Par Thierry Le Peut

Amanda au pays des espions
Dès le premier épisode de la série "Les deux font la paire", les situations choisies par les scénaristes montrent leur volonté de s'éloigner du réalisme pour privilégier l'évasion, l'aventure et un constant décalage. En bonne candide, Amanda devra souvent sa réussite au hasard et à la chance, sa maladresse se muant régulièrement en coups d'audace invraisemblables.
Sa famille lui emboîtera d'ailleurs le pas à l'occasion, maman Dotty occupant une place de premier plan dans quelques épisodes, comme « Anniversaire mouvementé » : mêlée par inadvertance à une affaire de microfilm caché dans un livre destiné à l'anniversaire de son petit-fils, elle ramènera l'objet jusqu'à la maison sans jamais prendre conscience des cadavres semés sur sa route par des individus malfaisants et patibulaires.
Dans « En attendant Godorsky », c'est elle encore qui permet la neutralisation des méchants en provoquant malencontreusement un accident alors qu'elle passe un examen de conduite. Bref, en bonnes femmes du commun, Amanda et Dotty se distinguent par une méconnaissance totale des dangers qui les guettent, une inconscience qui les sauvera plus souvent qu'à leur tour, au grand dam d'ailleurs de la distinguée Francine.
Cette caractéristique constituera très vite la base de l'attention que le bel espion sera amené, au fil des épisodes, à accorder à sa collaboratrice improvisée. Apparemment insignifiante (c'est sans doute pour cela qu'il la choisit dans le premier épisode), Amanda se révèle peu à peu plus intéressante qu'au premier jour et Scarecrow, d'abord grand frère protecteur chargé de limiter les dégâts en contenant ses gaffes, se prend à l'admirer et à voir en elle autre chose qu'un instrument d'appoint pour ses missions.
Les histoires jouent constamment sur la spécificité d'Amanda. Dans le premier épisode, les espions se servent d'une émission culinaire plébiscitée par les ménagères pour passer des informations capitales à l'ennemi. Une excellente idée qui dénonce la présence des espions au sein même de l'univers quotidien et apparemment anodin de la ménagère.
Plus que des James Bond multigadgétisés et infaillibles dont l'univers est sans rapport avec la vie ordinaire, les espions des "Deux font la paire" sont des héros de l'ombre qui travaillent chaque jour à contenir un danger présent à chaque coin de rue : dans une librairie (« Anniversaire mouvementé »), dans une banlieue résidentielle très protégée (« Amanda se marie »), dans un hôpital (« Cas de conscience »), au sein d'une vente de charité (« Les brunes ont la cote »). Cette familiarité du Mal permet de conserver constamment un lien avec l'univers très quotidien d'Amanda et de sa famille, préservant l'aspect aventureux qui repose sur l'opposition entre deux mondes a priori inconciliables.
Intrigues conventionnelles
Les intrigues d'espionnage sont par ailleurs très classiques. Lavages de cerveaux, conditionnement sous hypnose, véhicule-forteresse convoité par les deux camps, armes apocalyptiques, plans dérobés, espions infiltrés, politiciens véreux, femmes fatales, petit génie de l'informatique, transfuges, agents doubles, espions sur le retour, fausse mort du héros, enlèvements, chantage, extorsion, terroristes internationaux, tous les thèmes utilisés par les scénaristes ont déjà fait l'objet de développements plus ou moins originaux dans d'autres séries ou au cinéma.
Les méchants le sont aussi
L'intérêt, bien sûr, n'est pas là. Les méchants des "Deux font la paire", comme beaucoup de ceux de "Magnum", de "Remington Steele" et de "Clair de lune", ne sont là que pour permettre à l'aventure de s'exprimer et pour plonger les héros dans des situations abracadabrantes où chacun a quelque chose à apprendre sur lui-même ou sur l'autre. Caricaturaux, les espions soviétiques ou est-allemands parodient les stéréotypes employés dans les James Bond ou dans "Mission impossible" (on retrouve d'ailleurs de nombreux acteurs européens dans la distribution, notamment Walter Gotell qui est le Général Gogol dans plusieurs James Bond, de "L'Espion qui m'aimait" à "Tuer n'est pas jouer").
Constamment, ils s'en prennent à Amanda ou à Lee, forçant l'autre membre du tandem à voler à son secours, selon un schéma classique mais finalement plaisant. Comme dans "Lois et Clark", dix ans plus tard, les héros seront très souvent ligotés ensemble et contraints à des tête-à-tête singuliers (ou des dos-à-dos, le plus souvent), dont la fonction est avant tout de les forcer à se connaître : puisque tout les sépare, il faut les attacher ensemble dans une même pièce, de préférence dans une situation critique, pour qu'ils se parlent et aient une chance de se découvrir mutuellement !
Une histoire contrariée
Le postulat romantique de la série sera très vite développé par Buckner et Ross-Leming : dès le deuxième épisode, « Amanda se marie », les deux protagonistes deviennent mari et femme, pour la bonne cause bien sûr. Tous les personnages des comédies policières contemporaines en font autant : Steele et Laura dans "Remington Steele", David et Maddie dans "Clair de lune", Magnum et l'une de ses (nombreuses) clientes dans l'épisode « In Matrimonium », et plus tard Lois et Clark ou Mulder et Scully renouvelleront à leur tour l'expérience, passage obligé du genre.
Lee et Amanda, eux, semblent apprécier puisqu'ils remettent ça quelques mois plus tard dans « Un weekend pas comme les autres » et dans « Mariage en blanc », où ils vont même jusqu'à l'union devant le juge de paix... finalement annulée pour un détail d'état-civil. Ouf !
