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Un flic dans la mafia avec Ken Wahl : Les origines de la série

Par Emmanuel Francq

Les derniers feux cannelliens

Dans la carrière de Stephen J. Cannell, "Un flic dans la mafia" représente sans doute sa dernière grande série. Après "Un flic dans la mafia" et la fin de "Rick Hunter" (1991), Cannell connaît encore quelques beaux succès avec "L’as de la crime" (1991/96), "Les dessous de Palm Beach" (1991/99) et "Le Rebelle" (1992/97). Toutes sont des sympathiques œuvres « popcorn », distrayantes mais sans grande profondeur. Notons encore une poignée de séries à saison unique comme "Booker" (spin-off de "21 Jump Street") ou "Unsub" avec David Soul . Sans oublier la désormais culte "Profit" (avec seulement 8 épisodes au compteur) où le héros préfigure "Dexter".

De fait, sa prolifique carrière de producteur et scénariste (84 œuvres) prend doucement fin en 1997. Cannell se reconvertit ensuite comme auteur de romans policiers dont certains deviennent des best-sellers aux Etats-Unis, rejoignant son héros Mark Savage, écrivain idolâtré par Lionel Whitney dans la loufoque "Timide et sans complexe" (1979). Entre 1997 et 2003, il produit encore quelques téléfilms d’anciens succès : "200 dollars plus les frais" (1997) et "Rick Hunter" avant une tentative ratée de relancer cette dernière en série hebdomadaire en 2003 (5 épisodes dont seulement 3 diffusés aux USA). Peu avant sa mort le 30 septembre 2010, Cannell participe à la production de ses séries adaptées pour le grand écran avec "L'Agence Tous risques" et "21 Jump Street".

Une nouvelle approche

Au regard de sa production passée, on serait donc en droit de croire que "Un flic dans la mafia" n’est pas une œuvre de Cannell mais plutôt de Steven Bochco ("Hill Street Blues", "La loi de Los Angeles", "Cop Rock"). Action, humour, fusillades et cascades en bagnoles constituent la « marque Cannell ». Tournées comme des bandes dessinées, "L'Agence tous risques" et "Rick Hunter" restent à cet égard les plus emblématiques. Mais à côté d’œuvres légères jaillissaient d’autres plutôt étonnantes, aux personnages torturés et réalistes : "Stone", "Timide et sans complexe" et "J.J. Starbuck". Dès lors, qu’est-ce qui a poussé Cannell à produire "Un flic dans la Mafia" ? « J’étais à la recherche de quelque chose que je n’avais encore jamais vu avant dans une série télévisée. J’avais besoin de sentir quelque chose de très fort et qui serait excitant pour moi en tant que scénariste. »

L’idée lui vient après avoir produit l’éphémère série "Stone" (1979, 9 épisodes) avec Dennis Weaver ("Un shérif à New York", "Duel" de Steven Spielberg). La série raconte le succès d’écrivain (tiens, tiens…) du Sergent Stone et la jalousie de ses collègues des forces de l’ordre. Un personnage sans doute inspiré de Joseph Wambaugh, ex-flic et auteur à succès, notamment du scénario de "Les flics ne dorment pas la nuit" (1972) et de l’anthologie "Police Story" (1973/78). La création ne part jamais de rien et l’art imite la vie. Dans un épisode de "Stone ", le héros doit faire revenir un flic infiltré dans la Mafia pendant 10 ans mais ce dernier ne parvient pas à retrouver sa vie de flic d’avant (sujet plus tard d’un épisode de "Deux flics à Miami", saison 1, épisode 2 : "Haut les cœurs").

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Crédit photo : CBS Television
Un concept original

Cannell pense à un concept binaire : d’une part, une structure narrative en « arcs » faisant courir une histoire sur plusieurs épisodes et d’autre part, une plongée réaliste au cœur des milieux criminels et leur bling bling (voitures, fringues de luxe, fric, belles dames). Ces derniers ingrédients étant déjà présents dans "Deux flics à Miami" (1984/89). Bouleversant les codes filmiques et de photographie jusqu’alors établis, cette série, produite par Michael Mann, suivait le quotidien de deux flics (un blanc, un noir) infiltrés dans les milieux des trafiquants de drogue à Miami. "Un flic dans la Mafia" partage d’ailleurs de nombreux points communs avec celle-ci : esthétique cinéma, héros tourmentés, ambiance très noire, acteurs, réalisateurs, scénaristes ayant tous travaillé pour Mann.

Pour l’anecdote, en 1983, Cannell avait été approché par Brandon Tartikoff, patron des programmes chez NBC, pour adapter le scénario d’Anthony Yerkovich en pilote de série à Miami. Mais Cannell déclina avant de déclarer ensuite qu’il était admiratif du travail réalisé par Michael Mann. Sur sa série suivante ("Crime Story - Les Incorruptibles de Chicago" (1986/88)), Mann emploie le scénariste David J. Burke. Impressionné par son travail, Cannell l’engage ensuite pour travailler sur "Un flic dans la Mafia". Burke deviendra le maître d’œuvre de la série, l’artisan décortiquant le mieux la personnalité de Vinnie Terranova.

Une atmosphère singulière

Plus haut, nous évoquions un autre grand auteur/producteur télé, Steven Bochco. Bien avant Cannell, il avait développé avec brio la structure en arcs narratifs, caractéristique intrinsèque de ses séries "Hill Street Blues" (1979/87) et "La loi de Los Angeles" (1986/94). Mais il s’intéressait plus aux flics et aux avocats qu’aux criminels. La recette trouvée par Cannell va démarquer "Un flic dans la Mafia" des autres séries policières : une atmosphère très sombre et réaliste (bravo au directeur photo Frank Johnson), une constante ambiguïté entre le bien et le mal et un héros « borderline » plus développé ici que dans "Deux flics à Miami".

Mais celle-ci avait de gros défauts : proposer des épisodes bouclés en une heure (hormis quelques-uns en 2 parties), rester à la surface des émotions (sauf dans l’excellent "Evan", saison 1, épisode 21, avec déjà William Russ), stagner à cause du charisme égocentrique de sa vedette, Don Johnson, tirant toute la couverture à lui. A contrario, les scénarios de "Un flic dans la Mafia" ne pouvaient pas se conclure en un épisode. Cannell avait besoin de pouvoir étirer son récit sur 4 à 10 heures. Il propose le concept à plusieurs chaînes qui refusent jusqu’à ce que le nouveau patron des programmes de CBS, Kim LeMasters, accepte en lui disant que c’est une « idée cool ».

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Ken Wahl et Ray Sharkey / Crédit photo : CBS Television
Le choix de Ken Wahl

Démarre la préproduction et le long processus de casting. Cannell pense tout de suite à Ken Wahl pour incarner Vinnie Terranova. Vedette montante de cinéma avec les modestes succès des drames "Les Seigneurs" et "Le policeman" avec Paul Newman, Wahl ne souhaite pas faire de la télévision. A l’époque, cela aurait voulu dire que sa cote au cinéma allait baisser, la télé étant alors considérée comme un sous-produit pour des acteurs de seconde zone ou en perte de vitesse. Mais le comédien était conscient que son jeu d’acteur et sa « belle gueule » ne suffiraient pas à rameuter les foules sur une longue période. Après avoir lu le scénario du pilote, brillamment écrit Stephen J. Cannell et Frank Lupo, il se laisse finalement convaincre. Tout héros charismatique doit avoir sa némésis, son double négatif.

Pour camper le mafieux Sonny Steelgrave, Cannell engage Ray Sharkey, un acteur avec qui il voulait travailler depuis 10 ans. Le comédien l’avait impressionné dans le film "Le temps du rock’n’roll" (1980), film maudit à Hollywood car dressant un portrait peu reluisant de ses coulisses. Sharkey se laisse également séduire par la qualité du scénario et ne le regrette pas. Wahl confia ensuite que Sharkey considérait la série comme le meilleur moment de sa carrière.

Le tournage du pilote

Il démarre le 05 avril 1987 à Vancouver (Colombie britannique, Canada) où ont également été tournées d’autres séries comme "21 Jump Street", "MacGyver" et "The X-Files". Sur le plateau (et ce durant toute la série), les acteurs s’entendent tous à merveille. Ken Wahl forme un formidable trio avec Jonathan Banks et Jim Byrnes, tels trois frères. Wahl n’hésite pas à laisser la place à ses partenaires pour leur permettre de briller, au contraire d’un Don Johnson qui, sur le tournage de "Deux flics à Miami", tirait la couverture à lui et se révélait souvent colérique.

Disposant d’un budget confortable de 3 millions de dollars, le pilote de 90 minutes comporte des scènes d’action spectaculaires pour l’époque, filmées de nuit avec un hélicoptère. Tout l’univers de la série s’y trouve déjà : un héros charismatique, un méchant du même acabit, des ambiances nocturnes rappelant celles des films noirs, une ambiguïté entre la loi et le crime, une direction de la photographie léchée et un scénario implacable. Comme "Deux flics à Miami" 3 ans plus tôt, la série présente des qualités cinématographiques indéniables qui la différencient du tout-venant télévisuel de la même époque.

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