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L’incroyable Hulk avec Bill Bixby : Les origines de la série

Par Thierry Le Peut

L"incroyable Hulk, texte d'introduction : "Le docteur David Banner, médecin et homme de science cherchant à canaliser les forces occultes que recèle tout être humain, voit un jour la chimie de son organisme modifiée par une émission trop forte de rayons Gamma. Depuis, lorsqu’il ressent une offense ou un choc émotionnel, une saisissante métamorphose s’opère...La créature qu’il devient, animée par la rage, soulève l’inlassable curiosité d’un journaliste. « Ne me mettez pas en colère, Monsieur McGee... Vous risqueriez de le regretter ! » La créature est recherchée pour un meurtre qu’elle n’a pas commis. David Banner est officiellement mort et il doit le rester aux yeux de tous, jusqu’à ce qu’il arrive à contrôler la force dévastatrice qui sommeille en lui..."

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Crédits photo : Universal Television - CBS Television - Elephant Films pour l'édition du DVD en France
AUX ORIGINES DU MONSTRE
Un climat propice

1977. Steve Austin vient d’entamer sa dernière ligne droite sur ABC tandis que sa consoeur (et ex-fiancée) Jaimie Sommers lui emboite le pas sur NBC pour une troisième (et également ultime) saison. Avec la nouvelle "Wonder Woman" que ressuscite CBS et le projet de "Spiderman" que doit diffuser la même chaîne, la décennie est aux super-héros adaptés de bandes dessinées populaires.

Bref, un calcul judicieux de la part des studios. Parce que tous ces personnages jouissent déjà d’une réputation qui n’est plus à faire. Ainsi, ils bénéficient d’emblée d’un large public susceptible de passer du papier bon marché des comic books à la petite lucarne animée. Un calcul risqué, pourtant, car ces adaptations coûtent cher. En effet, Allan Balter, l’un des scénaristes de "Mission Impossible" quelques années plus tôt, ne pourra concrétiser son projet de Torche Humaine faute de moyens. Tandis que le "Spiderman" télé souffrira de ses effets cheap qui causeront son annulation après à peine une douzaine d’épisodes.

Le choix de Hulk

Par conséquent, les studios Universal, lorsqu’ils décident de produire une nouvelle déclinaison de super-héros, portent-ils leur choix sur Hulk. Il est un personnage très populaire créé en 1962 par le tandem Stan Lee/Jack Kirby du groupe Marvel (géniteur entre autres de Spiderman, également en 1962, et des Quatre Fantastiques un an plus tôt). Hulk est a priori l’un des personnages les moins difficiles à adapter. Mais, à condition de s’entendre sur la définition exacte de son adaptation télé.

Frank Price, le big boss d’Universal Television, ne va pas chercher très loin l’homme qu’il estime capable de développer l’idée avec un maximum de garanties. Aussi, propose-t-il le projet à Kenneth Johnson. Ce dernier qui était un parfait inconnu quelques années plus tôt est devenu entretemps une valeur sûre. Notamment depuis qu’il a lancé "L’Homme qui valait trois milliards" sur la voie du succès. Mais aussi créé son alter ego féminin, "Super Jaimie", devenue elle aussi très populaire.

Kenneth Johnson pose problème

Seulement voilà ! Johnson n’est pas intéressé du tout par les super-héros. D’abord parce qu’il sort à peine de deux ans de travail sur ses personnages bioniques, qui, sans être des super-héros au sens strict, sont quand même des « super héros » par leur force supra-humaine. Ensuite parce que le genre héros en costume moulant ne l’attire pas du tout.

Certes, Hulk se distingue des Spiderman et autres Wonder Woman par son côté monstrueux et plutôt déshabillé. Mais il est quand même issu d’une bande dessinée dans laquelle toutes les fantaisies sont permises. Surtout les excès les plus inimaginables. « Des choses qui fonctionnent dans le format du comic book ne peuvent pas fonctionner dans un format réaliste. Le tout avec de vrais acteurs de télévision », explique-t-il pour traduire sa perplexité. « On peut se permettre dans les comic books ou les séries animées un degré de fantaisie qui devient ridicule dès lors qu’on lui donne une forme réelle. Or, dès que cela devient ridicule on perd le public adulte. On peut toujours conserver les enfants. Toutefois, sans le public adulte impossible d’avoir une série télé à succès sur laquelle j’aimerais travailler. »

Le problème de Johnson, c’est qu’il n’imagine pas une adaptation de comic book autrement qu’à la manière complètement déjantée et distanciée du "Batman" de 1966, seule adaptation vraiment réussie selon lui parce qu’elle a choisi une expression outrée, tant dans les couleurs et les situations que dans les personnages présentés et le jeu des comédiens employés. Ce que les Américains appellent camp et dont on n’a aucune traduction chez nous, un mélange d’esthétique m’as-tu-vu, de mauvais goût ostentatoire, de situations outrancières et de sensualité exacerbée, moulée en l’occurrence dans des collants flashy directement adaptés de la bande dessinée.

Retournement de situation

Bref, non merci, répond Johnson, à qui on proposait en même temps d’autres adaptations comme celle de Captain Marvel, du Submariner ou de Miss Marvel. Mais les succès sont parfois le fruit de revirements inattendus et de concours de circonstances. Il se trouve qu’à la même époque (c’est lui qui le raconte) Johnson lisait Les Misérables de Victor Hugo. « Alors j’avais dans la tête Jean Valjean, Javert et aussi le concept du Fugitif [la série télé de Roy Huggins qui connut le succès que l’on sait entre 1963 et 1967]. Je me suis dit - bon, il y a peut-être un moyen de prendre un petit peu de Victor Hugo, un petit peu de Robert Louis Stevenson et ce concept ridicule appelé L’Incroyable Hulk et d’en faire quelque chose, s’ils me laissent en faire un drame psychologique avec un vrai contenu adulte et un casting fort ».

Et contre toute attente c’est ce qu’a fait Frank Price, donnant carte blanche à Johnson au lieu d’aller simplement voir ailleurs. « J’ai écrit le pilote de Hulk en moins d’une semaine... Bill Bixby a lu le script et l’a aimé. Il a accepté de s’engager dans la série », rapporte le producteur non sans un sentiment de fierté.

Bill Bixby entre en scène

Parlons-en, justement, de Bill Bixby. Le comédien avait déjà rencontré le succès en 1969 avec une sitcom familiale, "The Courtship of Eddie’s Father". Il y incarnait un père qui élevait seul son petit garçon. Puis, Bill Bixby avait participé à plusieurs séries et téléfilms. On soulignera notamment un épisode des "Rues de San Francisco" qui lui avait valu une nomination aux Emmy Awards. Plus tard, Bixby fut le héros d’une courte série intitulée "Le Magicien". Enfin, l’un des acteurs de "Le Riche et le Pauvre". Celle-ci étant une saga à succès inspirée du livre d’Irwin Shaw. Sans oublier qu'il avait été le partenaire de Paul Michael Glaser dans le téléfilm "Houdini", sur la vie du célèbre illusionniste.

C'est alors qu'il descendait tout juste d’un avion lorsque son agent lui tendit deux scripts. L’un était celui de "L’Incroyable Hulk", l’autre quelque chose de plus sérieux. La première réaction de Bixby en lisant le titre du premier script fut de rire. En effet, comment un acteur de son envergure pouvait-il jouer dans un téléfilm portant un titre aussi ridicule ?

Cependant, comme Johnson, le comédien s’est finalement ravisé : « Je suis terriblement fier de ce film », dira-t-il deux ans plus tard, interrogé par les journalistes de la Marvel. « Je crois qu’avec le temps ce film original deviendra un classique, je le crois vraiment. Quand j’ai lu le script, j’ai réalisé que j’avais l’opportunité de faire une série dans le genre des ‘creature movies’ des années quarante qui mettaient en scène Frankenstein, le Loup-Garou, Jekyll et Hyde. Mais tous ces personnages incarnaient le mal, ce qui n’était pas le cas de Hulk. Il est la personnification de la colère. La colère faite homme. La puissance. »

Un monstre à taille humaine

Dès le départ, ce qui intéresse Bixby, comme d’ailleurs Johnson, c’est cette dimension humaine du personnage. « D’accord, Hulk est un grand monstre vert », dira Johnson, « mais il n’est qu’une exagération d’un être humain normal. » Ce qui le fait surgir au détour d’un accès de colère de son alter ego, ce ne sont pas forcément des situations qui n’arrivent que rarement dans la réalité, ou en tout cas rarement à la même personne, comme des agressions ou des incendies de forêt : ce sont souvent, au contraire, des prétextes anodins dans lesquels tout un chacun peut se reconnaître. Une employée du téléphone particulièrement bornée, un embouteillage, une voiture qui ne veut pas démarrer, un pneu à changer...

C’est tout cela qui, en l’espace d’un instant, fait basculer David Banner dans la colère et surgir sa moitié primale, son double négatif, qui disparaît à son tour dès que la rage qui l’anime s’est apaisée. « Hulk est la bête qui sommeille en chacun de nous », explicite le producteur, également scénariste et réalisateur du premier épisode et de quelques-uns des segments les plus représentatifs de la série. Une bête qui peut prendre des formes multiples. « Chez certains ce sera la boisson ou la drogue, ou quoi que ce soit qu’ils s’efforcent de contrôler. Ce peut être une expérience cathartique pour le public de s’identifier au héros et de se dire - oui, je peux le comprendre parce qu’il y a quelque chose de semblable en moi. »

Une catharsis télévisuelle

L’autre attitude qui peut expliquer l’adhésion du public, c’est de se dire : « Waou, si seulement je pouvais me changer en Hulk de temps en temps et étendre ceux qui me cassent les pieds ! » Hulk devient alors l’expression de ces sentiments contre lesquels chacun se bat au quotidien. Ainsi, il apporte à la fois une revanche et un défouloir. En somme, un mélange classique digne de cette catharsis qu’évoque le producteur et qui le rapproche, mutatis mutandis, du bouc émissaire des sociétés primitives.

Au passage, il réajuste notre vision de nous-mêmes en nous rappelant que ces instincts dits primitifs sont en chacun de nous, qu’ils font partie de nous et doivent être, comme dans la série, maîtrisés pour permettre une vie normale. David Banner a donc valeur d’exemple dans la mesure où il n’encourage pas cette violence mais au contraire cherche à la réprimer, à l’extraire de lui. Loin de n’être qu’une réaction de défense, la colère fait ressortir le caractère tragique de son existence en exacerbant la dualité présente dans chaque homme.

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