Par Christophe Dordain
"Los Angeles Années 30" ou les aventures d'un détective, Jake Axminster, qui intervient dans la région de Los Angeles. Interprété par Wayne Rodgers, ce détective se distingue de ses confrères par une élégance raffinée et un humour corrosif. Il lui faut aussi une bonne dose de cynisme pour évoluer dans une cité où règnent la corruption et la violence. Il est aidé dans ses enquêtes par le juriste Michael Brimm (rôle tenu par Philip Sterling). Cependant, Axminster ne dédaigne pas les tuyaux de Lester, le cireur de chaussures (Timmie Rogers). Enfin, il est systématiquement confronté à un lieutenant de police, irascible et fort en gueule, incarné par Clifton James.
LA VILLE DE LOS ANGELES DANS LES ANNEES 30
La capitale du pétrole, de l'automobile et des plaisirs défendus.
Pour cette présentation de la ville vedette de la série "Los Angeles Années 30", nous nous sommes largement appuyés sur un article signé Lise Genet, pour le magazine Télé 7 Jours, que nous reproduisons ici (publié dans le numéro 1011, au moment de la première diffusion des aventures de Jake Axminster sur TF1, en Septembre 1979) :
"Les habitants de Los Angeles, et le feuilleton le montre bien, ne méritaient pas spécialement l'épithète d'"angéliques". Ils avaient pourtant la chance de vivre dans un environnement paradisiaque, la Californie, terre de l'or et des fruits, entre mer, désert et sierra. L'hiver à 18 degrés, l'été à 28 degrés, le Pacifique tiède, les palmiers, les vergers d'orangers et de citronniers, tout concourait à attirer sur cette terre promise des vagues d'immigrants...
Mais là s'arrête le tableau enchanteur. Dans les années 30, le grand Los Angeles comptait 4 millions d'habitants. Peu de gratte-ciels, mais une vingtaine de bourgades qui s'étalent sur 60 km de large. Des bâtisses sans style, des forêts de poteaux électriques et de câbles aériens, des puits de pétrole parmi les maisons, et déjà pas mal d'autos. On ne saurait se déplacer sans une de ces voitures racées, Ford ou Chevrolet, dont l'élégance va de pair avec la ville et le style vestimentaire de ses habitants. Même les détectives privés, style Axminster, le héros du feuilleton, font le coup de feu le chapeau vissé sur la tête.
A Los Angeles, en 1930, police d'Etat et police privée ont fort à faire. La ville, surpeuplée, est un amalgame détonant d'authentiques natifs, les californiens, et d'immigrants cosmopolites qui se sont agglutinés au fil des ans comme des sédiments, autour de Los Angeles. Les premiers arrivés, les Chinois, ont participé, à la fin du siècle dernier, à la construction du chemin de fer Southern Pacific. Puis sont venus les Mexicains, les Noirs, les Philippins employés au forage des puits de pétrole. L'afflux de la population a obligé cette dernière a être souvent logée dans des quartiers minables où les pauvres sont plus pauvres qu'ailleurs. Les crimes crapuleux, la prostitution, les paris clandestins et l'ivrognerie sévissent. Pendant ce temps, des petits malins ont compris l'immense profit à tirer de la spéculation immobilière et de la prohibition. Ils s'en donnent à coeur joie."
Crimes, prostitution, racket, soleil, stars, pognon, pouvoir ! Que voilà une belle description de la cité des anges, terrain de jeu favori d'un certain Jake Axminster…
LA CREATION DE LA SERIE
"Los Angeles Années 30" est une série qui a été créée, en 1976, par Stephen J. Cannell et produite par Roy Huggins. Elle met en vedette Wayne Rogers dans le rôle du détective privé, Jake Axminster. Les enquêtes de ce dernier le mènent dans les milieux de Los Angeles qui sont singulièrement gangrénés par les malversations en tout genre et autres maux pour ne pas dire fléaux. Bien que cette série ait connu une courte vie, avec seulement 13 épisodes produits, elle aura laissé une trace certaine dans l'histoire du petit écran. Plus particulièrement en France où elle aura bénéficié d’une mise en valeur conséquente notamment au moment de sa première diffusion notamment (cf : la présentation par Télé 7 Jours citée plus haut). Beaucoup ont vu en elle, à l'époque, un parallèle, évident et plutôt brillant, avec le film de Roman Polanski, "Chinatown", interprété par Jack Nicholson.
Le film et la série s’appuient tous les deux sur le même arrière-plan historique, les années 30. Tous deux proposent un regard similaire sur la corruption qui touchait la ville de Los Angeles. Un regard empreint d'un évident cynisme. Cependant, une partie de l'inspiration de la série provenait avant tout d'événements historiques plus ou moins véridiques. Ainsi, l'intrigue de l'épisode-pilote (écrite par Stephen J. Cannell en personne), "Le Complot du 13 Novembre" (mis en scène par l’excellent Don Medford), décrit une tentative de renversement du gouvernement dirigé par Franklin Delano Roosevelt depuis mars 1933. Une action menée par un groupe de puissants industriels.
Ce scénario avait comme point de départ un fait divers tragique du début des années 30. En l’occurrence une tentative de coup d’Etat fasciste organisé par certains puissants et richissimes capitaines de l’industrie et de la finance. Le tout avec le soutien de Wall Street. Dans ces milieux existait une fascination réelle pour les réalisations des fascistes italiens et les nazis allemands. Pourquoi cette tentative de coup d’Etat ? Vraisemblablement parce qu’ils étaient inquiets par la politique du New Deal dont l’orientation trop socialiste ne leur convenaient pas. Il n’en demeure pas moins que ce coup d’Etat n’eut finalement pas lieu. Pourquoi ? Du fait du désistement d’un des généraux sollicités pour participer à cette malencontreuse aventure politique. Il n’y eut aucune poursuite judiciaire. L’écho médiatique tendit plutôt à minimiser cette affaire comme une lubie ou une aimable plaisanterie qu’à la monter en épingle.
Le même constat s’impose à propos de l'épisode "Le Château des Rêves". On y découvre des prostituées dont on a travaillé la ressemblance physique avec les grandes stars du cinéma de l'époque. Voici un aspect qu’on aura également retrouvé dans le film de Curtis Hanson, "L.A. Confidential" (réalisé en 1997). A travers le personnage joué par Kim Basinger par exemple. C'est ce qui explique un décalage quant aux différents thèmes abordés dans la série. Si le pilote s’appuie sur une toile de fond historique, les épisodes, eux, développent des thèmes plus classiques dans le cadre desquels se côtoient l’adultère, la paranoïa, la jalousie et les meurtres passionnels.
DES PERSONNAGES TRES CLASSIQUES SOMME TOUTE
Conçu comme un programme de remplacement en plein milieu de la saison 1975/1976, "Los Angeles Années 30" dégage un parfum d’escroquerie et de corruption permanente qui fait pour beaucoup dans le charme que dégage cette série. A la fois hommage au genre du film de détective, tout en s’inscrivant dans un contexte post-Watergate, et son appel à un retour à une moralité affirmée, la création de Cannell et de Huggins est un vrai régal pour tous les amateurs du genre. Cette atmosphère typique de l’entre-deux guerres est bien représentée par le bureau de Jake Axminster. Ce dernier est situé dans l’immeuble Bradbury, lieu mythique que l’industrie du cinéma et de la télévision a maintes fois utilisé (voir, par exemple, "Blade Runner", réalisé par Ridley Scott, en 1981).
Axminster est doté d’une éthique à géométrie variable ! Il est capable de mentir, voler, duper voire éclipser des preuves indiscutables au cours de ses affaires. Ajoutons à cela un punch remarquable dans les classiques scènes de bagarre. Toutefois, Axminster a aussi un réel sens de la loyauté envers ses clients et amis. Axminster est, au fond, un privé d’un classicisme banal, dans la grande tradition du genre. Sa seule véritable amie est sa secrétaire, Marsha, dont l’activité professionnelle ne se limite pas aux seules tâches administratives. Elles incluent également la gestion de rendez-vous téléphoniques pour des prostituées ! Axminster peut également compter sur le Procureur, Michael Brimm, dont la principale occupation dans la série semble être de tirer Axminster des geôles de la police locale.
Une des raisons qui explique les malheurs de notre détective dans ses relations avec les forces de police, et donc ses nombreuses incarcérations, s’incarne dans la face, héritée d’un bouledogue en furie, du Lieutenant Quint. Certes, loin de nous l’envie d’affirmer que Axminster soit un saint, au comportement irréprochable. Toutefois, si on compare ce dernier à celui de Quint alors le constat est cinglant. Quint est un personnage corrompu ! Une grande gueule suante et suintante. Il est prêt à tout, y compris à faire subir les pires traitements à qui a le malheur de tomber dans ses griffes (Axminster en tête de liste) pour parvenir à ses fins. Surtout, si cela en vaut la peine et qu'il y a de l'argent en jeu !
L’intérêt majeur de "Los Angeles Années 30" réside donc, une nouvelle fois, dans l’interprétation proposée par les différents comédiens. Le choix de Wayne Rogers pour incarner Axminster était-il le plus judicieux ? Débarqué de l’aventure "M.A.S.H.", Wayne Rogers souhaitait s’orienter vers un rôle plus dramatique. Toutefois, le comédien eut beaucoup de difficultés à se fondre dans la peau du détective. Il ne manquait pas de répandre ses états d’âme dans la presse spécialisée. Roy Huggins lui-même finira par admettre que Rogers était peut être une erreur de casting.
Néanmoins, en revoyant cette série, on peut ne pas être d’accord avec lui. Rogers se sort plutôt bien de scripts souvent écrits par Huggins lui-même ou bien par Cannell et Phil DeGuere. Qui plus est, la série a bénéficié de moyens conséquents. Ces derniers donnant à l’ensemble des épisodes un cachet digne des meilleures enquêtes d’Elliot Ness à l’époque des "Incorruptibles". Seuls les spécialistes en automobile reprocheront à la série des hésitations coupables quant aux différents véhicules utilisés qui n’étaient pas forcément ceux des années 1933 et 1934.
Alors, et pour finir sur ce point, un autre comédien que Wayne Rogers aurait-il pu permettre à la série de durer dans le temps ? Allez savoir pourquoi mais, soudainement, c’est celui de Harrison Ford qui me vient à l’esprit. Tant il est vrai que Ford aura toujours su porter le chapeau avec aisance, mais aussi parce que, dans les années 70, son nom commençait à circuler chez Universal pour être le héros d’une série. Ainsi, fut-il même un temps envisagé qu’il soit le nouveau Steve Austin en lieu et place de Lee Majors dans la cinquième saison de "L'homme qui valait trois milliards"…
WAYNE ROGERS ET JAKE AXMINSTER : UNE RELATION DIFFICILE
Après trois années de présence dans la série adaptée du film de Robert Altman, "M.A.S.H.", Wayne Rogers est approché puis embauché par la firme Universal. Or, d’après les dires des exécutifs du studio, on comptait beaucoup sur la popularité de Rogers afin de faire de "Los Angeles Années 30" un succès de longue durée. Toutefois, le comédien n’avait aucune illusion quant aux buts réels du studio : l’argent et rien que l’argent !
Ainsi, celui qui était un ami des pointures de l’écran de la dimension de Peter Falk et de James Caan, celui qui était sorti diplômé, avec les honneurs, de l’Université de Princeton, était tout sauf un imbécile. Maîtrisant avec talent toutes les ficelles du métier, Wayne Rogers ne se faisait guère d’illusion quant à la série "Los Angeles Années 30", doutant sérieusement du potentiel d’attractivité du personnage de Jake Axminster auprès du grand public, bien que le comédien soit quand même payé 25 000 dollars par épisodes !
Wayne Rogers craignait notamment que sa performance soit comparée à celle d’autres acteurs ayant interprété des personnages de privés, dans le style de Philip Marlowe, de Sam Spade, voire de Lew Harper (incarné par Paul Newman). Notamment dans deux films que sont "Détective Privé" (Jack Smight, 1966) et "La Toile d’Araignée" (Stuart Rosenberg). Or, le second était sorti en 1975 sur les écrans américains. C'est-à-dire pendant la production de "Los Angeles Années 30".
Rogers, qui n’hésitait pas à réécrire certains des scénarios de la série, estimait également difficile de créer, malgré ses qualités reconnues de comédien alors au faîte de sa popularité, une vague de sympathie vis-à-vis du personnage de Jake Axminster, car ce dernier n’avait pas les signes distinctifs d’autres héros très populaires du petit écran américain dans les années 70. Pas de sucette tel Kojak. Pas de perroquet comme Baretta. Pas de Ford Torino comme dans "Starsky et Hutch" !
Au fond, Axminster est avant tout un détective de petite envergure. Sa préoccupation principale est de de se faufiler entre les balles de ses ennemis et les coups de ses adversaires sans pour autant nécessairement séduire les jolies dames en détresse, ce que parviendra à faire bien plus efficacement Stacy Keach dans la série "Mike Hammer" produite au cours des années 80... Pourtant, la réaction de la presse fût, elle, plutôt positive au moment de la première programmation de "Los Angeles Années 30" sur le réseau NBC. Mais rien n'y fît et "Los Angeles Années 30" sombra dans les limbes de l'histoire du petit écran. Dommage !
A PROPOS DE ROY HUGGINS
Décédé le 03 avril 2002, à Santa Monica, à l’âge de 87 ans, Roy Huggins est associé à de très grands succès tels que "Maverick", "Le Fugitif", "77 Sunset Strip" et "200 dollars plus les frais".
Scénariste et romancier, auteur de nombreux scripts pour le cinéma, Huggins a principalement travaillé pour la Warner Brothers et Universal Television dans les années 60 et 70. Ainsi, après avoir quitté la firme Warner Brothers pour laquelle il avait créé les séries "77 Sunset Strip" et "Maverick", il rejoint la 20th Century-Fox et participe au lancement de l’adaptation au petit écran du film "Bus Stop" (avec Gary Lockwood et Tuesday Weld, diffusion entre 1961 et 1962). Il fait de même pour la série "Aventures dans les Iles" avec Gardner McKay (1959/1963).
Hormis les séries déjà citées, il a participé à la création de "Match contre la vie" avec Ben Gazzara et a été le producteur exécutif de "Opération Danger" avec Pete Duel et Ben Murphy. On n'oubliera pas également de mentionner "Cool Million", avec James Farentino, un des nombreux programmes diffusés dans le cadre du "NBC Mystery Movie". Notons enfin que, pour "Los Angeles Années 30", Huggins a écrit trois épisodes sous son nom et d’autres également dont il a développé l’histoire de base sous le pseudonyme de John Thomas James.
FICHE TECHNIQUE
Créée par : Stephen J. Cannell
Producteurs : Roy Huggins, William F. Phillips, Philip DeGuere
Producteur exécutif : Jo Swerling, Jr.
Productrice associée : Dorothy J. Bailey
Consultant aux scénarios : Philip DeGuere
Musique : Nelson Riddle
Directeur de la photographie : Ric Waite
Directeur artistique : John Corso
Supervision de la musique : Hal Mooney
Costumes : Charles Waldo
Son : John K. Kean
Décors : Jerry Adams
Régisseurs : Les Berke, Fred R. Simpson
Montage de la musique : Dan Blake
Montage : Larry Lester, Edwin F. England, Buford F. Hayes, Ronald LaVine
Montage des effets sonores : Thomas A. McMullen, George Luckenbacher
Assistants–réalisateurs : Gary Grillo, Gene H. Law
Cascadeurs : Walter Scott, Robert F. Hoy, Fred Carson, Nick Dimitri, Ted White, Dave S. Cass, Sr,
Titres et effets optiques : Universal Title
Production : Roy Huggins-Public Arts Productions / Universal Television (1975)