Par Thierry Le Peut
C'est au début des années 60, en Grande-Bretagne, qu'est apparu John Steed, un fleuron du genre espionnage, mais de manière presque fortuite. "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" (The Avengers" en V.O.) était en effet, à l’origine, une simple histoire de gangsters où un médecin s’improvisait justicier pour venger la mort de sa femme, avec le concours officieux et sporadique d’un espion en imperméable. Lorsque la série s’interrompit au terme d’une première saison de 26 épisodes, les producteurs décidèrent de conserver le personnage de l’espion, secondaire au départ, et de lui adjoindre une partenaire féminine.

So british is John Steed
Le couple John Steed - Cathy Gale venait alors de naître et avec lui un style qui ne demandait qu’à s’affiner au fil des années, jusqu’à devenir une véritable institution confirmée par deux passages de relais, Cathy Gale cédant la place au bout de deux ans à Emma Peel qui irait elle-même jouer les Bond Girls en laissant le triste Steed en compagnie de Tara King. Steed - Gale - Peel - King : le style "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" a, avec ces quatre noms, marqué la télévision des années soixante et des décennies ultérieures, sacralisant carrément l’espion british bien au-delà de ce qu’avait réalisé John Drake.
L’essence de ce style est à l’opposé de celui imposé par Patrick McGoohan dans "Destination Danger". Si les premières saisons privilégient des histoires assez classiques où la fantaisie n’apparaît que dans les relations de plus en plus détendues qu’entretiennent les deux vedettes, l’époque Emma Peel entraîne la série vers une réalité alternative où le traditionnel chassé-croisé entre espions côtoie volontiers le fantastique et où le réalisme des situations subit le plus irrévérencieux des traitements ! "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" est une série ouvertement parodique qui use de l’espionnage comme d’un prétexte et se joue, elle aussi, des clichés véhiculés par James Bond.
Qui est John Steed ?
A la virilité exacerbée de ce dernier, John Steed oppose un flegme aristocratique mené jusqu’à l’outrance, le personnage ne se séparant pour ainsi dire jamais de son chapeau melon et de son parapluie fétiche, véritables armes d’une efficacité redoutable. Si Bond séduit tout ce qui arbore une poitrine proéminente, Steed, lui, mène une vie asexuée fondée sur une relation platonique avec sa partenaire.
Il faudra attendre Tara King, sa troisième équipière, pour voir cette relation évoluer vers un marivaudage plus affirmé, encore que non abouti. En revanche, Steed a le goût des belles carrosseries, automobiles s’entend, et est grand consommateur de champagne, dont la symbolique sexuelle est allègrement exploitée par les scénaristes dans le générique de la deuxième saison Emma Peel (la cinquième de la série).
Les femmes au pouvoir ?
Le programme est d’ailleurs riche en connotations érotiques, chacune des partenaires de Steed jouant de son charme et de ses formes au point d’imposer une véritable mode vestimentaire. Si Cathy Gale avait ouvert le bal dès 1962, avec ses combinaisons de cuir, c’est Emma Peel qui détient la palme de la sensualité, son nom même ayant été formé sur l’expression « M (pour Man) Appeal ».
Objets de sensualité, les femmes de "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" n’en ont pas moins une forte personnalité et une indépendance qui ont ouvert une voie nouvelle aux personnages féminins à la télévision. S’il est fréquent de les voir dans des situations dramatiques, voire avilissantes, empruntées à l’esprit serial des années trente-quarante, il n’est pas rare non plus de les voir sauver la mise à leur partenaire masculin.
Une série anti-système ?
Parvenue à maturité en plein boom de l’espionnite, entre 1962 et 1969, la série est passée à la couleur en 1967 et a connu un succès retentissant. Elle est cependant très éloignée du schéma classique à la "Destination Danger", où l’agent secret fait le tour de la planète pour damer le pion aux agents du camp adverse. John Steed et ses équipières quittent rarement le sol britannique et leurs investigations leur font traverser avec dérision toutes les couches de la société anglaise, particulièrement dans les saisons Emma Peel et Tara King, peuplées de personnages secondaires savoureux et empreints d’une ironie constante.
Comme dans "Destination Danger", le vieil esprit colonial de Sa Majesté en prend plein la figure mais tout autant l’establishment sous toutes ses formes, de l’aristocratie décadente aux hommes d’affaires sans scrupule. L’expression « jeux d’espion » est à prendre ici au sens propre, ce que font d’ailleurs les scénaristes dans plusieurs épisodes parmi les plus inspirés, comme « Jeux » et « Clowneries ».
Au passage, titres et intrigues parodient parfois d’autres programmes marquants de l’espionnite anglo-saxonne, comme "Des Agents Très Spéciaux" (le titre original de l’épisode « Maille à partir avec les taties », « The Girl from Auntie », reprend celui de "The Girl from UNCLE", le spinoff des "Agents Très Spéciaux") ou "Mission : Impossible" (« Mission très improbable »). Les « vilains » de la série sont par ailleurs souvent d’affreux mégalomanes dignes des James Bond, toujours en quête de manières originales de se débarrasser des gêneurs ou de conquérir le monde.
Pour conclure
Cocktail particulièrement réussi d’espion-nage, de science-fiction et de fantastique baignant dans un non-sense typically british, "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" connaîtra un bref revival dans les années 70, davantage tourné vers l’action, mais continue de briller au firmament des chefs d’oeuvre cathodiques par ses années classiques, de Cathy Gale à Tara King.
Un très grand merci à Régis Dolle, responsable de la page Facebook, A l'image des séries, pour les photos fournies et venant de sa collection.