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Tin Star : La série

Par Pierre Tognetti

Tin Star ou Tim Roth au Canada


Parmi la pléthore de séries très moyennes, sur le mode « vite content », que propose OCS, il y a heureusement encore de la qualité avec ce récit original. Une série qui aura finalement compter trois saisons.

L'ancien détective de la police de Londres, Jim Worth, est le nouveau chef de la police d'une petite ville des Rocheuses, où il s'est déplacé avec sa famille pour échapper à son passé. L'afflux de travailleurs migrants d'une nouvelle grande compagnie pétrolière, dirigée par la mystérieuse Mme Bradshaw, le force à affronter la vague de crime qui menace sa ville.

Saison 1 à 3 - 10 épisodes par saison. Avec Tim Roth, Christina Hendricks, Genevieve O'Reilly, Abigail Lawrie, Oliver Coopersmith, Ian Puleston-Davies.


Disserter à propos d’une série est un exercice relativement complexe. Son format à tiroirs qui suppose à la fois une multiplication de personnages, d’enjeux, de lieux, de situations etc. le tout forcément jonchés de twists, ne facilite pas les choses. A l’inverse d’un gabarit destiné au cinéma, sa durée longue permettant de travailler les sous intrigues, rend d’autant plus accidentogène le travail de rédaction lorsque, comme moi, on a tendance à avoir la plume plutôt féconde tout en essayant de préserver le suspens. Je vais pourtant sortir de ma zone de confort pour essayer de vous parler brièvement, et sans rien révéler, de ce qui est, avec tout ce que cela suppose de subjectif, la meilleure série vue depuis des lustres (formule médiévale, époque plutôt bougies).

Alors essayons pour cela de prendre le taureau par les cornes (formule tauromachique, plutôt risquée) pour vous dire en quelques mots pourquoi cette série est une véritable bombe émotionnelle à retardement. Alors qu’en cette période de fin de confinement, face à la profusion de titres, vous êtes forcément frappé(e)s par le syndrome de l’hésitation coupable (l’inverse de celui du choix innocent) à l’idée de vous lancer pour 450 minutes de visionnage, je vais avoir besoin de votre attention pour peut-être vous aider, juste le temps de lire les phrases suivantes...

Et de vous y décrire les trois petites minutes (durée précise à la seconde près !) de la scène post-générique du premier épisode qui semble être une fuite pour un couple et ses deux enfants. Une mise sous tension immédiate durant laquelle on suit leur SUV sinuer sur une route au milieu d’un paysage de carte postale. La pesante dramaturgie exacerbée par une musique stridente à grands coups de violoncelle, nous laisse imaginer sans mal qu’ils ont la mort aux trousses. Le conducteur fait subitement demi-tour pour mettre de l’essence à une pompe automatique perdue au milieu de nulle part. C’est alors que surgit de nulle part, sous l’apparence d’un individu encapuchonné, le visage caché derrière un vulgaire masque blanc et un flingue pointé vers le conducteur, l’incarnation probable de « la mort aux trousses ». Malgré son cri d’avertissement, la jeune fille aura le visage aspergé de sang après une détonation. Une introduction choc, éclaboussée de mystère, pour un véritable traumatisme sonore et visuel.

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Voilà, quelques lignes pour trois minutes d’un tour de passe-passe magistral, un électro choc qui réveille brutalement vos sens et vous interdit de lâcher l’affaire, surtout si je rajoute que le conducteur, à qui la balle était destinée, c’est le chef de police Jim Worth (Tim Roth), nouvellement nommé au commissariat de Little Big Bear, petit ville pittoresque des rocheuses canadiennes. Si vous n’étiez pas convaincu, tête de mule que vous êtes (expression paysanne d’avant-guerre), vous m’obligeriez à rajouter que les quarante minutes suivantes sont contées sous la forme d’un flash-back, celui de l’année précédant la scène introductive.

Moins de trois quart d’heure suffiront pour découvrir l’ordinaire tranquille de ce petit commissariat de province où les deux seuls flics affectés partagent leur temps entre parties de "Call of Duty" et constats de chiens écrasés. Le nouveau chef déambule sa carcasse nonchalante dans les rues entre bikers, cowboys et natifs. C’est vrai qu’à côté de la bourgade de "Banshee", Little Big Bear ressemble plutôt au hameau de Walnut Grove dans "La petite maison dans la prairie", et que la vie s’y écoulerait presque comme un long fleuve tranquille. Presque, car on découvre la présence de conflits d’intérêts entre un gros trust pétrolier, les ploucs locaux et les premiers natifs dont la réserve se trouve au milieu des tuyaux d’extraction de l’or noir. On a donc droit a des airs de déjà vu avec cette les boss de North Stream Oil prêts a tout pour arriver à leur fin, des valises de dollars pour acheter les visages pâles et les indiens, sans oublier un passage par la case corruption de fonctionnaires ou l’emploi de grands moyens pour convaincre les plus réticents.

Vous pourriez à cet instant précis me traiter de gros enfoiré pour vous avoir amené jusqu’ici, en vous livrant en substance tout le contenu de ce premier épisode. Ce à quoi je vous rétorquerai tout d’abord que nous n’avons pas gardé les cochons ensemble (expression redneck datant, selon John Boorman, de 1972). Ensuite, je rajouterai que je ne me suis pas trimbalé pendant près de huit heures cette bonne trogne de Tim Roth cabotinant gentiment dans une intrigue en apparence aussi convenue, pour en faire un papier et l’élire « meilleure série vu depuis des lustres » !

Car le pilote de "Tin Star" s’achève précisément là où il avait commencé, mais vu d’un autre angle ce qui nous permet de mieux comprendre ce qui s’est réellement passé. Et c’est là que les choses vont prendre des tournures dont je vous mets au défi d’augurer vers quoi elles vont finir par déboucher. Cependant, pour connaitre les véritables enjeux et leurs mobiles, les « pourquoi est-ce arrivé », les « comment », les who’s who, les whodunit, les who’s my girl (ah non ça c’est Madonna) etc., il vous faudra aller au bout des neufs autres épisodes, et vous lancer sur les traces sanguinolentes de cet incroyable scénario « gare » (celui d’un twist pouvant en cacher un autre…).

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Une série écartelé entre under cover movie et thriller forestier, Hardboiled et action movie, et qui lorgne du côté de "Ozark", "Banshee" (ben, oui, au final….) et "Fargo". Le tout traversé par quelques fulgurances à l’esprit très Tarantinesque, comme avec ce gun fight savoureusement accompagné par les banjos de The dead south ou cet interrogatoire ambiancé "Reservoir Dogs". Quelques effets de style qui suffiraient presque à eux seuls ce détour mortel. Mais parler de "Tin Star" comme un simple objet télévisuel très référencé serait faire injure à l’ampleur de cette mise en scène ciselée de main d’orfèvre. Au contraire de ce genre de série labyrinthique, elle ne vous laisse jamais sur le bas coté avec ses sous-intrigues, ses flash-backs, sa narration parfois déstructurée, sa profusion de personnages…. A aucun moment le rythme ne se trouve ralenti. Chaque nouveau twist fonctionnant comme un accélérateur de situations.

Si le tempo et la rigueur de la narration sont, avec la mise en scène, des points forts de ce "Tin Star", c’est assurément la rigoureuse caractérisation des personnages qui cimente l’ensemble. Avec Simon (Oliver Coopersmith), le gamin sur les traces de shérif, aussi effrayant que bouleversant dans son attitude entre ange et démon, un cynisme bipolaire qui renvoie a un des kidnappeurs de "Funny Games" (1997, déjà avec…Tim Roth). Coté mâle rugissant la palme revient au grand échalas glabre (Christopher Heyerdahl), le mystérieux employé de la North Stream Oil, monstrueusement flippant ! La femme de Jim (Geneviève O'Reilly) est comme sa fille (Abigail Lawrie), d’une grande justesse émotionnelle, sans sur-jeu. Avec la flic (Sarah Podemski) et la belle rousse (Christina Hendricks) à la solde de la compagnie, elles viennent définitivement conforter l’idée que les showrunners ont compris la leçon avec cette montée en puissance du girl power. Ou quand les femmes ne sont plus cantonnées à jouer les faire-valoir.

Mais que dire de la prestation de Tim Roth ? Avec ce rôle Mister Orange nous sort incontestablement son meilleur jus, celui d’un acteur possédé par son rôle, au point de cacher pendant de très longues heures, même aux rétines les plus avisées, la véritable personnalité de Jim. Ou de Jack… Tim Roth et son regard lointain, presque distancié, la carrure « monsieur tout le monde », la force tranquille, le sourcil cynique, nous sort sa plus belle palette d’actor studio. Flic au passé trouble, alcoolique incurable, il nous embarque à lui tout seul dans les arcanes de sa psyché tourmentée et fragmentée (je ne peux pas en dire plus) comme on a rarement l’habitude d’en voir dans ce format. Ce mec est absolument incroyable, et si je n’ai pas attendu cette série pour le savoir. Il confirme à toutes et à tous, et sans aucune contestation possible, que c’est un grand petit homme !

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Esthétiquement "Tin Star" est en tout point superbe, que ce soit avec l’étalonnage des scènes nocturnes, dans l’espace étriqué des huis clos, ou dans ses travellings vertigineux sur ces magnifiques contrées sauvages. Le score métronomique, à grand coups de cors gras ou de cordes cristallines, bien qu’omniprésent, arrive presque à se faire oublier tant il enrobe délicatement l’intrigue. Toutefois, dans ce climat oppressant, il laisse un peu de place à une partition musicale très folk local et revigorante. Tout comme ces petites étincelles d’humour noir très bien venues, histoire de nous préparer pour affronter la puissance dramaturgique des deux derniers épisodes…

Cette première saison de "Tin Star" ne souffre quasiment d’aucune scorie, et rentre de plein fouet dans la catégorie des Must have pour l’impression post visionnage qu’elle nous laisse, celle exclusivement réservée au bel ouvrage (expression XIXIème siècle, Gustave Eiffel). Si vous avez réussi à lire jusqu’ici, c’est que cela ne vous a pas pris plus que la durée de la scène pré-générique. Alors foncez pour doubler le timing. Et dans 450 minutes, vous me direz merci ! Mais je vous en prie (expression ecclésiastique) !