Par Thierry Le Peut
John Drake fut le premier espion cathodique à accéder à une popularité certes moindre que celle de Bond mais néanmoins remarquable. Il faut alors souligner le fait qu'il commença sa carrière en Grande-Bretagne avant l’arrivée de Sean Connery. Ainsi, John Drake est-il devenu depuis une sorte de Père Fondateur de l’espion télévisuel.
Les origines de John Drake
C’est à Ralph Smart, scénariste et producteur déjà à l’origine de "L’Homme Invisible" à la fin des années 50, et à Lew Grade, le big boss d’ATV (Associated Television, une station du réseau ITV), que John Drake dut sa naissance. Si James Bond n’avait pas encore conquis à l’époque le medium cinématographique, le succès du personnage en librairie explique cependant en partie le choix de Smart et Grade lorsqu’ils entreprirent de lancer une nouvelle série destinée tant au marché intérieur qu’à l’exportation.
A l’origine, Drake était d’ailleurs un espion volontiers tourné vers la gent féminine et adepte du coup de feu. C’est le comédien Patrick McGoohan qui, engagé pour jouer le personnage, insista pour en modifier quelque peu le caractère en substituant aux armes à feu l’intelligence et l’à propos, et en mettant un frein aux ardeurs libidineuses de l’agent secret. Drake amorçait ainsi un virage l’éloignant des clichés imposés par son aîné littéraire, ce qu’il persistera à faire durant sa carrière achevée en 1966.
Destination Danger, acte 1
Dans la première saison de la série, intitulée "Danger Man" ("Destination Danger"), diffusée à partir de septembre 1960 en Grande-Bretagne, John Drake est un agent de l’OTAN que ses missions entraînent aux quatre coins du globe et notamment dans les pays menacés par l’épouvantail communiste. La guerre froide impose à l’époque au monde une scission Est-Ouest que l’on retrouve forcément dans la fiction d’espionnage et à l’intérieur de laquelle le personnage d’ATV est amené à évoluer. La série toutefois se détourne d’un manichéisme réducteur et propose une vision souvent nuancée de son époque, transportant son héros sous des régimes totalitaires mais le faisant aussi agir avec le concours d’agents « ennemis » parfois plus conciliants que ceux de son propre camp.
Cette peinture réaliste de la donne internationale et des rapports entre espions est facilitée dès la deuxième saison par un changement de format qui permet aux scénaristes, après une première livraison constituée de segments de trente minutes, de développer des histoires plus ambitieuses étendues sur soixante minutes. C’est ce nouveau format qui permettra d’étoffer la personnalité de John Drake et d’en faire, au fil des épisodes, un personnage nuancé et intéressant. Le jeu de McGoohan et son implication dans l’écriture de la série contribueront à faire de John Drake un personnage solide et emblématique.
Destination Danger, acte 2
En attendant, malheureusement, la série ne suscite pas d’engouement particulier aux Etats-Unis et est annulée en Grande-Bretagne, où elle avait connu pourtant un succès certain. Il faut en fait le succès de James Bond au cinéma, avec "James Bond contre Dr No" en 1962 et "Bons Baisers de Russie" en 1963, pour convaincre le network américain CBS que la série est viable.
De nouveaux épisodes sont alors mis en production à partir de 1964 et diffusés aux Etats-Unis durant la saison 1965-1966. Au passage, le titre original est transformé par CBS en "Secret Agent" et le générique au clavecin d’Edwin Astley remplacé par une chanson de Johnny Rivers, Secret Agent Man, qui grimpera vite dans les charts. Le network espère ainsi donner à la série, malgré la volonté des producteurs de ne pas reprendre les clichés des aventures bondiennes, une « identité » plus accrocheuse, intégrant à la chanson un bruit de coups de feu qui va à l’encontre du personnage, que McGoohan a souhaité sans arme !
Que retenir de la série ?
Au total, John Drake aura vécu 46 aventures entre 1960 et 1966, dont deux en couleurs constituant l’intégralité de la quatrième saison. A l’époque, McGoohan est fatigué du rôle et travaille déjà sur une autre série, traditionnellement associée aujourd’hui à la première : "Le Prisonnier". Tout en s’astreignant à un réalisme qui lui confère un statut de « classique », "Destination Danger" jouait la carte de l’exotisme en situant ses épisodes sous toutes les latitudes, et notamment dans les colonies britanniques.
Au contraire de Bond, qui bénéficiait de moyens bien supérieurs, John Drake cependant dut se contenter d’un exotisme de studio qui contribue finalement au charme encore très fort de la série. L’accent fut mis également sur les scènes de bagarres, omniprésentes, et sur l’action, qui constituait l’un des attraits majeurs du programme.
On retrouvait aussi dans de nombreux épisodes de "Destination Danger" les thèmes du jeu et du chassé-croisé qui font partie intégrante du genre, ainsi que le goût des belles voitures et des femmes, quand bien même John Drake mettait un point d’honneur à ne pas tomber systématiquement dans leurs bras, au contraire de son aîné du grand écran.
Un très grand merci à Régis Dolle, responsable de la page Facebook, A l'image des séries, pour les photos fournies et venant de sa collection.