Par Christophe Orzechowski
Lorsque débute la série "L'homme de nulle part", Thomas Veil, le héros de cette histoire, avait tout pour être heureux : une très belle femme, Alyson, qui l’aime et qu’il aime, et une certaine réussite professionnelle.

UN IMPLACABLE THRILLER PARANOIAQUE
Thomas est en effet un photographe renommé, reporter de guerre, qui propose d’ailleurs une exposition de ses clichés les plus réussis. Après le vernissage de l’exposition, pour célébrer cette réussite, Thomas emmène sa femme dîner. Et son monde va alors s’écrouler brutalement : alors qu’il s’absente cinq minutes pour aller aux toilettes, lorsqu’il revient, sa femme a disparu. Ses cartes de crédit ne fonctionnent plus, lorsqu’il tente de payer l’addition, et de retirer de l’argent ; ses comptes ont été bloqués. Lorsqu’il retrouve sa femme, celle-ci est avec un autre homme, et fait mine de ne pas le connaître du tout.
Petit-à-petit, Thomas Veil comprend qu’une vaste machination, d’ampleur, s’est mise en place pour lui retirer sa vie. Le fait d’hommes puissants, assez puissants pour faire pression sur son entourage proche. Les autorités refusent de le croire, lorsqu’il explique son histoire. Et lorsqu’il retourne à la galerie où ses photos étaient exposées, celles-ci ont disparu. C’est peut-être « L’Envers du Décor », la pièce maîtresse de son exposition, ou plutôt les négatifs de la photo, qui semble intéresser l’Organisation au cœur de son effacement.
Commence alors, pour Thomas Veil un long combat contre un ennemis tentaculaire, pouvant être présent partout. Une quête pour retrouver sa vie d’antan, mais également pour comprendre ce qu’il y avait de si dangereux dans « L’Envers du Décor », au point de pousser l’Organisation à lui retirer sa vie.

AUX INFLUENCES D'UNE SERIE-CULTE
X-Files
Dans les années 1990s, suite, sans doute, au succès d’une grande série paranoïaque, "X-Files", qui va devenir très populaire et à la mode, de nombreuses séries vont lui emboiter le pas. L’Organisation, au cœur de "L’homme de nulle part", n’est pas sans rappeler le Syndicat, un groupe secret d’hommes très influents, capable de prendre des décisions dans l’ombre des gouvernements mondiaux. Pour ces deux séries, c’est Mark Snow qui se chargera de proposer une bande-son source de mystère et d’inquiétude, qui contribue aussi à créer une ambiance assez proche, même si Snow proposera un travail différent pour les deux séries.
Mais si c’est probablement le fait de s’inscrire dans une certaine ambiance de l’époque qui a permis à Lawrence Hertzog, le créateur de la série (également créateur de "La Femme Nikita", série adaptant au format série le film de Luc Besson) de la proposer, "L’homme de nulle part" emprunte certains éléments à d’autres séries, plus anciennes mais tout aussi prestigieuses, ayant marqué l’histoire des séries télévisées de leur empreinte. /
Thomas Veil est donc un fugitif
Ainsi, tout comme le Dr Kimble du "Fugitif", Thomas Veil va vagabonder de ville en ville à travers les Etats- Unis, afin d’échapper à ses poursuivants, mais aussi guidé par des indices qu’il semble trouver sur « L’Envers du Décor ». "Le Fugitif", malgré son principe assez simple, ne va cesser d’être revisité par la télévision et le cinéma. Ainsi, la série "L’Incroyable Hulk" présente-t-elle à son tour un héros itinérant, accompagné dans son parcours par une musique des plus mélancoliques.

D'AUTRES INFLUENCES MAJEURES
Le Prisonnier
Mais l’influence la plus notable de "L’homme de nulle part" est "Le Prisonnier", souvent évoquée comme étant un chef-d’œuvre télévisuel, restant, malgré son âge, toujours aussi appréciable, tant ses thématiques restent intemporelles. Bon nombre de séries lui feront référence, au fil du temps.
Le Numéro 6, tout comme Thomas Veil, sont tous deux des personnages désocialisés, qu’on a arraché à leur vie ordinaire, et dont on veut récupérer une chose si précieuse, pour ceux qui la recherchent, que tout va être mis en œuvre pour qu’ils dévoilent ce qu’ils cachent. Pour le Numéro 6, ce sont des renseignements, et les véritables raisons de sa démission. On notera d’ailleurs, parenthèse, le paradoxe de la situation du Numéro 6, qui souhaitait quitter sa vie, en partant en vacances, et qui, une fois emprisonné dans un village aux faux airs de station balnéaire, souhaite retrouver sa vie.
Bien évidemment, la série permet de questionner les notions de liberté et d’emprisonnement. Pour Thomas Veil, ce sont les négatifs d’une précieuse photo, que les membres de l’Organisation veulent se procurer. L’influence du Prisonnier est clairement assumée par les scénaristes, au point qu’un épisode va quelque peu en proposer sa propre version. Ainsi, dans un épisode, Thomas Veil est fait prisonnier, on lui attribue le numéro… 6. Dans un autre, le personnage se réveille dans un village-prison où se trouvent d’autres individus comme lui, effacés, décitoyennisés.
Aussi, tout comme pour "Le Prisonnier", la série va-t-elle évoluer à mi-parcours dans sa narration. Si au début de leurs séries respectives, le Numéro 6 et Thomas Veil sont surtout victimes de leurs adversaires, tous deux vont se montrer beaucoup plus offensifs, n’hésitant pas à attaquer leurs adversaires, et contrarier certains de leurs projets. Fait remarquable, "L’homme de nulle part" reprend un concept déjà établi, en l’étoffant et en lui donnant une autre dimension. Pour Thomas Veil, du fait de la machination impitoyable s’étant enclenchée contre lui, c’est le monde entier qui devient sa « prison ».
Joseph Turner
Enfin, dernière référence que l’on pourrait citer, est celle du personnage de Joseph Turner dans "Les Trois Jours du Condor", célèbre film d’espionnage de 1975 de Sidney Pollack. Thomas Veil, dans la situation inconfortable qui est devenu la sienne, a parfois des accents de Joseph Turner, le héros incarné par Robert Redford. L’épisode « Marathon » pastiche l’ouverture du film, dans laquelle on peut voir tous les membres d’un bureau d’analyse et de renseignements être brutalement abattus, décimés.

BRUCE GREENWOOD EST L'HOMME DE NULLE PART
Pour le rôle-titre de Tom Veil, la série a bénéficié de la présence de scène Bruce Greenwood, qui livre ici une prestation très crédible. L’acteur investit pleinement le rôle. Un acteur dont le rôle demande parfois une certaine dureté, à l’image du personnage du Numéro 6.
Comédien d’origine canadienne, il a commencé sa carrière dans plusieurs films canadiens, puis est apparu dans plusieurs long-métrages américains, et ses différents rôles lui ont valu de nombreux prix au cours de sa carrière. On a pu notamment le voir dans "Benjamin Gates et le Livre des Secrets", "Kingsman : Le Cercle d’Or", "Star Trek", de J.J. Abrams, ou encore "13 Jours" de Roger Donaldson, pour en citer quelques-uns.
A la télévision, Bruce Greenwood a incarné le Docteur Seth Griffin dans "St-Elsewhere" dans les années 1980s. On a également pu le voir dans les séries "John From Cincinnatti", "The Resident", ou encore "Mad Men". Il a également prêté sa voix au personnage de Bruce Wayne / Batman dans plusieurs films d’animation consacrés au personnage.

LA FEMME DE NULLE PART
A ses côtés, pour incarner Alyson, son ex-femme, la série a fait appel à la comédienne Meghan Gallagher, vue en tant que guest-star dans plusieurs séries télévisées, comme "La Loi de Los Angeles", "Capitaine Furillo", "China Beach" ou encore "Star Trek : Deep Space Nine". En 1996, elle sera Catherine Black, la femme d’un autre héros de série télévisée, Frank Black, dans "Millennium". Un rôle écrit spécifiquement pour la comédienne, Chris Carter ayant été particulièrement admiratif de son travail dans "The Larry Sanders Show".
DES INVITES MARQUANTS
Parmi les guest-stars notables de la série, la série aura fait apparaître des visages bien connus des amateurs de séries. On peut citer Dean Stockwell, le Al Calavicci de la série "Code Quantum", et Dwight Schultz, célèbre pour avoir été Looping Murdock dans "L’Agence Tous Risques" ainsi que le Lieutenant Reginald Barclay dans la saga "Star Trek".
Richard Kind, acteur vu plutôt dans des sitcoms telles que "Dingue de Toi" ou "Spin City", apparaîtra dans un épisode. Tout comme Carrie-Ann Moss, découverte, entre autres, dans "F/X Effets Spéciaux" et qui deviendra la célèbre Trinity de la saga "Matrix". Enfin, les amateurs de la série "Urgences" auront le plaisir de voir apparaître celle qui était la Doctoresse Anna Del Amico, Maria Bello, le temps d’un épisode.

UN ECHEC INJUSTE
La série est diffusée, aux Etats-Unis, sur la chaîne UPN, de fin août 1995 jusqu’en mai 1996. Les audiences de celles-ci, peut-être dues à la diffusion sur une chaîne moins regardée que les autres, n’auront jamais reflété la qualité globale de la série en général, ne cessant de s’effriter au fil de la diffusion. Si les premiers épisodes tournent autour de 3 millions de téléspectateurs, la série passe assez rapidement sous cette barre.
En France, la série n’a été diffusée que sur Canal+, une première fois à 21h20 d’avril 1997 à février 1998, puis au mois d’août 1998 à 12h30. UPN, malheureusement, ne renouvelle pas la série pour une saison 2, et celle-ci se termine sur un cliffhanger des plus cruels. A la fois pour les téléspectateurs, et pour le personnage de Thomas Veil. Malgré tout, même si ce cliffhanger appelait une suite, la série aura su répondre à la plupart des questions qu’elle avait pu poser, ne laissant pas les téléspectateurs trop frustrés par rapport à celle-ci.
CONCLUSION
Quoi qu’il en soit, "L’homme de nulle part" reste une proposition audacieuse de thriller paranoïaque, injustement oubliée dans l’histoire des séries télévisées, et qu’il convient de redécouvrir. Nous espérons alors que la lecture du présent dossier vous aura donner l'envie de partir à la recherche de Thomas Veil...
