Par Thierry Le Peut
De Starsky et Hutch à Capitaine Furillo
Préambule
Avec "Capitaine Furillo", en 1981, puis "NYPD Blue", à partir de 1993, Steven Bochco aura imposé un nouveau genre de série policière. Plus réaliste, moins romanesque, mâtinée de feuilleton. Du coup, on a peu d'occasions aujourd'hui de revoir d'autres flics moins « modernes ». Ceux qui ont pourtant marqué le paysage audiovisuel notamment dans les années 70. Les Kojak, Baretta, Starsky et Hutch, qui étaient encore assez courants à l'époque de la défunte La Cinq. Désormais, ils sont contraints aujourd'hui d'aller hanter les plates-formes de streaming, les éditions en DVD, quand ils ne sont pas simplement oubliés.
Passés de mode ? Coupés de la réalité du public des années 90 ? Séries dinosaures ? Il suffit pourtant de revoir quelques épisodes pour découvrir que ces flics-là sont encore capables de séduire. Par un effet de nostalgie sans doute. Mais aussi parce qu'ils savaient déjà être attachants, humains, drôles ou simplement distrayants. Des deux lurons de "Starsky et Hutch" aux motards de "CHiPs", nous vous proposons un petit tour dans l'univers déjà très riche de la série policière de papa. Celle qui a bercé notre enfance (enfin, la mienne, en tout cas...). Séquence souvenir.
Le cas particulier de Starsky et Hutch
Voilà des années que TF1 n'a plus rediffusé "Starsky et Hutch" qui, il y a quarante ans ans ou presque, détenait le quasi-monopole du dimanche après-midi après avoir partagé avec "Dallas" celui du samedi soir. Lorsque la petite M6 a démarré en France, elle a même emprunté une poignée d'épisodes à sa grande soeur RTL, privant les téléspectateurs de la Une de treize histoires sur les 94 que compte la série. Paramount Channel France aura eu le grand mérite de proposer une diffusion intégrale en 2021 et 2022.
En feuilletant Le guide Totem des séries télé, paru chez Larousse en 1999, on peut lire sous la plume de Martin Winckler, l'un des collaborateurs de Génération Séries, que les aventures bondissantes et surtout vrombissantes des « deux guignols » apparaissent « comme une forme archaïque de série policière, plus apparentée au western qu'à la série dramatique réaliste » (1). Bref, pour M. Winckler, « la série n'a aucun intérêt » tant en ce qui concerne ses scénarii que dans sa forme cinématographique. Elle a pourtant passionné les Français (bien plus que les Américains, en fait, qui l'ont plébiscitée lors de sa première diffusion puis l'ont complètement oubliée par la suite) pendant des années. Débarqués en 1978 sur TF1, les deux guignols n'ont pratiquement pas quitté l'antenne dix années durant. Ils se sont octroyés tout juste quelques pauses entre leurs différents passages.
On a souvent évoqué pour expliquer ce succès hexagonal la réussite du doublage français, dû à Michael Salva et au talent de Jacques Balutin (Starsky) et Francis Lax (Hutch). L'argument est incontestable. Il n'en faut pas moins reconnaître que la série elle-même explique ce formidable succès. Si les scénarii ne sont effectivement pas d'une grande complexité ni la mise en scène d'une grande originalité, le dynamisme des deux compères, leurs personnalités complémentaires, la figure paternelle de l'irascible Capitaine Dobey et les mimiques d'Huggy ont leur part dans l'accueil enthousiaste qu'a reçu la série.
Sa désaffection auprès de la critique montre cependant deux choses. La première est aussi vieille que l'art. Ainsi, le regard de la critique et la réaction du public ne sont pas toujours en adéquation. Aussi, la popularité d'une oeuvre n'est pas proportionnelle à ses qualités artistiques. La seconde, c'est que l'attente de la critique a sans doute changé à cause de l'influence durable exercée par la « révolution » Bochco.
Steven Bochco, le nouveau maître du genre
Massacrée par les programmateurs de France 3 (ce qui est une habitude de la chaîne dès qu'il est question de séries américaines), "Capitaine Furillo" avait ouvert la voie à "NYPD Blue", "Homicide" et "New York District", qui devenues au fil du temps des références en matière de policier télé. Déjà, lors de l'apparition de la série, on évoquait son ancêtre littéraire, "87th Precinct" écrite par Ed McBain à partir de 1956. Plus tard, c'est au sujet d'"Homicide" que le magazine Génération Séries parlera de série « littéraire ». Bref, il y confirmait qu'en cherchant à se définir comme genre la série télé se rapproche des formes d'art reconnues.
Il est évident qu'avec de tels critères "Starsky et Hutch" n'avait plus qu'à passer à la trappe, heureuse si elle parvenait à se faire oublier. Eh bien non ! Comme "Hawaï Police d'Etat", qui a également marqué son temps avant de disparaître plus ou moins (jusqu'à sa réapparition sur Série Club dans les années 90 avant une édition en DVD des six premières saison à la fin des années 2000), la série des deux guignols appartient au patrimoine des séries télé. La récente disparition de David Soul en janvier dernier l'aura clairement rappelé. Le public, lui, a de la mémoire... Au même titre que les programmes que nous allons évoquer dans le cadre des différents dossiers proposés plus loin.
Jugée à son époque sur des valeurs différentes de celles qui président aujourd'hui, "Starsky et Hutch" peut encore être regardée comme un vrai divertissement. Voilà une des qualités des séries qui n'est pas forcément incompatible avec des critères plus « sérieux ». En matière de séries comme pour l'art en général, il n'est pas souhaitable de privilégier une critique dite « sérieuse » au détriment du goût populaire, premier juge en la matière. Tout en essayant de dégager les qualités de tous ces programmes et de rappeler leur place dans l'histoire des séries télé, nous partirons donc d'un postulat simple : une série est aussi un divertissement valable par lui-même, qui n'a pas à copier les arts dits nobles pour mériter d'être considéré comme intéressant.
Nous évoquerons donc des séries « reconnues », comme "Kojak" et "Columbo", aussi bien que des programmes « ringards » dans le genre de "Starsky et Hutch", « dépassés » comme "Hawaï Police d'Etat", très secondaires comme "Holmes et Yoyo", et même quelques séries inédites chez nous mais qui méritent d'être citées parce qu'elles ont connu un certain succès outre-Atlantique et qu'elles ont leur place dans une histoire du flic télé.
Cette mise au point étant faite, présentez vos billets, nous plongeons dans le tunnel du temps, direction : les flics des Seventies dans le cadre de plusieurs dossiers qui seront progressivement proposés ci-dessous entre février et mars 2024 :
FLICS CLASSIQUES, FLICS A GIMMICKS
HISTOIRES DE FLICS
LA RELEVE ANTICONFORMISTE
LES FLICS EN UNIFORME
LES FLICS ALTERNATIFS DU NBC MYSTERY MOVIE
NOTES
1. M. Winckler in Les Séries télé, coll. "Guide Totem", Larousse, 1999, p.357.
2. V. Denize in Les grandes séries américaines des origines à 1970, Huitième Art, 1994, p. 174.
3. Lire les quelques lignes de J. Baudou sur la série dans Les séries télévisées américaines, op.cit., pp. 61-62, et l'opinion de R. Meyers dans TV Detectives, A.S. Barnes, San Diego, 1981.
4. J.-J. Schléret in Les grandes séries américaines des origines à 1970, op.cit., p. 37.
5. Déclaration tirée de Photoplay film monthly, 1974, citée par P. Setbon in Telly Savalas, Pac, 1978, p. 53.
6. David Buxton, De Bonanza à Miami Vice, Formes et idéologie dans les séries télévisées, Ed. de l'Espace Européen, 1991, pp. 158-165.
7. Cité par J. Baudou in Génération Séries, n°11, automne 1994, p. 46.
8. J.-J. Jelot-Blanc, Black Stars, Pac, 1985, p. 52.
9. F. Julien dans le livret d'accompagnement du CD Le Compact des séries américaines vol. 3, TV Records.
10. J. Baudou, op.cit., p. 69. 11. Cité par J.-J. Jelot-Blanc dans Télé Feuilletons, Ramsay, 1993, p. 496.
12. Certaines de ces informations proviennent de l'article de Wilfrid Tiedtke, "Columbo : une énigme !", publié dans Ciné News.
13. D'après John Javna et Max Allan Collins, The Best of Crime and Detective TV, Harmony Books, 1988, cité par J. Baudou in Les séries télévisées américaines, op.cit., p. 70.