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Belphegor ou le Fantôme du Louvre : La série-culte des années 60

Par Christophe Orzechowski

 

"Belphegor" est une mini-série en 4 épisodes d’environ une heure et dix minutes, produite par Jacques Armand, également scénariste et dialoguiste de cette production, et Claude Barma, qui réalisera les épisodes de celle-ci. Elle est l’adaptation d’un roman d’Arthur Bernède sorti en 1927, et fut diffusée du 6 mars au 27 mars 1965 sur l’ORTF. Claude Barma fut une personnalité incontournable de la télévision, ayant également travaillé sur d’autres productions très connues comme "Les Rois Maudits", des épisodes des "Enquêtes du Commissaire Maigret" ou des "Cinq Dernières Minutes".

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Crédit photo : ORTF.
Présentation de la série

Paris, 1965. Une ville riche de ses quartiers emblématiques, de ses personnages excentriques, et de lieux touristiques. Les autorités sont toutefois sur le qui-vive, à l’occasion d’une affaire qui les préoccupe grandement. Au Louvre, lors d’une nuit de ronde, l’un des gardiens a aperçu, dans la salle des reliques égyptiennes, ce qui semble être un fantôme. Une ombre vêtue de noir, que les balles d’un pistolet ne sont pas en mesure d’arrêter. Intriguées par cette affaire, les forces de l’ordre enquêtent sur ce mystère, d’autant plus qu’un gardien a été assassiné. Mais elles piétinent, faute d’indices.

Un étudiant, André Bellegarde, fasciné par l’étrange, et particulièrement intéressé par ce mystère, décide d’enquêter lui aussi. Parvenant à se faire enfermer une nuit dans le musée, il tombe sur une charmante jeune femme, Colette, avec laquelle il se lie d’amitié, mais aperçoit également un enfant, qui aurait touché à la statue de Belphegor présente dans le musée. Le Commissaire Ménardier se lance lui aussi sur la piste du fantôme, souhaitant résoudre cette énigme. Moins par superstition, Ménardier étant un homme plutôt rationnel, que pour résoudre l’enquête sur le meurtre du gardien, et arrêter la personne capable, apparemment, d’entrer et sortir à sa guise du célèbre musée.

Au cours de son enquête, il fait la connaissance d’une charmante vieille dame un peu excentrique, Lady Hodwin, qu’il interroge, et qui le met en garde contre Belphegor, qu’elle connaît et craint. Celui-ci serait un être surnaturel, une entité maléfique, qui semble menacer directement Colette, la fille de Ménardier, victime de tentatives d’enlèvement apparemment liées à l’affaire.

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Juliette Gréco et Yves Rénier / Crédit photo : ORTF.
Une mini-série intrigante et riche en rebondissements

A l’époque de sa diffusion, "Belphegor" est sans conteste une production qui aura marqué son temps, à cause de son ambiance particulière, son sujet intrigant, et ses nombreuses qualités formelles. La première, et non des moindres, est son habileté à jouer de ses variations de genre. Cette mini-série est en effet à la fois une série policière, une série à mystères, une série romantique – le personnage d’André Bellegarde rencontre en peu de temps deux belles jeunes femmes, Laurence Borel et Colette Ménardier, qui le séduisent toutes deux, et il se retrouve ainsi au sein d’un épineux triangle amoureux – et une série fantastique.

Le personnage de Belphegor est en effet, à l’origine, une figure mythologique, son nom étant emprunté à celui d’une entité maléfique : ancien ange déchu, Belphegor est une créature des ténèbres, le dieu de la Paresse – un des sept péchés capitaux de la religion chrétienne. Même si cette origine sera à peine abordée, au détour d’un dialogue, sans avoir de réelle incidence sur l’intrigue.

Tous ces éléments sont malheureusement peu développés, la courte durée de la mini-série ne le permettant pas vraiment, mais parviennent à fonctionner assez bien ensemble, à offrir leur lot de rebondissements bienvenus, et à intéresser suffisamment le public pour lui donner envie de suivre cette mini-série jusqu’à la fin. On pourra considérer que le contrat est rempli, même si la résolution du mystère, elle, peut toutefois sembler assez facile, et même décevoir. Cela tient toutefois relativement la route, à condition de ne pas être trop regardant sur la vraisemblance de la chose.

Pour les téléspectateurs de l’époque, tout comme pour celles et ceux redécouvrant la série bien plus tard, elle offre une agréable replongée dans le Paris d’une certaine époque, celui des années 1960s. Par ses variations de registres, elle rejoint les grandes séries télévisées des années 1960s, comme "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" et "Les Mystères de l’Ouest", qui savaient, pour toutes les deux, associer l’espionnage à d’autres genres, comme le Fantastique ou la Science-Fiction, ou encore le Western, pour la seconde. Le Noir et Blanc des images, bien loin d’affadir l’œuvre, en constitue, au contraire, une des principales forces. Elle accente le côté mystérieux et inquiétant de certaines séquences.

Ce sont ces différents éléments, ainsi que la qualité de son interprétation, et la force de son sujet, qui feront de "Belphegor" à l’époque, une production au retentissement national.

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Yves Rénier / Crédit photo : ORTF.
"Belphegor" : une mini-série à l’esthétique gothique

La série "Belphegor", et c’est entre autres ce qui avait contribué à marquer les téléspectateurs de l’époque, se caractérise par son esthétique gothique indéniable. Celle-ci aura contribué au succès de cette mini-série. Cette esthétique est présente grâce à plusieurs éléments : le musée du Louvre (en réalité reconstitué en studios) offre un fascinant cadre nocturne, clos et labyrinthique. Ce musée devient, par le biais de la fiction télévisuelle, un espace immense, sombre, rempli de couloirs interminables, de salles obscures et de statues immobiles qui semblent observer les visiteurs. Les musées tels que celui du Louvre sont, en général, des lieux chargé d’histoire, et de mystères.

Le Noir et Blanc, par son habile utilisation à l’époque, que ce soit à la télévision ou au cinéma, permettait pour certaines séquences une l’omniprésence de l’ombre, parvenant ainsi à créer une atmosphère inquiétante et presque oppressante. En plus de ce Noir et Blanc propice à susciter le mystère et l’effroi, la réalisation de Claude Barma, constituée en partie de plans en contre-plongée sur les statues, de travellings lents dans les couloirs vides, de gros plans sur les visages inquiets, renvoie à certains moments à l’expressionnisme allemand (comme, par exemple, dans les films "Nosferatu" ou "Le Cabinet du Docteur Caligari").

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Crédits photo : ORTF - Collection Régis Dolle.
Une série marquée par un Fantastique très littéraire

Dans la série "Belphegor", les thèmes du spectre et du secret ancestral dominent. Belphegor lui-même est présenté comme une apparition fantomatique, encapuchonnée, silencieuse, qui glisse plus qu’elle ne marche dans les pièces du Louvre. Cette silhouette noire, à peine aperçue au début de la série, évoque directement les fantômes ou les moines damnés hantant les récits gothiques. De plus, l’intrigue principale repose sur un mystère ancien qui semble resurgir pour hanter le présent – un schéma très gothique.

Comme dans beaucoup de romans gothiques, on constate de plus dans la série une certaine tension, au sein même de la fiction, entre le rationnel, incarné par certains personnages comme le Commissaire Ménardier, qui souhaite s’orienter vers des explications logiques dans un premier temps, et l’inexplicable, incarné par le fantôme, qui semble apparaître et disparaître à son gré. Une présence troublante et obsédante, qui ne cesse d’interroger.

Tout le mystère que propose la série repose aussi sur cette tension entre ces deux polarités opposées caractérisant la mini-série, les téléspectateurs se retrouvant à mener eux aussi, d’une certaine manière, leur enquête sur l’affaire, et libres de choisir une explication rationnelle ou surnaturelle ; entre ce que leur dicte la raison, et la terreur suscitée par certains « événements » au cœur de la série.

A ce sujet, la résolution du mystère de Belphegor est un peu trouble, comme si l’on voulait à la fois apporter une explication rationnelle, cartésienne, à celles et ceux qui le souhaitent, tout en laissant la porte ouverte à la présence de l’irrationnel, du Surnaturel malgré tout. Cette tension permanente au sein du Fantastique est présente jusqu’au bout dans la série, et rappelle à certains égards, de grandes œuvres fantastiques littéraires du dix-neuvième siècle.

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Juliette Gréco / Crédits photo : ORTF - Collection Régis Dolle.
Une distribution artistique marquante

Au casting de cette production, deux noms vont retenir l’attention, et expliquer l’intérêt pour cette mini-série à l’époque. On y découvre en effet, en tant que comédienne, la chanteuse Juliette Gréco, mais aussi un tout jeune Yves Rénier. Ce dernier connaîtra une grande popularité en incarnant, durant plusieurs années, le personnage du "Commissaire Moulin". Il sera également la voix française de plusieurs acteurs spécialisés dans les rôles de personnages avec un certain franc-parler et une certaine décontraction face à l’autorité, comme Chuck Norris, Fred Dyer – le célèbre "Rick Hunter" des années 1980s – et Paul Hogan, pour en citer quelques-uns.

René Dary, interprète du Commissaire Ménardier, livre une prestation fort convaincante, incarnant un commissaire affable et aimable, mais qui ne perd jamais de vue l’enquête, et semble posséder un certain don pour cerner les gens, et savoir obtenir des renseignements d’eux. Comédien à la longue carrière, on a également pu le voir dans la série "Les Cinq Dernières Minutes", ou le film "Touchez Pas au Grisbi", pour citer certaines des productions les plus connues auxquelles il a participé.

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Yves Rénier Crédit photo : ORTF.
La réception de la série

Lors de sa diffusion originale en 1965, la série "Belphegor" a été, au vu de ses audiences, un véritable petit phénomène de société, captivant le public français comme peu de programmes l'avaient fait auparavant.

Programmée sur la 1ère chaîne de l'ORTF du 6 au 27 mars, elle a attiré en moyenne 10 millions de téléspectateurs par épisode. Le final a même réuni 15 millions de personnes, tenant ainsi la France en haleine pendant quatre semaines, à raison d’un épisode par semaine. Signe notable de la grande popularité du programme, les acteurs étaient parfois interpellés dans la rue par des fans exigeant de révéler l'identité de Belphegor. L'impact culturel du programme fut tel que le général de Gaulle, lors de sa campagne électorale de fin 1965, avait évoqué une « atmosphère à la Belphegor » pour dénoncer les remous médiatiques autour de l'affaire Ben Barka.

Le réalisateur Lars Von Trier, qui produisit et supervisa lui-même une série mettant en scène un lieu hanté, "Riget", connue chez nous sous le nom de "L’Hôpital et ses Fantômes" cita "Belphegor" comme une de ses inspirations notables, en plus de "Twin Peaks".

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Christine Delaroche / Crédit photo : ORTF.
Conclusion : un mythe persistant qui résiste au passage du temps

En 2001, le mythe "Belphegor" renaît, avec deux productions, d’un intérêt très limité pour les deux projets. Une adaptation animée pour l’un, coproduction franco-belge-canadienne en 26 épisode, créée par Gérald Dupeyrot, diffusée sur France 2 en France. On y retrouve, parmi les personnages principaux, certains des personnages du roman original, mais l’histoire est totalement différente.

Ensuite, un film sort sur les écrans, avec une distribution composée de Michel Serrault, Sophie Marceau, Julie Christie et Frédéric Dieffenthal, réalisé par Jean-Paul Salomé. Une version qui ne marquera pas particulièrement les esprits, et qui est assez mal reçue par la critique lors de sa sortie. Ses effets spéciaux légèrement envahissants font glisser le mythe dans le Surnaturel le plus grotesque, notamment avec un Belphegor qui ne serait qu’un fantôme échappé d’une momie.

Toute la subtilité et l’ambiguïté de la série télévisée de 1965, à laquelle on tente de rendre hommage à travers quelques séquences pourtant, disparaissent dans ce film fort oubliable par ailleurs. Il n’est pas réellement mauvais, et présente quelques idées de mise en scène intéressantes, mais le problème est que la direction d’acteurs y est inexistante, et les dialogues indigents, ridicules, voire inutiles. On en viendrait à souhaiter une revisite du film sans eux, parfois, tant ils gâchent certaines séquences.

En décembre 2025, le service de streaming HBOMAX propose une version modernisée et actualisée de "Belphegor", avant que celle-ci ne soit ensuite diffusée sur M6 (coproductrice de ce projet) en 2026. Une version portée par les comédiens Shirine Boutella, Aure Atika, Vincent Elbaz et Kad Merad, qui ne possède malheureusement aucune des qualités formelles de la série originale, mais qui témoigne d’un intérêt toujours présent pour une production de qualité, comme savait en faire la télévision française des années 60.

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François Chaumette et Sylvie / Crédit photo : ORTF.
DISTRIBUTION

Juliette Gréco : Laurence Borel / Stéphanie Hiquet.
Isaac Alvarez : Belphegor.
Yves Rénier : André Bellegarde.
Christine Delaroche : Colette Ménardier.
René Dary : Commissaire Ménardier.
François Chaumette : Boris Williams.
Sylvie : Lady Hodwin.
Paul Crauchet : le Gardien Gautrais.
Marguerite Muni : Louise Gautrais.
René Alone : Doublet.
Yves Bureau : Ménard.

FICHE TECHNIQUE

Réalisation : Claude Barma
Adaptation et scénario : Jacques Armand
Responsable de la production : Robert Paillardon
Supervision du script : Marie Darricades
Musique originale : Antoine Duhamel
Directeur de la photographie : Jacques Lemare
Création des décors : Maurice Valay
Montage : Marcelle Lioret
Assistante au montage : Francoise Vinoy
Costumes : Christiane Coste, Françoise Tournafond
Assistante aux costumes : Agnès Senne
Régisseurs : Gilbert Marion, Jacques Serres
Maquillage : Christine Fornelli
Coiffures : Nicole Félix
Assistants à la réalisation : Bernard Quatrehomme, Jérôme Habans
Assistant à la production : François Comtet
Secrétaire de production : Nicole Guérin
Ensemblier : Pierre Gerbert
Prise de son : Charles Rabeuf
Perchman : Michel Chamard
Montage sonore : Jacques Decerf
Assistant montage sonore : Maurice Compère
Cascades : Lionel Vitrant, Odile Astié, Sylvain Levignac
Caméraman : Charlie Gaëta
Assistants à la caméra : Jean-Paul Lemaître, Claude Maurice
Accessoires : Jean Catala
Sociétés de production : Office de radiodiffusion télévision française et SN Pathé Cinéma (1965)

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