Par Patrick Sansano
Nous sommes au début du XIVème Siècle en France. Philippe IV le Bel règne en maître absolu. Trois de ses fils assurent sa descendance. Isabelle, sa fille unique est mariée au roi Edouard II d'Angleterre. Sous son règne, la France est grande mais les français sont malheureux. Or, un seul pouvoir ose lui tenir tête. En l'occurrence, celui de l'ordre des chevaliers du Temple. Avec la malédiction lancée par Jacques de Molay sur le bûcher commence une période sombre. Celle-ci est faite de sang et de fureur, de morts et de larmes. Ainsi, débute la destinée de ces Rois maudits.
GENESE DE LA SERIE
Pendant des années, Maurice Druon, académicien, auteur de la saga historique, "Les Rois maudits", refuse les adaptations que l’ORTF lui soumet. Parce qu'il ne veut pas d'une reconstitution avec châteaux forts, chevauchées, tournois et autres batailles. Pourtant, c’est Marcel Julian qui le convainc finalement en 1971. Puis, Pierre Sabbagh, directeur de la 2ème chaîne de l'ORTF, confie la mise en scène au vétéran Claude Barma.
Il faut alors remarquer que la distribution est en grande partie composée de comédiens de théâtre. Dans ce cadre, six épisodes correspondant aux six volumes publiés alors (un septième, "Quand un roi perd la France", sera publié en 1977) sont prévus. Toutefois, le sixième, "Le Lis et le lion", s’écarte assez du roman où l’on parlait du destin du fils de Louis X. Par ailleurs, la mort de Robert d’Artois, le héros de la série (qui fait l’objet d’un beau numéro de comédien de Jean Piat) est simplement évoquée dans le roman. Or, Claude Barma profite lors de l’agonie du « baron écarlate » pour dresser un résumé des évènements marquants de la saga.
LE TOURNAGE
Pour mener à bien son projet, Claude Barma choisit le décorateur Maurice Valay. Ce dernier propose une sobriété artistique mettant en avant les comédiens. Par exemple, Jean Piat, populaire au petit écran pour "Lagardère" (mini série datant de 1967) incarne Robert d’Artois. Hélène Duc sera Mahaut, sa tante. Signalons par ailleurs que ce sera le dernier rôle d’André Luguet. Un comédien populaire du cinéma des années 30 à 50. Il incarne Hugues de Bouville. Pour le rôle de Philippe Le Bel, Georges Marchal, une autre gloire cinématographique des années 50, est engagé. Quant à Louis Seigner, le doyen de la Comédie Française, il est le banquier Spinello Tolomeï.
Avec la participation de Muriel Baptiste
C'est alors que de grandes vedettes de télévision se joignent à l’aventure. Tel est notamment le cas pour Muriel Baptiste qui interprète Marguerite de Bourgogne. En effet, Claude Barma venait de lui faire tourner "Maigret aux assises" (réalisé par Marcel Cravenne et produit par lui). Mais, comme elle le confiera à Télémagazine (N°897/30 décembre 1972), les choses se passent mal : « L’ambiance n’était pas fameuse, tous les autres comédiens pensaient que je ne ferai pas le poids. Il a fallu un mois pour que je m’impose. » Ainsi, après le tournage, Muriel tombe-t-elle malade. Elle aura perdu sept kilos. Dans Télé Poche N°333/12 juillet 1972, elle déclare : « J’ai été malade après, il m’a fallu me reposer et voyager pour enfin me retrouver. »
Hélène Duc, elle, racontera le tournage et ses impressions dans ses mémoires ("Entre cour et jardin" - Editions Pascal, 2006), mais fait partie des rares à bien se souvenir de Muriel qu’elle retrouvait comme partenaire pour la troisième fois après "Plainte contre X" (1966) et "Allo Juliette" (1969). Concernant, Catherine Hubeau, qui incarne Blanche de Bourgogne, contactée par téléphone en mai 2008, évoquera avec émotion (Muriel Baptiste) une collègue qu’elle n’a jamais vue hors plateau. D'un autre côté, d’autres l’auront carrément oubliée. Ainsi, en 1990, Jean Piat m’écrivait-il : « Merci d’avoir une mémoire aussi fidèle. La mienne est en défaut concernant Muriel Baptiste. Je ne l’ai jamais revue depuis "Les Rois maudits". En effet, il en est souvent ainsi dans notre métier. »
Une royale distribution artistique
Pour évoquer ce tournage, j’eus la chance de me lier d’amitié en 2006 avec André Falcon (1924-2009) et jusqu’à son décès. Jouant Enguerrand de Marigny dans les deux premiers épisodes, il aimait évoquer ce tournage. Puis, André Falcon m’aidera en 2007 à rédiger une biographie de Muriel, notamment avec son meilleur ami comédien, Christian Marin. Le samedi 08 janvier 1972, l’émission "Micro et caméras" propose un reportage sur le tournage de la série où les commentaires et interviews sont assurés essentiellement par Claude Barma.
Parmi les principaux autres comédiens, nous retrouvons Geneviève Casile, Catherine Rouvel, Jean-Luc Moreau (alors débutant), Anne Kreis, Michel Beaune, Claude Giraud, le catalan José Maria Flotats, l’épouse de Claude Rich Catherine Rich, le futur réalisateur Gilles Béhat, Robert Party, Georges Ser, Patrick Lancelot, Monique Lejeune, William Sabatier et Jean Deschamps. Sans oublier Jean Piat qui domine la série ce que confirme l'avis suivant exprimé par Georges Hilleret dans la revue Télé 7 Jours numéro 667, 6 février 1973) : "il fut, d'abord, la figure centrale de tous les épisodes. Ensuite, il a su rendre tous les aspects du diabolique Robert d'Artois. Le moteur de toutes les actions. C'est, pourrait-on dire, le seul rôle vraiment fouillé de l'ouvrage, tous les autres protagonistes apparaissant schématiquement, à l'exception de Béatrice d'Hirson, incarnée par Catherine Rouvel, qui a donné d'elle une image tendre et implacable."
Innovation technique
La fiction a entièrement été tournée en studio, dans des décors conçus par Maurice Valay. 25 000 mètres carrés de panneaux de tulle peint ont été nécessaires, sur des surfaces de 6 mètres de haut sur 16 de long. Claude Barma avait en effet choisi des panneaux amovibles à la place d’éléments en dur pour son arrière-plan.
Dans les colonnes de Télé 7 jours, Claude Barma est revenu sur ses choix de réalisateur : « Mon premier souci a été d’éviter les reconstitutions historiques. On n’y croit plus. Je me suis inspiré du théâtre de Shakespeare dont la dramaturgie est faite de scènes courtes, où les personnages s’affrontent au paroxysme de leurs sentiments. Ce qui m’intéresse, c’est de montrer en gros plan leur violence, leur haine, leur avidité. J’ai donc pris le parti de supprimer tout décor construit afin que les visages deviennent le seul élément dramatique. Les costumes et les objets suffisent à situer les personnages qui évoluent sur des fonds de tulle peints donnant à l’image une atmosphère floue et poétique. J’ai cherché à jouer avec l’imagination du public... »
Choix de mise en scène
Certaines scènes n’ont pas été tournées : ainsi, dans "Le Roi de fer", Marguerite reçoit son amant Philippe d’Aunay sous le prétexte qu’il est envoyé par sa cousine Jeanne (Catherine Rich). Fort regrettable car cela aurait permis une scène supplémentaire avec Muriel Baptiste. Dans le roman, la reine de Navarre, future reine de France, se prélasse sur son lit, pieds nus, tout en se méfiant de l’entourage de son mari qui l’espionne pendant cette rencontre.
Au début de "Les Poisons de la couronne", de retour de Naples, la reine Clémence de Hongrie (Monique Lejeune), Guccio Baglioni neveu de Tolomeï (Jean-Luc Moreau) et Hugues de Bouville (André Luguet) sont pris dans une tempête sur un bateau. Cela aurait été en déphasage avec le parti-pris de mise en scène sobre de Barma. La scène est donc totalement éludée.
Toute la fin de "Le Lis et le lion" qui évoque le destin du fils de Louis X et Clémence de Hongrie, échangé au berceau avant empoisonnement par Mahaut avec le fils de Marie de Cressay et de Guccio Baglioni, n’a pas été filmée, la série s’arrêtant avec la mort de Robert d’Artois.
LA CRITIQUE
Un arc majeur
Les quatre premiers épisodes forment un arc et constituent le meilleur de la série. "Le Roi de fer" plante le décor en mars 1314 et décrit la fin du règne de Philippe Le Bel, les amours coupables de la tour de Nesle des princesses de Bourgogne adultères, la condamnation à mort des templiers et leur malédiction. "La Reine étranglée" raconte le destin tragique de la reine adultère Marguerite de Bourgogne.
"Les Poisons de la couronne" dépeint les complots sous le règne du premier fils du roi, Louis X le hutin. "La Loi des mâles", l’épisode 4, est entièrement porté par le comédien José Maria Flotats, second fils de Philippe le Bel, Philippe IV le long. Hélène Duc et Catherine Rouvel qui incarne son âme damnée Béatrice sont absentes de l’épisode 2 centré sur Marguerite.
Un final choquant
L’intérêt se perd quelque peu lorsque la malédiction traverse la Manche dans "La Louve de France". L’épisode se termine par l’exécution épouvantable d’Edouard d’Angleterre joué par Michel Beaune. Le public se scandalise lors de la première diffusion en janvier 1973. Aussi, Claude Barma, en personne, vient-il s’expliquer au journal télévisé du soir de la 2ème chaîne ORTF.
Il est à noter que "Le Lis et le lion" est un épisode qui souffre de l’absence de nombreux personnages qui sont morts, comme Charles de Valois (Jean Deschamps). Jean-Paul Zenacker, en notaire faussaire, compose son premier rôle de personnage trouble et fourbe bien avant "La Poupée sanglante" et "L’Ile au trente cercueils". S’il est tout à fait normal que Jean Piat et Hélène Duc restent associés au triomphe de la série, il est dommage que ne soient pas évoqués d’autres comédiens.
LA DIFFUSION
C’est le jeudi 21 décembre 1972 que la série est présentée, au rythme d’un épisode par semaine jusqu’au mercredi 24 janvier 1973 (l’autre série de Noël 1972 sur la 2ème chaîne, "Les gens de Mogador", prenant la case horaire du jeudi dès le 3ème volet des "Rois maudits". La série est rediffusée en juin-juillet 1975 sur Antenne 2, puis en avril 1987 (Antenne 2), juillet 1990 (FR3), toujours en prime time.
En 2013, elle est programmée sur la chaîne Histoire. "Le Roi de fer" et "Le Lis et le lion" sont programmés en hommage à Claude Barma lors de son décès le 30 août 1992. "Les Rois maudits" sera diffusée au Canada en 1974, ainsi que sur la BBC. Cette chaîne devait s’en inspirer pour produite "The Devil’s Crown" en 1978.
QUE SONT DEVENUS LES ACTEURS ?
Jean Piat connaît une gloire supérieure à "Lagardère", mais tournera peu pour la télévision. On retiendra notamment deux mini-séries que sont "Les jeunes filles" (1979) et "L’affaire Saint-Romans" (1988). Puis, il tente une carrière au cinéma avec "La rivale" (1974). Toutefois, Jean Piat s’est essentiellement consacré au théâtre, ainsi qu’à l’écriture. Jean Piat est décédé le 18 septembre 2018 à l'âge de 93 ans.
Hélène Duc refera parler d’elle au cinéma : "Miss Mona" (1987) et "Tanguy" (2001). Elle jouera le rôle de Mme de Bouville dans le remake des "Rois maudits" 2005 de Josée Dayan. Elle est décédée le 23 novembre 2014.
Muriel Baptiste qui avait connu un certain succès avec "La princesse du rail" et "Les dernières volontés de Richard Lagrange", et dont on pouvait penser que le rôle de Marguerite de Bourgogne était un tremplin vers la gloire, ne tournera que quatre autres rôles avant de tomber gravement malade, de s’éloigner du métier. Elle sombre dans la dépression et se suicide le 07 septembre 1995, complètement oubliée.
Jean-Luc Moreau devient un acteur-metteur en scène de théâtre réputé. En 2013, il a publié ses mémoires, J’y étais, chez Michel Lafon, mais il n’y évoque pas la série. Quant à Patrick Lancelot (Philippe, l’amant de Marguerite) devient producteur. En faisant les repérages pour le film "Le Raid", qui sortira en 2002, et suite à une panne de son avion, il se tue au Vénézuéla le 28 novembre 2000, avec aussi Bernard Lutic, directeur de la photo, à bord de l’appareil.
Louis Seigner meurt le 20 janvier 1991 dans l’incendie de son appartement, provoqué par une pipe qu’il fumait en s’endormant. José Maria Flotats revint à la télé dans la mini-série "Les Visiteurs" en 1980. Il se consacre essentiellement au théâtre. Il est très populaire en Espagne. Pour ce qui est de Gilles Béhat, il est devenu metteur en scène tant au cinéma ("Rue barbare", "Les longs manteaux"; "Diamant 13") qu’à la télévision ("Les Cordier", "Commissaire Moulin").
Catherine Hubeau fondera la Compagnie Catherine Hubeau, se dédiant au théâtre, après quelques séries TV dont "Les Peupliers de la Prétentaine" où elle retrouvera Georges Marchal. Elle a joué dans deux feuilletons à succès : "Un homme une Ville" avec Christian Barbier (1973) et "L’Hiver d’un Gentilhomme" (1973) avec Gabriel Cattand. Enfin, pour ce qui est de Jean Deschamps, jusqu’à sa mort en 2007, il dirigera le théâtre de la cité de Carcassonne.
PRODUITS DERIVES ET REMAKE
Plon Del Duca a réédité fin 1972 en grand format les six romans avec en couverture les comédiens de la série. Cette édition a vite été épuisée et remplacée par des livres de poche ou des grands formats reliés sans allusion à la série. En Janvier 1973, le magazine Télé Succès édité par Tallandier propose "Le Roi de Fer" illustré par des photos de la série, mais l’aventure s’arrête après trois numéros.
La magnifique musique de Georges Delerue ne sera pas éditée à l’époque et devra attendre la parution du coffret "Le cinéma de Georges Delerue" en 2006. Seuls trois thèmes y figurent. Concernant des éditions particulières, dès 1977, la série est éditée par "Les grands films classiques" en super 8. Une firme qui propose alors aussi deux épisodes de "Chapeau Melon et Bottes de Cuir" et des classiques du cinéma comme "Les Disparus de Saint Agil". Puis, elle est éditée en VHS et en DVD par TF1 Vidéo. Longtemps disponible, le coffret DVD n’est plus édité. Cependant, la série a été mise en ligne sur le site de l’INA depuis plusieurs années.
Un remake (sans grand intérêt il faut en convenir) a été tourné en 2005 sans l’épisode "La Loi des mâles", ni l’adaptation du roman de 1977, "Quand un roi perd la France". Il avait pour vedettes Jeanne Moreau et Philippe Torreton.
ANECTODES DIVERSES
Maurice Druon affirme ici que Marguerite de Bourgogne a été étranglée dans sa prison au printemps 1315. Ce n’est qu’une des versions de sa mort. Selon d’autres, elle serait morte d’une maladie pulmonaire due au froid et à la faim. Une troisième hypothèse indique que Louis X l’aurait faite transférer au château de Couches. Notamment sous la bonne garde de Marie de Beaufremont. Elle y aurait été une « prisonnière libre » morte à 43 ans en 1333.
René Roussel, qui incarne le frère de Marigny, le cardinal Jean de Marigny, fut le chevalier Bayard dans une série en 1964. Quant à l’épouse de Jean Piat, Françoise Engel (1920-2005), elle joue le rôle de Mme de Bouville.
A la suite du succès des "Rois maudits", Claude Barma devait faire (dixit Télé Poche en 1973) une série sur Roméo et Juliette. Il est aussi à souligner que même s'ils n’ont pas, personnages oblige, de scènes communes, mais Muriel Baptiste et Benoit Brione étaient partenaires en 1967 dans "La Princesse du Rail".
Robert Lombard, qui incarne Portefruit dans les épisodes 1 et 2, était le partenaire de Muriel Baptiste dans "Maigret aux assises". Concernant Lormet, le valet homme à tout faire de Robert d’Artois, il est joué par Georges Staquet. Ce dernier est un fidèle comédien de Barma (L’inspecteur Folco dans "Belphégor", Larouille dans "Le Chevalier de Maison Rouge", etc.). On mentionnera enfin la participation du comédien Daniel Gall (une grande voix du doublage) dans le rôle de Jean de Cherchemont.
FICHE TECHNIQUE
Adaptation : Marcel Julian d’après les romans de Maurice Druon
Musique : Georges Delerue
Directeur de la photographie : Pierre Mareschal
Script : Michele O'Glor
Montage : Micheline Freslon
Costumes : Monique Dunand
Assistante aux costumes : Catherine Rebeyrol
Maquillage : Andrée Guikovaty
Coiffures : Nicole Dalance
Maquettes et décors : Maurice Valay
Décorateur : Jean Tridon
Décorateur ensemblier : Pierre Voisin
Objets d'orfèvrerie : Michel Hénique
Peintres décorateurs : Jacques Léger, André Puglièse, Jacques Brûlé, Sylvie Meneau, Jean Sardy
Opérateurs caméras : Didier Minier, Jacques Baujard, Philippe Dumolard, Marcel Moulinard
Ingénieurs de la vision : Jacques Dodu, Philippe Villette
Assistants-réalisateurs : Stéphane Bertin, Jacques Stocanne
Combats réglés par : Claude Carliez
Cascadeurs : Sylvain Levignac, Lionel Vitrant, Antoine Baud
Mixage et prise de son : Jean-Paul Bost, André Grapin
Chef de plateau : Arthur Soppelsa
Chef de production : Bernard Zimmermann
Atelier de production : Michèle Pietri, Annette Redon
Production : Office de Radiodiffusion Télévision Française (ORTF) / (1972)