Par Thierry Le Peut
Nous poursuivons notre exploration du genre Policier appliqué à la télévision américaine des années 70. Ainsi, après "les flics classiques, mais aussi à gimmicks", voici des "Histoires de flics" qui démontrent de quelle brillante façon, la télévision américaine aura su s'adapter à son époque par le biais de nouveaux héros, mais aussi des héroïnes !
Aussi, il faut souligner que, dans la foulée, d'autres programmes à vocation réaliste vont voir le jour à la télévision américaine. Ainsi, le premier est-il d'ailleurs légèrement antérieur à "Kojak". Parce qu'il commence sa carrière le 2 octobre 1973 sur NBC. En effet, il s'agit de "Police Story". En l'occurrence, une anthologie policière initiée par l'ancien policier et écrivain Joseph Wambaugh. Voici un programme déterminé à montrer les policiers sous un jour plus conforme à la réalité. En somme, loin des « boys-scouts, des eunuques ou des surhommes » traditionnellement dépeints dans les séries (7).
POLICE STORY
Etres humains avant tout
En effet, les policiers de "Police Story" sont pétris de doutes, de peurs, de faiblesses. Car, ils souffrent, commettent des erreurs et aspirent au repos comme tout un chacun. Aussi, s'intéressant à toutes sortes de personnages, chaque épisode mettait-il en vedette des policiers différents, inspecteurs ou officiers, hommes ou femmes, jeunes ou vieux, de la Criminelle aussi bien que du déminage ou des moeurs. Par ailleurs, la série offre une galerie de portraits dont certains se détachent, comme Tony Calabrese incarné par Tony Lo Bianco ou Frank Janek interprété par Richard Crenna. Ce sont d'ailleurs ces acteurs que l'on retrouvera vingt ans plus tard dans des téléfilms ponctuels ressuscitant la série.
L'apport de David Gerber
Outre la participation d'acteurs confirmés, la série bénéficie de la présence de David Gerber, un producteur chevronné récompensé pour une mini-série sur George Washington et responsable par la suite de séries comme "Sergent Anderson", "Joe Forrester" ou "Medical Story", une autre anthologie saluée par la critique. Tout au long de la production, qui durera sept ans et donnera naissance à 94 épisodes, Wambaugh insistera sur la qualité des scenarii, refusant de sacrifier à l'audience en multipliant les coups de feu et l'action au détriment des intrigues et des personnages.
La série vit passer un grand nombre de scénaristes, parmi lesquels les collaborateurs habituels de séries policières comme "Hawaï Police d'Etat", "L'Homme de fer" ou "Columbo" : Sy Salkowitz, E. Arthur Kean, Mort Fine, Mark Rodgers, mais aussi de jeunes talents prometteurs comme Michael Mann, futur producteur de "Deux flics à Miami" et de "Crime Story".
SERGENT ANDERSON
La première femme-flic
Certaines histoires de la série donneront également naissance à des séries dérivées dont "Sergent Anderson", avec Angie Dickinson dans le rôle de la première femme-flic à tenir la vedette d'une série, et "Joe Forrester", avec le déjà vétéran Lloyd Bridges. Ce dernier, qui a fait un passage sur Antenne 2 dès 1977, est décrit comme un flic humaniste, volontiers paternaliste, qui ne connut qu'une saison sur NBC entre 1975 et 1976.
Le Sergent Anderson, en revanche, tiendra l'antenne de 1974 à 1978 avec 91 épisodes emmenés par le thème musical de Morton Stevens. Développée par Robert Collins, l'un des scénaristes de "Police Story", et toujours produite par David Gerber, la série fut récompensée aux Emmy Awards et apporta la notoriété à Angie Dickinson, revue depuis dans les téléfilms de réunion de "Police Story".
Une équipe multiraciale
Autour de la jeune femme, une équipe de flics particulièrement typée compose, une fois n'est pas coutume, un team multiracial. On notera en particulier le sergent Peter Royster dont l'allure pré-grunge annonçait le "Serpico" des mêmes Collins et Gerber et surtout le Belker de "Hill Street Blues". S'intéressant à la vie privée de son héroïne, notamment à ses rapports avec sa soeur handicapée, Cheryl, la série préfigure également le traitement plus feuilletonnesque, quelque huit ans plus tard, de "Cagney et Lacey", consacrée à deux femmes flics dont les déboires personnels occupent autant de place sinon plus que leurs enquêtes policières.
SERPICO
Du cinéma à la télé
Le Serpico campé par David Birney dans les 14 épisodes d'une série diffusée sur NBC de 1976 à 1977 s'inscrit dans la même veine anti-conventionnelle, reprenant le thème du film de Sidney Lumet lui-même inspiré de la vie du vrai Frank Serpico, un policier honni par ses collègues pour avoir dénoncé la corruption qui régnait au sein de la police.
Flic hors-normes
Serpico se déplace en moto, porte des jeans et arbore une barbe fournie, ce qui n'est pas si courant. Surtout, comme Kojak, il affirme son indépendance vis-à-vis d'un système décrédibilisé par la corruption et oppose à l'absence de repères sociaux son propre système de valeurs, fondé bien entendu sur la justice et la défense des opprimés. La série avait sans doute de quoi plaire mais n'a guère eu le temps de faire ses preuves. Elle sera diffusée par TF1 dès 1976, puis rediffusée par La Cinq avant de disparaître de nos écrans.
AUTRES DOSSIERS EN PREPARATION :
FLICS CLASSIQUES ET FLICS A GIMMICKS
LA RELEVE ANTICONFORMISTE
LES FLICS EN UNIFORME
LES FLICS ALTERNATIFS DU NBC MYSTERY MOVIE
NOTES
1. M. Winckler in Les Séries télé, coll. "Guide Totem", Larousse, 1999, p.357.
2. V. Denize in Les grandes séries américaines des origines à 1970, Huitième Art, 1994, p. 174.
3. Lire les quelques lignes de J. Baudou sur la série dans Les séries télévisées américaines, op.cit., pp. 61-62, et l'opinion de R. Meyers dans TV Detectives, A.S. Barnes, San Diego, 1981.
4. J.-J. Schléret in Les grandes séries américaines des origines à 1970, op.cit., p. 37.
5. Déclaration tirée de Photoplay film monthly, 1974, citée par P. Setbon in Telly Savalas, Pac, 1978, p. 53.
6. David Buxton, De Bonanza à Miami Vice, Formes et idéologie dans les séries télévisées, Ed. de l'Espace Européen, 1991, pp. 158-165.
7. Cité par J. Baudou in Génération Séries, n°11, automne 1994, p. 46.
8. J.-J. Jelot-Blanc, Black Stars, Pac, 1985, p. 52.
9. F. Julien dans le livret d'accompagnement du CD Le Compact des séries américaines vol. 3, TV Records.
10. J. Baudou, op.cit., p. 69. 11. Cité par J.-J. Jelot-Blanc dans Télé Feuilletons, Ramsay, 1993, p. 496.
12. Certaines de ces informations proviennent de l'article de Wilfrid Tiedtke, "Columbo : une énigme !", publié dans Ciné News.
13. D'après John Javna et Max Allan Collins, The Best of Crime and Detective TV, Harmony Books, 1988, cité par J. Baudou in Les séries télévisées américaines, op.cit., p. 70.