Par Thierry Le Peut
La série "Arabesque" présente les enquêtes de Jessica Fletcher. Cette dernière est une romancière, qui se fait un plaisir d'élucider les crimes en tous genres qui parsèment la vie de tous les jours...
PREAMBULE
L’investigation policière menée par un personnage ordinaire et d’apparence inoffensive est un genre en soi. Ainsi, la série "Pour l’amour du risque" confie-t-elle la vedette à un couple de milliardaires plongés « accidentellement » dans des situations de nature policière. Puis, elle s’autorise à partir de ce canevas de base une gamme de variations potentiellement illimitée.
Avec "Arabesque", on est aussi dans ce que l’on pourrait qualifier de « fantaisie policière ». En effet, l’héroïne est une femme écrivain (certains disent aujourd’hui « écrivaine ») qui écrit des récits policiers. De surcroît, elle connaît un grand succès par sa plume. Sa renommée en fait une conseillère utile pour la police. Mais c’est en général par le jeu du hasard et des circonstances qu’elle est mêlée à toutes sortes d’intrigues. Celles que son esprit habitué aux méandres de la criminologie l’aide à élucider, là où nul autre ne semble capable d’y arriver.
PRESENTATION DE LA SERIE
Comme "Columbo", "Arabesque" est une série où la structure récurrente domine, même si les variations que s’autorisent les scénaristes sont plus grandes. En fait, on pourrait considérer qu’"Arabesque" réussit là où "Madame Columbo" avec Kate Mulgrew fut un échec exemplaire. La comparaison n’est évidemment pas anodine. Parce que les créateurs d’"Arabesque" ne sont autres que Richard Levinson et William Link, les géniteurs de "Columbo". Sans oublier Peter S. Fischer qui fut l’un des scénaristes et producteurs des enquêtes de l’inspecteur à l’imperméable. Ensemble, ils ont réuni les éléments d’une fiction ludique dans la lignée des aventures de Miss Marple écrites par Agatha Christie.
Comme Miss Marple, Jessica Fletcher habite une petite ville. En l’occurrence, Cabot Cove, dont elle connaît la plupart des habitants. Là, elle écrit dans la douceur de sa maison, quand elle ne court pas la ville à la recherche d’indices pour éclaircir un mystère, ou qu’elle n’est pas simplement occupée à nettoyer son jardin. N’allez pas croire cependant, si vous ne connaissez pas Cabot Cove, qu’on y respire la sereine placidité de la campagne anglaise, comme dans "Inspecteur Barnaby". Certes, Jessica aime se déplacer à vélo et les dimensions de la ville l’y autorisent. Qui plus est, une si petite ville, charmante au demeurant, est aussi pleine de secrets que le sont les cottages anglais.
La campagne en revanche est moins verte, d’autant que Cabot Cove est située près de la mer. Le havre de Jessica Fletcher, en fait, est à l’image de Bodega Bay. Souvenez-vous ! Cette petite communauté de bord de mer dans laquelle Tippi Hedren part rejoindre Rod Taylor avec son couple d’inséparables, dans "Les Oiseaux" d’Alfred Hitchcock. Le genre de communauté auquel les Américains sont habitués.
A part ça, bien entendu, nous sommes toujours proches de Miss Marple. Bien que moins commère, Jessica est très attentive aux petites habitudes de ses concitoyens. Tout comme au moindre signe de changement. Comme elle connaît très bien le shérif et le médecin de la ville, elle est souvent aux premières loges pour intervenir dans les crimes. Sans oublier les morts subites. Ou bien encore les disparitions étranges auxquelles n’échappe aucune petite ville charmante du bord de mer.
UN SCHEMA SIMPLE MAIS EFFICACE
A partir de ce schéma très simple, les trois scénaristes – et l’équipe qu’ils ont constituée autour d’eux – ont choisi l’interprète idéale, Angela Lansbury ; idéale parce que, justement, elle avait déjà incarné Miss Marple et possédait ce mélange de perspicacité et de malice qu’il fallait à Jessica Fletcher.
Femme affable, toujours prête à ouvrir sa porte et à prêter un lit, voire à offrir le couvert, Jessica est veuve. Aussi, l’évocation de son défunt mari la fait-elle encore fuir dans la cuisine pour cacher son chagrin. L’écriture lui a apporté à la fois le réconfort dont elle avait besoin et l’indépendance financière. Quant à l’investigation policière, elle en est tout simplement passionnée. En effet, elle possède cet élément qui fait les aventuriers, en dépit de sa nature de femme déjà mûre qui goûte le calme d’une (charmante) petite ville : la curiosité.
Romancière à succès, Jessica est régulièrement invitée à des conventions, à des tournées de promotion de ses livres, à des manifestations diverses en rapport avec son domaine de prédilection, à des tournages ou des premières de films, et il lui arrive aussi de se retirer dans un hôtel ou une résidence, au calme (croit-elle...), pour écrire. Autant d’artifices qui permettent de faire sortir le personnage des limites étroites de Cabot Cove. Le tout pour la plonger dans des univers très différents les uns des autres, renouvelant ainsi les possibilités scénaristiques. Mais qu’elle reste dans la ville chère à son coeur ou qu’elle sillonne les grandes villes américaines – voire étrangères, assistant par exemple à un tournage à Rome -, Jessica a toujours l’occasion de tomber sur un cadavre, un enlèvement ou quelque autre mystère rendant fort utiles ses capacités déductives.
Les épisodes de la série, suivant la formule choisie par ses créateurs. Celle-ci est entretenue par Peter S. Fischer, véritable maître d’oeuvre de la série. Ainsi, tous épousent-ils la structure classique du "whodunit ?". En somme, un genre en soi à l’intérieur du policier. Une structure narrative qui consiste à lancer l’enquêteur sur la piste du ou des coupable(s) d’un crime, en commençant par multiplier les suspects.
Tout d'abord, le premier acte d’un épisode, voire davantage, a donc à charge de présenter une série de personnages animés des mêmes mauvaises intentions à l’égard d’un autre, souvent antipathique à souhait. Au terme de ce tour de la distribution épisodique, l’antipathique personnage est assassiné. Puis, s’ouvre alors la deuxième étape. Celle où l’immixtion du détective amateur dans le travail de la police met au jour des indices décisifs, échappant souvent à l’oeil des inspecteurs officiels en charge de l’enquête. Enfin, le plus souvent, le finale prend la forme d’une réunion des suspects, à la manière des énigmes d’Agatha Christie, au cours de laquelle Jessica Fletcher énonce ses théories et démasque l’assassin.
DES ATOUTS DE POIDS
Cette structure récurrente peut sembler ennuyeuse mais la série est portée par le dynamisme d’Angela Lansbury et par l’apparition systématique de visages et de noms connus de l’industrie télévisuelle, certes, mais également cinématographique. On voit apparaître auprès de Jessica Fletcher des stars d’hier et d’alors telles que Stewart Granger, Vera Miles (habituée, elle, aux collaborations à des séries, de "Alfred Hitchcock présente" ou "Cannon" à "Columbo" ou "Magnum"), Jane Powell, Eleanor Parker, Jean Simmons, Stuart Whitman et bien d’autres. Un principe délibéré calqué sur les séries « people » d’Aaron Spelling telles que "La Croisière s’amuse" et "Hôtel".
A défaut de s’intéresser toujours à l’enquête policière, on peut donc apprécier la présence d’un si beau panel de collaborateurs occasionnels. On notera, au passage, que le premier shérif de Cabot Cove, Amos Tupper, est campé par Tom Bosley, le père de Richie Cunningham dans "Les Jours heureux", tandis que le Dr Seth Hazlitt prend les traits de William Windom, un acteur ayant participé à la plupart des séries diffusées depuis les années 60 ou 70.
Tout cela met bien des atouts dans le jeu d’"Arabesque", qui connaîtra douze années de succès sur CBS avant d’être déplacée dans un nouveau créneau horaire qui précèdera de peu son annulation au terme de la douzième saison, en 1996. A cette époque, Les Moonves, président de CBS, semble avoir décidé de remplacer les dinosaures du network par des séries d’action susceptibles d’attirer un public plus jeune vers une chaîne regardée majoritairement par une audience âgée. On verra disparaître de la même façon "Dr Quinn femme médecin", remplacée par "Le flic de Shanghai" (qui ne durera que deux saisons).
CONCLUSION
Au fil du temps, Angela Lansbury était devenue l’une des productrices principales de la série "Arabesque", notamment avec son mari Bruce Lansbury. Un vétéran de la production télé que l’on avait croisé jusqu’alors aussi bien sur "Les Mystères de l’Ouest" que sur "Tonnerre mécanique". Désireuse de ne plus apparaître autant, elle avait parfois cédé la place à des enquêteurs intérimaires. On pensera au détective privé Harry McGraw (campé par Jerry Orbach, le futur Lennie Briscoe de "Law & Order"). Mais surtout à l’ancien voleur devenu enquêteur d’une compagnie d’assurances Dennis Stanton. Jessica Fletcher, elle, était passée non sans quelque difficulté de sa vieille machine à écrire à un ordinateur. Voilà qui occasionna quelques moments de « bug » dans l’écriture de ses romans !
Quoi qu’il en fût, la série resta fidèle à ses premières amours. Ainsi, continua-t-elle d’aligner les whodunits jusqu’à son 264ème épisode, réussissant presque à atteindre les 284 de "Hawaï Police d’Etat", dont elle avait rattrapé le nombre des années : sans attendre jusque là, bien sûr, pour prouver sa valeur ! Elle eut même le bonheur de croiser, à Hawaï, le chemin de deux autres vedettes populaires de CBS : un certain Jonathan Quayle Higgins III et un détective privé dilettante du nom de Thomas Magnum (c’était dans le crossover « Magnum à la Une », commencé dans "Magnum" et conclu dans "Arabesque").
LES CREATEURS : RICHARD LEVINSON ET WILLIAM LINK
Ce couple de créateurs s'est formé au Collège d'Elkins Park à Philadelphie au cours des années 40. En effet, tous deux se découvrent une passion commune pour l'écriture, la critique cinématographique et le développement de magazines.
Puis, à la fin des années 1950, la Desilu ayant acheté une de leurs histoires pour le compte de l'émission "The Westinghouse Desilu Palyhouse", une anthologie théâtrale, ils émigrent à Los Angeles et travaillent pour le compte de la compagnie Four Stars (créée par quatre acteurs très populaires à l'époque : Dick Powell, Joel McCrea, Charles Boyer et Rosalind Russel). C'est ainsi qu'ils écrivent notamment des dizaines de scripts pour "Au Nom de la Loi" avec Steve McQueen, "Honey West" avec Anne Francis, "Johnny Ringo", etc.
Ils produisent leur première série, "Jericho", en 1966, programme qui ne dure qu'une saison mais dont on salue la qualité puis c'est "Mannix" en 1967 et surtout "Columbo", à partir de 1968. Bien plus tard, ils seront à l'origine de la série "Arabesque" avec Angela Lansbury, dès 1984, pour laquelle Mike Connors reprendra le rôle de Joe Mannix le temps d'un épisode diffusé en 1997. Leur collaboration s'est achevée à la mort de Richard Levinson, terrassé par un crise cardiaque le 12 mars 1987.
FICHE TECHNIQUE
Producteurs exécutifs : Peter S. Fischer, Angela Lansbury, David Moessinger
Producteurs : Robert Van Scoyk, Todd London, Tom Sawyer, Peter Shaw
Co-producteurs : Laurence Heath, J. Michael Straczynski, Jerrold L. Ludwig, Walter Dronisch, Anthony Magro
Producteurs associés : Mike Stevens, Stephen Swofford,
Supervision de la production : Robert F. O'Neill, Mark A. Burley, Robert Swanson, Bruce Lansbury
Thème musical : John Addison
Musique : David Bell, John Addison, Richard Markowitz, Jeff Sturges, Bruce Babcock, Steve Dorff, Jonathan Tunick
Directeurs de la photographie : Ron Vargas, John Elsenbach, Robert C. Moreno, Peter Salim, Dennis Dalzell, Mario DiLeo, Emil Oster, Howard Block
Montage : Michael J. Lynch, Donald Douglas, Ellen Ring Jacobson, Bill Turro, Ed Guidotti, Buford F. Hayes, Bill Luciano, Jack Horger, Joe Morrisey, John C. Horger, Ray Daniels, Thomas Petersen, Michael Renaud
Casting : Ron Stephenson
Directeurs artistiques : Mary Dodson, Peter Samish, Leslie Parsons, James H. Ellingwood, Russell J. Smith, William H. Tuntke, Hub Braden, Francis J. Pezza, Michae Friedman
Décors : Robert Wingo, Bill Gregory, Lee Poll, Fred S. Winston, Frank Lombardo, Donald J. Remacle, Wally White, Richard B. Goddard, Bill Webb, Hal Gausman
Costumes : Al Lehman, J. Allen Highfill, Sharon Day
Maquillage : James R. Scribner, Teresa M. Austin, Lori Benson, Vera Yurtchuk
Supervision montage son : Dale Johnston, Paul B. Clay, Cindy Rabideau, Charles R. Beith Jr.,
Effets spéciaux : Wayne Rose, George Zamora
Effets visuels spéciaux : Jim Michaels
Coordination des cascades : Mary Albee, Burk McDancer
Cascadeurs : Eddie Braun, Kurt D. Lott, Rob King, J. Mark Donaldson, Gregory J. Barnett, Marco Paul, Steve Upton, Steven Burnett, Debbie Evans, Larry Holt, Terry James, Steve Kelso, Gene LeBell, Khristian Lupo, Sherry Peterson, Jimmy N. Roberts, Michael M. Vendrell, Greg Walker, Dick Warlock
Production : Corymore Productions (1992/1996) / Universal Television (1984/1996)