la part de la rédaction de Télérama, cela finira par se produire notamment au hasard d'un article publié en mars 1974.
Mais une audience croissante
Arrivé le temps de l'automne, "La Une est à Vous" avait trouvé une sorte de vitesse de croisière. L'audience de l'émission n'ayant fait que croître depuis septembre. Un constat établi par Patrick Lefort pour Télé 7 Jours et dont voici le contenu : « les maris bricolent beaucoup moins le samedi après-midi. Ils profitaient de ce début de week-end pour terminer la bibliothèque dans la chambre des enfants pendant que madame faisait ses emplettes ; et ceci sans remords, la télévision n’offrant que des programmes jugés sans intérêt. Ainsi, l’indice d’écoute de "Samedi-Loisirs", émission lancée en janvier 1973, n’avait jamais pu dépasser les 7%. A la fin des vacances, Jacqueline Baudrier décide de réagir. Elle adopte un vieux projet de Guy Lux de télévision à la carte et, le 15 septembre, "La Une est à Vous" débute à l’antenne. Démarrage timide, pas très encourageant. Les deux premiers samedis, l’indice d’écoute plafonne à 6%. Mais le troisième est le bon. L’indice grimpe à 17%. Le standard de SVP est bloqué. Les quatorze opératrices deviennent vingt-cinq la semaine suivante, pour répondre aux quinze mille appels. Deux mois plus tard, le succès ne se dément pas. L’indice d’écoute atteint maintenant 20%. Un gain de 14% en deux mois, c’est un record sans précédent à l’O.R.T.F. » (Patrick Lefort, Télé 7 Jours numéro 709, 24 novembre 1973).
Conclusion
Comme vous aurez pu le constater, à travers ces quelques lignes, le nouveau concept finira finalement par s'imposer avec un succès foudroyant notamment en décembre 1973. L'exemple qui suit, et qui concerne l'émission du 29 décembre (dont vous pouvez découvrir un extrait ci-dessus), en est une pertinente démonstration.
Dès le début de l'émission, Bernard Golay indique le nombre grandissant d’appels reçus à SVP 11 11 : plus de 3 000 ! Ce qui est considérable au regard des moyens techniques de l’époque. Un rappel utile s'impose maintenant. En effet, le programme de chaque émission était présentée de 12h55 à 13h00, avant le journal de la mi-journée. Voilà qui laissait environ 1h30 aux téléspectateurs pour affiner leurs choix. Roger Lago, à l’appui du travail réalisé par les vingt-cinq standardistes qui gèrent le SVP 11 11, propose alors un premier « flash température ». Une expression qui va devenir désormais coutumière auprès du public. Ainsi, dessine-t-il, catégorie par catégorie, les grandes tendances vers 14h40.
En guise de préambule, Bernard Golay énonce ensuite les chiffres majeurs qui concernent l’audience de "La Une est à Vous" depuis sa première diffusion le 15 septembre 1973. Le constat est alors d'une limpidité remarquable : le 15 septembre 1973 = 2% de l’audience totale ; le 29 décembre 1973 = 26 % ! Concrètement, et pour votre édification, cela représentait alors environ 7,5 millions de téléspectateurs de plus de 14 ans auxquels s’ajoutaient 4 millions de moins de 14 ans ! Vous avez bien lu ! Les chiffres sont donc remarquables et démontrent de façon indiscutable comment "La Une est à Vous" était alors devenue un véritable phénomène télévisuel au grand dam de certains des défenseurs du bon goût au petit écran.