Par Jacques Ferenzi
Dans le téléfilm "Duel", David Mann, représentant de commerce, doit se rendre en voiture à un rendez-vous d'affaires en traversant le désert de Californie. Mais le voyage s'avère plus compliqué que prévu. Il se retrouve bientôt gêné par un vieux camion-citerne semi-remorque à l'aspect sale et délabré qui semble rouler au ralenti en surrégime, son pot d'échappement crachant une épaisse fumée. Presque aussitôt après avoir été dépassé, le camion le rattrape et le double à vive allure avant de se rabattre brusquement en faisant une queue de poisson avec sa remorque. Pour David Mann, c'est le début de ce qu'il croit d'abord n'être qu'un jeu avec le mystérieux camionneur. Il réalise bien vite qu'en fait de jeu, c'est celui du chat et de la souris que ce dernier a délibérément entrepris de mener jusqu'à une issue risquant d'être fatale...
AU DEPART, UNE NOUVELLE DE RICHARD MATHESON
Né en 1926, Richard Matheson suit des études de journalisme à l'University of Missouri. Mais, il se consacre très tôt à la littérature. En 1950, âgé de 24 ans, il publie sa première nouvelle, "Le journal d'un monstre". Le tout sous la forme d'un journal intime. Ce texte novateur raconte à la première personne comment un enfant en vient à haïr profondément ses parents.
Le temps de la consécration
Puis, Richard Matheson enchaîne avec d'autres nouvelles sur des thèmes proches, entre science-fiction, polar, fantastique et horreur. Il s'impose réellement au milieu des années 1950, en publiant coup sur coup deux romans fantastiques qui sont aujourd'hui devenus des classiques du genre. Des oeuvres qui ont profondément marqué les grands auteurs des générations suivantes. On pensera notamment à Stephen King et à Michael Crichton.
Le premier, "Je suis une légende" (1954), relate la difficile survie dans une cité apocalyptique du dernier homme "normal" vivant sur terre, après une épidémie qui a transformé les êtres humains en vampires. Puissante et horrifiante allégorie sur l'humanité, cette histoire-culte a été transposée au cinéma à trois reprises. Le second roman, "L'homme qui rétrécit" (1956) confronte lui aussi un homme isolé à une terrifiante fatalité. Scott Carey, victime d'un nuage radioactif, voit en effet son corps rétrécir de jour en jour, jusqu'à ce que tous les êtres vivants autour de lui deviennent pour lui de redoutables prédateurs. Richard Matheson a lui-même cosigné une adaptation pour le grand écran, réalisée par Jack Arnold en 1957.
Entre la sortie de "Je suis une légende" et de "L'homme qui rétrécit", il publie en 1955 un polar au style tout aussi efficace, "Les seins de glace". Quel que soit le genre abordé, Richard Matheson plonge toujours son lecteur dans un univers de peurs ancestrales où se mêlent folie, angoisse, solitude, abandon et mort...
Un apport déterminant dans le cinéma et la télévision
Dans les années 1960, le romancier se tourne vers l'écriture de scénarios pour le cinéma et la télévision. Outre l'adaptation de ses propres oeuvres, il travaille notamment sur les séries "La Quatrième Dimension" et "Star Trek". Il participe également et activement à l'adaptation des contes d'Edgar Poe par Roger Corman : "La chute de la Maison Husher" (1960), "Le puits et le pendule" (1961) et "Le corbeau" (1963). Il est donc aussi le scénariste de "Duel", film qui lancera la carrière de Steven Spielberg en 1971, de la mini-série "Les chroniques martiennes" (1980) avec Rock Hudson et du troisième volet des "Dents de la mer" (1983).
Parallèlement à ses romans et ses scénarios, Richard Matheson publie de nombreuses nouvelles (une centaine au total rassemblées dans plusieurs recueils dont "Derrière l'écran", "La poupée à tout faire", "Au bord du précipice", "Miasmes de mort", "Une aiguille en plein coeur", etc.). Richard Matheson a reçu pour son oeuvre de nombreux prix littéraires et cinématographiques, dont les Prix Hugo, World Fantasy et Bram Stoker.
DUEL : LE CHAT ET LA SOURIS
"Duel" ou un camion aux "mâchoires" carnassières prêt à engloutir une misérable voiture, ça ne vous rappelle rien ? Pas même la célébrissime séquence de "Jurassic Park" où un terrifiant T-Rex prend une Jeep en chasse ?
A plus de vingt ans d'intervalle, c'est pourtant le même réalisateur qui signe ces deux morceaux de bravoure du cinéma d'action. Même efficacité des cadrages et du montage, même science du découpage reposant sur une savante opposition entre avant-plans et arrière-plans, même situation d'un protagoniste parfaitement ordinaire plongé dans des circonstances extraordinaires…
Un génie du cinéma se révèle
A tout juste 25 ans en 1971, Steven Spielberg réalisait un formidable road-movie où un banal représentant de commerce devait affronter un camion, redoutable monstre d'acier. Le coup de génie du cinéaste, c'est de ne jamais révéler le visage du chauffeur dont on finit par se demander s'il existe seulement. Ainsi, Spielberg faisait du poids lourd une créature fantastique déshumanisée. Le symbole d'une époque qui a sacralisé la machine. Une période au cours de laquelle on a réduit l'être humain à l'état de pantin privé de libre-arbitre. Le réalisateur confiera d'ailleurs par la suite : "Duel est un réquisitoire contre les machines. J'ai décidé très tôt que tout dans le film devait conduire à la complète dislocation de notre société entièrement technologique."
Une oeuvre reflet de son époque
Ecrit par Richard Matheson, le film s'inscrit dans la droite ligne du cinéma paranoïaque des seventies. Celui qui mettait en garde contre les menaces qui pèsent constamment sur les libertés individuelles (que l'on pense à "Conversation secrète" de Coppola ou aux "Trois jours du Condor" de Sydney Pollack). Certes, il ne s'agit pas d'un film fantastique au sens traditionnel du terme. En effet, il n'y a ni phénomène surnaturel, ni extraterrestre, ni futurisme technologique, qui seront tant prisés par Spielberg par la suite. Pourtant, ce "road-thriller" hitchcockien suggère à chaque instant la présence inquiétante, et invisible, d'un être maléfique. Alors serait-on passé du côté de la Quatrième Dimension ?
DISTRIBUTION ARTISTIQUE
David Mann : Dennis Weaver (voix française : Jean-Claude Michel)
Madame Mann : Jacqueline Scott
Le propriétaire du Café : Eddie Firestone
Le conducteur du bus : Lou Frizzell (voix française : Albert Médina)
L'homme dans le Café : Gene Dynarski (voix française : Claude Bertrand)
La femme à Snakerama : Lucille Benson
Le présentateur à la radio : Randy Baker (voix française : Roland Ménard)
Le candidat à la radio : Andrew T. Wayne (voix française : Jacques Thébault)
Diffusion USA : 23 novembre 1971 sur ABC Television
Diffusion France : 21 mars 1973 au cinéma
FICHE TECHNIQUE
Réalisateur : Steven Spielberg
Scénariste : Richard Matheson
D'après l'oeuvre de : Richard Matheson
Producteur : George Eckstein
Responsable de la post-production : Charles Clement
Responsable de plateau : Wallace Worsley Jr
Directeur de la photographie : Jack A. Marta
Opérateurs caméra : Pat Eustis, Sherman Kunkel
Directeur artistique : Robert S. Smith
Décors : Sal Blydenburgh
Son : Edwin S. Hall, Sam Caylor
Effets sonores : Jerry Christian
Montage des effets sonores : Dale Johnston, Jack Kirschner, Ronald LaVine, Sid Lubow, Richard Raderman, John Stacy
Monteur : Frank Morriss
Compositeur de la musique : Billy Goldenberg
Cascadeurs : Carey Loftin, Dale Van Sickle, Carol Daniels
Pilote hélicoptère : James W. Gavin
Assistant-réalisateur : James Fargo
Coordination des transports : Alby Thomas
Transports : Donald P. Desmond, Alfred Schultz
Mécanicien : Junior Newman
Conseiller technique : Michael Parkhurst
Production : Universal Télévision (1971) pour ABC Television