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L’incroyable Hulk : La série

Par Thierry Le Peut

Introduction à la série "L'Incroyable Hulk" telle qu'elle fut entendue, pour la première fois, par le public français sur TF1, le 20 décembre 1980 : "Le docteur David Banner, médecin et homme de science cherchant à canaliser les forces occultes que recèle tout être humain, voit un jour la chimie de son organisme modifiée par une émission trop forte de rayons Gamma. Depuis, lorsqu'il ressent une offense ou un choc émotionnel, une saisissante métamorphose s'opère... La créature qu'il devient, animée par la rage, soulève l'inlassable curiosité d'un journaliste. « Ne me mettez pas en colère, Monsieur McGee... Vous risqueriez de le regretter ! » La créature est recherchée pour un meurtre qu'elle n'a pas commis. David Banner est officiellement mort et il doit le rester aux yeux de tous, jusqu'à ce qu'il arrive à contrôler la force dévastatrice qui sommeille en lui..."

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AUX ORIGINES DU MONSTRE

1977. Steve Austin vient d'entamer sa dernière ligne droite sur ABC tandis que sa consoeur (et ex-fiancée) Jaimie Sommers lui emboite le pas sur NBC pour une troisième (et également ultime) saison de "Super Jaimie". Avec la nouvelle "Wonder Woman" que ressuscite CBS et le projet de "Spiderman" que doit diffuser la même chaîne, la décennie est aux super-héros adaptés de bandes dessinées populaires. Un calcul judicieux de la part des studios, puisque tous ces personnages jouissent déjà d'une réputation qui n'est plus à faire et bénéficient d'emblée d'un large public susceptible de passer du papier bon marché des comic books à la petite lucarne animée. Un calcul risqué, pourtant, car ces adaptations coûtent cher : Allan Balter, l'un des scénaristes de "Mission Impossible" quelques années plus tôt, ne pourra concrétiser son projet de Torche Humaine faute de moyens et le Spiderman télé souffrira de ses effets cheap qui causeront son annulation après à peine une douzaine d'épisodes.

Du coup, les studios Universal, lorsqu'ils décident de produire une nouvelle déclinaison de super-héros, portent-ils leur choix sur Hulk, un personnage très populaire créé en 1962 par le tandem Stan Lee/Jack Kirby du groupe Marvel (géniteur entre autres de Spiderman, également en 1962, et des Quatre Fantastiques un an plus tôt). Hulk est a priori l'un des personnages les moins difficiles à adapter, à condition de s'entendre sur la définition exacte de son adaptation télé. Frank Price, le big boss d'Universal Television, ne va pas chercher très loin l'homme qu'il estime capable de développer l'idée avec un maximum de garanties : il propose le projet à Kenneth Johnson, un parfait inconnu quelques années plus tôt mais une valeur sûre depuis qu'il a lancé "L'Homme qui valait trois milliards" sur la voie du succès et créé son alter ego féminin, "Super Jaimie", devenue elle aussi très populaire.

Seulement voilà : Johnson n'est pas intéressé du tout par les super-héros. D'abord parce qu'il sort à peine de deux ans de travail sur ses personnages bioniques, qui, sans être des super-héros au sens strict, sont quand même des « super héros » par leur force supra-humaine. Ensuite parce que le genre héros en costume moulant ne l'attire pas du tout. Certes, Hulk se distingue des Spiderman et autres Wonder Woman par son côté monstrueux et plutôt déshabillé, mais il est quand même issu d'une bande dessinée dans laquelle toutes les fantaisies sont permises, et surtout les excès les plus inimaginables. « Des choses qui fonctionnent dans le format du comic book ne peuvent pas fonctionner dans un format réaliste, avec de vrais acteurs, à la télévision », explique-t-il pour traduire sa perplexité. « On peut se permettre dans les comic books ou les séries animées un degré de fantaisie qui devient ridicule dès lors qu'on lui donne une forme réelle, et dès lors que cela devient ridicule on perd le public adulte. On peut toujours conserver les enfants mais sans le public adulte impossible d'avoir une série télé à succès sur laquelle j'aimerais travailler. »

Le problème de Johnson, c'est qu'il n'imagine pas une adaptation de comic book autrement qu'à la manière complètement déjantée et distanciée du "Batman" de 1966, seule adaptation vraiment réussie selon lui parce qu'elle a choisi une expression outrée, tant dans les couleurs et les situations que dans les personnages présentés et le jeu des comédiens employés. Ce que les Américains appellent camp et dont on n'a aucune traduction chez nous, un mélange d'esthétique m'as-tu-vu, de mauvais goût ostentatoire, de situations outrancières et de sensualité exacerbée, moulée en l'occurrence dans des collants flashy directement adaptés de la bande dessinée.

Bref, non merci, répond Johnson, à qui on proposait en même temps d'autres adaptations comme celle de Captain Marvel, du Submariner ou de Miss Marvel. Mais les succès sont parfois le fruit de revirements inattendus et de concours de circonstances. Il se trouve qu'à la même époque (c'est lui qui le raconte) Johnson lisait Les Misérables de Victor Hugo. « Alors j'avais dans la tête Jean Valjean, Javert et aussi le concept du "Fugitif" [la série télé de Roy Huggins qui connut le succès que l'on sait entre 1963 et 1967]. Je me suis dit - bon, il y a peut-être un moyen de prendre un petit peu de Victor Hugo, un petit peu de Robert Louis Stevenson et ce concept ridicule appelé "L'Incroyable Hulk" et d'en faire quelque chose, s'ils me laissent en faire un drame psychologique avec un vrai contenu adulte et un casting fort ». Et contre toute attente c'est ce qu'a fait Frank Price, donnant carte blanche à Johnson au lieu d'aller simplement voir ailleurs. « J'ai écrit le pilote de Hulk en moins d'une semaine... Bill Bixby a lu le script et l'a aimé. Il a accepté de s'engager dans la série », rapporte le producteur non sans un sentiment de fierté.

Parlons-en, justement, de Bill Bixby. Le comédien, qui avait rencontré le succès en 1969 avec une sitcom familiale, "The Courtship of Eddie's Father", où un père élevait seul son petit garçon, puis avait participé à plusieurs séries et téléfilms, dont un épisode des "Rues de San Francisco" qui lui avait valu une nomination aux Emmy Awards, venait d'être le héros d'une courte série intitulée "Le Magicien", l'un des acteurs de "Le Riche et le Pauvre", saga à succès inspirée du livre d'Irwin Shaw, et le partenaire du jeune Paul Michael Glaser dans le téléfilm "Houdini", sur la vie du célèbre illusionniste. Il descendait tout juste d'un avion lorsque son agent lui tendit deux scripts. L'un était celui de "L'Incroyable Hulk", l'autre quelque chose de plus sérieux. La première réaction de Bixby en lisant le titre du premier script fut de rire : comment un acteur qui avait fait ce qu'il avait fait pouvait-il jouer dans un téléfilm portant un titre aussi ridicule ? Mais, comme Johnson, le comédien s'est finalement ravisé : « Je suis terriblement fier de ce film », dira-t-il deux ans plus tard, interrogé par les journalistes de la Marvel. « Je crois qu'avec le temps ce film original deviendra un classique, je le crois vraiment. Quand j'ai lu le script, j'ai réalisé que j'avais l'opportunité de faire une série dans le genre des ‘creature movies' des années quarante qui mettaient en scène Frankenstein, le Loup-Garou, Jekyll et Hyde. Mais tous ces personnages incarnaient le mal, ce qui n'était pas le cas de Hulk. Il est la personnification de la colère. La colère faite homme. La puissance. »

Dès le départ, ce qui intéresse Bixby, comme d'ailleurs Johnson, c'est cette dimension humaine du personnage. « D'accord, Hulk est un grand monstre vert », dira Johnson, « mais il n'est qu'une exagération d'un être humain normal. » Ce qui le fait surgir au détour d'un accès de colère de son alter ego, ce ne sont pas forcément des situations qui n'arrivent que rarement dans la réalité, ou en tout cas rarement à la même personne, comme des agressions ou des incendies de forêt : ce sont souvent, au contraire, des prétextes anodins dans lesquels tout un chacun peut se reconnaître. Une employée du téléphone particulièrement bornée, un embouteillage, une voiture qui ne veut pas démarrer, un pneu à changer... C'est tout cela qui, en l'espace d'un instant, fait basculer David Banner dans la colère et surgir sa moitié primale, son double négatif, qui disparaît à son tour dès que la rage qui l'anime s'est apaisée.

« Hulk est la bête qui sommeille en chacun de nous », explicite le producteur, également scénariste et réalisateur du premier épisode et de quelques-uns des segments les plus représentatifs de la série. Une bête qui peut prendre des formes multiples. « Chez certains ce sera la boisson ou la drogue, ou quoi que ce soit qu'ils s'efforcent de contrôler. Ce peut être une expérience cathartique pour le public de s'identifier au héros et de se dire - oui, je peux le comprendre parce qu'il y a quelque chose de semblable en moi. » L'autre attitude qui peut expliquer l'adhésion du public, c'est de se dire : « Waou, si seulement je pouvais me changer en Hulk de temps en temps et étendre ceux qui me cassent les pieds ! » Hulk devient alors l'expression de ces sentiments contre lesquels chacun se bat au quotidien, il apporte à la fois une revanche et un défouloir, mélange classique de cette catharsis qu'évoque le producteur et qui le rapproche, mutatis mutandis, du bouc émissaire des sociétés primitives.

Au passage, il réajuste notre vision de nous-mêmes en nous rappelant que ces instincts dits primitifs sont en chacun de nous, qu'ils font partie de nous et doivent être, comme dans la série, maîtrisés pour permettre une vie normale. David Banner a donc valeur d'exemple dans la mesure où il n'encourage pas cette violence mais au contraire cherche à la réprimer, à l'extraire de lui. Loin de n'être qu'une réaction de défense, la colère fait ressortir le caractère tragique de son existence en exacerbant la dualité présente dans chaque homme.

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Bill Bixby (voix française : Daniel Gall) - Crédit photo : Universal Television
L'OMBRE DU DOCTEUR JEKYLL

On aura reconnu dans cette expérience extrême le modèle de Stevenson dans Docteur Jekyll et Mister Hyde. Le roman, publié en 1886, était bien sûr présent à l'esprit de Stan Lee, le scénariste de la Marvel, lorsqu'il créa le personnage en 1962. Constatant que la figure la plus populaire de ses Quatre Fantastiques était certainement la Chose, une âme et un coeur d'homme prisonniers d'une enveloppe de pierre des moins attrayantes, Lee rappela tous ses souvenirs classiques, Quasimodo et Frankenstein en tête, et décida de faire de son nouveau héros un monstre. « Quel défi ce serait de fabriquer un héros à partir d'un monstre », s'écria-t-il dans l'extase de la création. « Nous aurions un protagoniste de la force d'un Superman mais qui ne serait ni totalement doué, ni totalement noble, ni totalement infaillible. Nous utiliserions l'idée du monstre de Frankenstein en la rajeunissant. Notre héros serait un savant transformé en monstre à la suite d'un accident nucléaire. Sur ma lancée, pourquoi ne pas m'inspirer également de Docteur Jekyll et Mister Hyde ? Notre personnage passerait constamment de son identité d'homme normal à celle de son alter ego supra-humain et vice-versa. »

Au début, cependant, si la dichotomie manichéenne de la bonne et de la mauvaise moitié était claire, en revanche les transformations de Hulk n'avaient rien à voir avec la colère. Le docteur David Banner se métamorphosait brusquement, sans raison particulière, et ses transformations étaient liées en fait au passage du jour à la nuit. Le matin venu, le monstre redevenait Banner, qui vivait dès lors dans la hantise de voir disparaître le soleil. Les aventures dessinées de Hulk mirent très vite l'accent, pourtant, sur le caractère tragique de cette dualité, Banner essayant d'échapper à sa fatalité tandis que Hulk errait dans le monde, en proie à l'hostilité des humains, sans comprendre le pourquoi ni le comment de sa présence. Se souvenant de la personnalité de Banner, il la méprisait et craignait autant que son alter ego les métamorphoses intempestives dont il était la victime.

On retrouve là encore l'essence même du roman de Stevenson, où le docteur finissait par s'enfermer dans son laboratoire pour mettre un obstacle aux exactions du monstre, tout en essayant désespérément de trouver un antidote, une manière d'inverser le processus tragique. Affrontement classique du bien et du mal, recours à l'image du monstre incontrôlable inspirant la terreur partout sur son passage, l'histoire de Stevenson a inspiré très tôt le cinéma, qui trouvait dans "Le portrait de Dorian Gray" d'Oscar Wilde ou "Double assassinat dans la rue Morgue" d'Edgar Poe d'autres déclinaisons du même thème. Les êtres difformes du roman gothique, les créatures improbables hantant les films des années trente à cinquante, comme la classique "Créature du Lagon Noir" de Jack Arnold en 1954 ou "Le Loup-Garou" de George Waggner en 1941 (qui rencontrera même le monstre de Frankenstein dans un film de 1943), toutes ces figures s'appuient sur l'idée du mal personnifié, incarné dans un être hideux et maléfique, volontiers poilu, en tout cas terrifiant, mais l'intérêt de Hyde comme de Hulk réside dans l'affrontement du bien et du mal à l'intérieur d'une même personne, ce que ne possèdent pas les monstres de tout poil.

La créature de Stan Lee présente un autre « avantage » sur celle de Stevenson, c'est qu'elle n'est pas totalement antipathique. Pire : elle finit même par devenir sympathique, comme peut l'être le monstre de Frankenstein dont la cruauté naît de la méchanceté des hommes, terrifiés par son apparence repoussante et sa nature instinctive, dénuée de ce vernis de civilisation qui permet la vie en société. On le voit dans l'un des premiers chapitres imaginés par Stan Lee et le dessinateur Jack Kirby en 1962, Hulk permet en fait aux fantasmes des hommes de s'exprimer : l'un le décrit comme « un énorme gorille » (l'influence de Poe), l'autre plutôt comme un ours, « un ours de cirque puisqu'il était habillé ». Chacun finalement a vu ce qu'il voulait voir et qui lui paraissait la meilleure incarnation du Monstre. Le Hulk de Kenneth Johnson reprend à son compte toutes ces données, s'inspirant de Frankenstein autant que de Jekyll et Hyde. « Je voulais en faire un monstre sympathique qui ne peut pas contrôler son destin mais qui essaie de le faire », déclarait Johnson.

Construisant une oeuvre pour la télévision, destinée à être vue par un large public incluant les enfants aussi bien que les adultes, le producteur a fait de sa créature un être capable de susciter la compassion. C'est la rage qui l'anime, certes, et n'importe qui en face de lui serait pris de panique, avec raison. Mais son premier réflexe est aussi d'aider, alors même qu'il ne comprend pas ce qu'il fait là. Le téléfilm pilote contient à ce titre une scène d'une grande émotion qui marqua beaucoup l'acteur Bill Bixby. « C'est l'un des moments les plus émouvants que l'on ait faits, dans le film original de Hulk, quand il porte Susan Sullivan [qui incarne le Dr Elaina Marks] dans la forêt, loin du feu, pour essayer de lui sauver la vie, alors qu'elle est déjà en train de mourir. Elle sait que Banner est à l'intérieur de la créature, mais elle sait aussi qu'il ne peut pas l'entendre. Pourtant elle dit à la créature qu'elle l'a toujours aimé, c'est-à-dire le Dr Banner. La créature la regarde et ne peut pas lui répondre mais elle la dépose sur le sol tandis qu'elle continue de parler, qu'elle ferme les yeux et qu'elle meurt. Alors Hulk, pour quelque raison inconnue dans son esprit, lève la tête vers le ciel et hurle sa douleur de manière déchirante. »

C'est cette émotion, indissociable de la créature, qui fait aussi sa richesse. S'il ne fait aucun doute que la colère de Hulk, qui se tourne invariablement vers les méchants de service, à l'occasion une cabine téléphonique, une voiture ou n'importe quel objet qui un instant plus tôt résistait à Banner, procure un défoulement salutaire aux pulsions tant de Banner que du public, les scènes d'apaisement qui suivent ces déchaînements périodiques figurent aussi parmi les scènes les plus touchantes de la série. Vidée de la rage irrationnelle qui l'animait, la créature s'affaisse, épuisée, et devient pathétique après avoir été effrayante. « Après tant de confusion et de colère », explique Bixby, « elle se retrouve comme un poisson hors de l'eau ». C'est alors qu'elle s'émeut pour une fleur, un animal, une femme, de préférence évanouie ou terrorisée, et la rage se mue en une douceur aussi touchante qu'inattendue. Le principe est le même que celui utilisé dans le "Frankenstein" de James Whale avec Boris Karloff, lorsque le monstre, ayant échappé à la fureur des hommes, rencontre une petite fille au bord d'un lac et se sent irrésistiblement attiré vers elle, non parce qu'elle est sans défense mais parce que sa vulnérabilité la rend touchante et procure au monstre une émotion impérieuse.

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Lou Ferrigno
UN ACTEUR POUR FAIRE GROGNER HULK

Pour traduire à l'écran cette émotion, il fallait à Johnson un comédien capable d'exprimer sur son visage les mouvements de l'âme de la créature, un colosse certes, bâti comme le géant de la bande dessinée, mais un colosse vulnérable, capable de toucher. On l'a peu souligné, en tout cas en France, mais Lou Ferrigno n'a pas été le premier choix des producteurs. Le tournage a même commencé avec un autre acteur qui, au contraire de Ferrigno, parfait inconnu à l'époque, avait déjà une expérience de comédien : il s'agissait de Richard Kiel, l'adversaire de Roger Moore dans plusieurs James Bond, le monstre au dentier d'acier surnommé Jaws (qui en anglais signifie « mâchoires » et est aussi le titre original des "Dents de la Mer"). Il reste même dans le pilote une image de Kiel dans le rôle de Hulk, lorsque le monstre arrache un arbre pour sauver une petite fille tombée dans un lac (toujours l'influence de la créature de Frankenstein) : il est filmé en plongée et on ne voit que le sommet de son crâne mais c'est bien lui et non Ferrigno, aux dires de Johnson. « Je voulais quelqu'un que j'estimais capable de jouer », expliquait Kenneth Johnson, « et Richard Kiel avait à son actif de très bonnes prestations alors que Lou Ferrigno - bien qu'il parût tout à fait imposant - n'avait jamais réellement joué la comédie. Je pensais qu'il [Richard Kiel] saurait faire passer toute l'émotion dont nous avions besoin. Après une semaine de tournage avec Dick, nous avons tous pensé que Lou conviendrait davantage à ce que nous essayions de faire... alors nous sommes revenus sur notre premier choix. »

Selon Ferrigno, c'était en fait une question de muscles, ceux de Richard Kiel n'étant pas assez impressionnants pour incarner de manière convaincante la force de la nature que devait être le monstre. Il a confié en 1984 une anecdote amusante au magazine américain Starlog : « Ils avaient engagé Richard Kiel pour jouer Hulk... Et puis, après une semaine et demie de tournage, un réalisateur vint sur le plateau avec son fils. Le gamin dit : ‘Papa, ce n'est pas Hulk.' Le réalisateur lui dit : ‘Qu'est-ce que tu veux dire ? Regarde-le, il fait sept pieds de haut.' Mais le gamin répondit : ‘Il n'est pas grand comme dans la bande dessinée. Il ne ressemble pas à Hulk.' Alors ils ont paniqué. Ils ont décidé de remplacer Kiel et ont commencé à chercher partout quelqu'un de très baraqué - le type le plus grand et le plus musclé qu'ils pourraient trouver. Ils m'ont supplié de venir tourner un bout d'essai. J'ai dit ‘D'accord, je vais faire une scène'. Je suis arrivé avec le maquillage et, le jour suivant, j'étais au travail - quatre-vingts heures par semaine. »

Le choix de l'acteur était d'autant plus important que, en accord avec Stan Lee, qui travailla avec lui comme consultant, Johnson tenait à ce que la créature soit au centre de la série, qu'elle ne se limite pas à quelques apparitions spectaculaires se résumant à tout casser sur sa route mais qu'elle soit comprise au contraire comme un personnage à part entière, au même titre que Banner. « Dès le début, Stan Lee et moi nous sommes efforcés de concevoir un programme où les situations qui s'offrent à Banner concernent aussi Hulk. Evidemment il y a des épisodes que nous appelons de façon générale des ‘survival shows', dans lesquels nous développons une situation humaine normale et y injectons Hulk. Cela ne pose aucun problème. » Ce qui importe, pour le producteur, c'est que la créature ait la capacité d'agir sur les événements, de les orienter dans le sens voulu par la ligne générale de la série, au lieu de simplement pousser quelques grognements, casser la baraque et disparaître au coin d'une rue, laissant ensuite Banner recoller les morceaux et reprendre l'histoire là où elle était restée. « Quand vous faites un programme dans lequel le héros n'a pas une part active, ce n'est pas aussi satisfaisant que ça le devrait. Peu importe qu'il s'agisse de L'Incroyable Hulk ou de Deux cents dollars plus les frais ou même des Grands Personnages de la Bible. Vous voulez que vos personnages principaux changent quelque chose dans la vie des personnes qu'ils rencontrent. De ce point de vue toutes les séries télévisées, toutes les fictions se ressemblent. Vous voulez que votre héros ait une influence, et cette influence changera selon sa personnalité, selon ce qu'est votre personnage. »

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UNE AVENTURE HUMAINE

Dans cette optique, Hulk se rattache à la série familiale, comme d'ailleurs la plupart des road movies, où le héros aide semaine après semaine des personnages en perte de quelque chose, qui ont besoin d'une main tendue. Toujours avec l'idée de s'éloigner du caractère excessif et déjanté du comic book, Johnson tenait à aborder dans la série des thèmes contemporains et fondamentalement humains. « Je n'ai commencé à écrire qu'après avoir lu les bandes dessinées. J'ai examiné les origines de Hulk et quelques-uns des premiers épisodes et des plus récents, sans doute une demi-douzaine à tout casser, et j'ai décidé que je ne voulais rien avoir à faire avec tout ça. Ils étaient beaucoup trop excessifs pour moi. Il [Hulk] affrontait des hommes-léopards venus de l'espace, des hommes-lézards, des hommes-taupes. Quand j'ai accepté le projet j'ai dit clairement : ‘Je ne le ferai que si on le joue de manière absolument réaliste, c'est-à-dire un homme ordinaire avec un vrai problème. Il ne rencontrera ni extraterrestres ni monstres-robots. »

Un choix qui n'alla pas sans quelques mises au point avec Stan Lee, dont la vision de la série était résolument différente au départ. « Dans l'un des premiers épisodes », rapportait Johnson dans Starlog, « j'avais écrit un combat entre Hulk et un ours. Stan dit : ‘C'est génial, mais ce serait mieux si c'était un ours robot !' Je lui ai dit : ‘Stan, tu ne comprends pas. On a un homme qui devient énorme et vert, alors on a besoin que le public marche. Si le public ne marche pas, la série n'ira nulle part... Est-ce que tu veux vraiment prendre le risque de convaincre le public en faisant de l'ours un robot ? Ils vont s'asseoir et dire : ‘Désolé, je n'achète pas !' » Pour Johnson, il n'y avait qu'une manière d'accrocher un public adulte, c'était de lui proposer un traitement adulte. « Les enfants venaient pour voir le grand monstre vert passer à travers les murs, mais l'essentiel de notre public était constitué d'adultes qui comprenaient qu'il y avait autre chose dans tout ça... Le sujet de Hulk, c'était le fait d'affronter ce que l'on a en soi et d'apprendre à vivre avec. » L'approche humaine de Johnson consista donc à montrer des personnages en proie au doute et à la douleur.

Le docteur David Banner lutte pour garder le contrôle de lui-même, la créature lutte pour rester libre face à une hostilité systématique et les personnages épisodiques eux aussi doivent avoir un problème à résoudre, une dimension humaine, quelque chose de touchant qui permette de s'identifier à eux. Une semaine ce sera une jeune femme alcoolique que Banner et Hulk aideront à vaincre sa maladie (« Delirium », 2.7), une autre semaine un jeune handicapé mental dont Hulk deviendra l'ami et que Banner essaiera de faire placer dans une institution spécialisée (« Ricky », 2.3), la semaine suivante un enfant victime de violences parentales (« Un enfant en Danger », 2.5), etc...

A y regarder de près, c'est surtout lors de sa deuxième saison que la série aborde ces questions et prend véritablement une portée sociale, affichant son contenu adulte. Après deux téléfilms d'ouverture de bonne, voire d'excellente, facture et une première saison écrite et tournée dans une certaine précipitation (« Nous nous attendions à une commande de six épisodes, ils en ont commandé douze », expliquera Bill Bixby. « Nous n'avions pas d'équipe et pas de scripts ! »), la deuxième saison est la première livraison complète de 22 épisodes.

Selon Mark Rathwell, qui gérait l'un des sites internet les plus complets dédiés à la série, c'est la meilleure des cinq saisons diffusées sur CBS, contenant beaucoup de grands épisodes et pas de véritable navet. Le look de la créature, encore hésitant dans la première saison, se stabilise (un peu moins hirsute, un peu moins « Mister Hyde »), la formule des deux apparitions de Hulk par épisode est désormais bien rodée et admise par les fans, et les 22 épisodes assurent un bon équilibre entre les efforts de Banner pour dompter son alter ego, « fil rouge » de la série, et les histoires moins dépendantes de ce fil directeur, où le héros est simplement impliqué malgré lui dans les affaires des personnages secondaires.

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Jack Colvin
LE TROISIEME LARRON : LE CHASSEUR SOLITAIRE

Conformément au modèle du road movie, tel du moins qu'il fut établi en 1963 par le populaire Fugitif, et pour insuffler à la série une tension dramatique supplémentaire en s'inspirant du Javert des Misérables, Johnson ajouta à son tandem dichotomique un troisième larron en la personne du journaliste McGee, qui traque inlassablement la créature depuis qu'il l'a vue dans le téléfilm pilote, convaincu qu'elle est responsable de la mort du Dr Banner et du Dr Elaina Marks.

Fréquemment dans la série Banner est à deux doigts de croiser McGee, ce qui réduirait à néant ses efforts pour disparaître le temps de trouver un remède à son état. McGee travaillant pour une feuille à scandale, le National Register, il serait certainement ravi d'annoncer au monde entier que Banner est vivant, d'autant qu'il aurait bien besoin de ce coup d'éclat pour relancer une carrière plutôt mal partie. Au moins à quatre reprises, les deux hommes tombent presque nez à nez et Banner ne doit son salut qu'à un concours de circonstances : dans « L'homme Mystère » (2.15/2.16), il a le visage dissimulé sous un épais bandage à la suite d'un accident ; dans « Pour sauver Majestic » (3.7) McGee s'assoit dans le taxi qu'il conduit ; dans « Double Face » (3.12) il réussit à se faire passer pour un parfait sosie de lui-même ; dans « Equinoxe » (3.21), enfin, il est protégé par un costume lors d'une fête costumée.

De « L'homme Mystère », segment en deux parties de la deuxième saison, Kenneth Johnson est particulièrement content parce qu'il faisait faire un pas de géant à McGee. « McGee et Banner étaient ensemble », résumait le producteur dans une interview au magazine Marvel, « mais Banner était couvert de bandages et souffrait d'amnésie. McGee savait que cet homme avait quelque chose à voir avec Hulk mais il ne savait pas quoi exactement. A la fin de l'épisode, McGee voyait la métamorphose de l'homme aux bandages en Hulk, ce qui lui apportait une nouvelle information qu'il n'avait jamais eue auparavant, à savoir que la créature est un homme qui devient Hulk. »

McGee est donc lui aussi un personnage en quête de quelque chose. Obsédé comme peuvent l'être tous les traqueurs dans les road movies (Philip Gerard dans "Le Fugitif", George Fox dans "Starman", Miss Parker dans "Le Caméléon", etc.), il finit par dévoiler des côtés sympathiques, quand bien même il ne renonce jamais à son idée fixe, dût-il pour la poursuivre menacer de démissionner de son travail (dans l'épisode « Proof Positive », 3.13) ou carrément engager un mercenaire spécialiste du gros gibier (dans « Mort ou Vif », 4.6). Comme Fox dans "Starman", McGee n'est pas pris au sérieux, ce qui suffit déjà à le rendre un rien sympathique : son propre patron finit par croire qu'il a imaginé la créature qu'il recherche inlassablement et ses déclarations concernant un géant vert surgi des flammes dans le téléfilm pilote ne convainquent pas grand monde

Personnage aussi solitaire que l'homme qu'il traque (c'est presque invariablement le cas dans le road movie à la "Fugitif"), McGee est finalement plus à plaindre et parvient à émouvoir, par exemple quand à la fin de « Le Retour » (3.8) il est invité à la table des parents de David Banner pour ne pas rester seul le soir de Thanksgiving.

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UNE ANTHOLOGIE

Cette relation faite de crainte, d'incompréhension mais aussi d'un certain respect aurait pu entraîner la série vers une déclinaison à mi-chemin du feuilleton. On pourrait faire la même remarque d'ailleurs pour la plupart des séries reprenant la formule du road movie, et Le Caméléon a bien montré ces dernières années combien ce schéma pouvait être captivant si l'affrontement dramatique entre le traqueur et le traqué était rehaussé par une structure narrative « à suivre », distillant au compte-goutte des révélations plus ou moins inattendues et plus ou moins pertinentes.

Mais à l'époque l'heure n'était pas encore au retour du serial à l'ancienne et les séries offraient des épisodes indépendants les uns des autres. Pour plusieurs raisons d'ailleurs, et Johnson s'en est expliqué voici vingt ans, toujours dans les pages de Marvel : « Nous ne sommes jamais sûrs de l'ordre exact dans lequel nous allons pouvoir diffuser les épisodes. Il faut aussi prendre en considération le facteur de la syndication. Il est plus difficile pour une série d'être vendue en syndication si le téléspectateur est obligé de suivre la série de semaine en semaine. Une autre raison est que nous avons un certain nombre de scénaristes qui rédigent les histoires et il est difficile pour eux de coordonner les intrigues entre elles. Nous ne savons jamais quels scripts vont arriver les premiers ni combien d'entre eux vont être vraiment utilisables. »

Autre facteur à prendre en compte, le format même que le producteur voulait donner à la série, celui d'une véritable anthologie. « Une semaine Banner a à faire à une rock star, la semaine suivante il peut être dans un rodéo, la semaine d'après il peut être portier dans un hôtel ou travailler dans une aciérie ou avec des requins dans un parc nautique, ou conduire un taxi. Je ne pense pas que nous ayons intérêt à vouloir trop lier les histoires en une seule ligne narrative. Ce que nous essayons de faire, c'est de placer Hulk dans des milieux où il peut bien fonctionner. »

Si les arguments de Johnson ont été abandonnés depuis le succès des "X-Files" dans les années 90 et l'importation du cliffhanger dans la plupart des séries qui fonctionnent aujourd'hui, ils étaient très contraignants à l'époque et aucune grande chaîne n'envisageait sérieusement de modifier le caractère très cloisonné des séries traditionnelles, tant pour des raisons de commodité que pour des impératifs commerciaux. Il reste qu'une partie du charme des séries contemporaines de "L'Incroyable Hulk" (et de Hulk elle-même) provient au fond de ce cloisonnement qui permet de voir les épisodes (à peu près) dans n'importe quel ordre et d'apprécier pleinement leur côté « naturaliste » (ou expérimental), qui consiste à mettre chaque semaine les personnages dans des situations et des milieux différents pour ensuite observer leur comportement et, de semaine en semaine, apprendre à les connaître.

Si les scénarii de "L'Incroyable Hulk" n'échappent pas au piège de la répétition ni à la tentation de la facilité (citons « Le Piège », 3.9, qui reprend l'intrigue de base d'une nouvelle de Richard Connell et de son adaptation ciné de 1932, "Les Chasses du Comte Zaroff"), la série contient aussi des moments forts, comme le téléfilm pilote et les autres segments de deux heures écrits par Kenneth Johnson, « Married » (pour lequel Mariette Hartley reçut un Emmy Award de meilleure actrice) et « Promethée », où Banner est prisonnier d'un corps à moitié transformé en Hulk puis enfermé dans un complexe militaire aux airs de Zone 51.

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FICHE TECHNIQUE

Créée par : Kenneth Johnson
Producteurs : Robert B. Steinhauer, Jeff Freilich, Jill Donner, Karen Harris, Andrew Schneider
Producteurs associés : Stephen P. Caldwell, Alan Cassidy
Supervision de la production : Nicholas Corea
Producteurs associés : Stephen P. Caldwell, Alan Cassidy
Scénario : Kenneth Johnson, Richard Christian Matheson, Andrew Schneider
Consultants scénaristiques : Karen Harris, Jill Sherman
Consultant à la série : Stan Lee
Directeurs de la photographie : John McPherson, Vincent A. Martinelli, Eddie Rio Rotunno, Charles W. Short, Howard Schwartz
Directeurs artistiques : Frank Grieco, Jr, Louis Montejano, David Marshall, Charles R. Davis, Seymour Klate
Décorateurs de plateau : Robert Wingo, Joe D. Mitchell, Robert C. Bradfield, Joseph A. Armetta, Gary Moreno
Distribution des rôles : Ron Stephenson, Phil Benjamin, Mark Malis, Dodie McLean
Assistants à la réalisation : Richard Forrest, Wolfgang E. Marum, John Liberti, Paul Samuelson, Gene Marum, Carla McClosky, Jan R. Lloyd, Tom Blank, Walt Gilmore, Britt Lomond, David Sosna, Robert Villar
Montage : George Ohanian, Jack W. Schoengarth, Alan C. Marks, Robert K. Richard, Alan L. Shefland, Glenn Lawrence, William Martin, Ralph Schoenfeld, Lawrence J. Vallario, Edward W. Williams, Christopher Nelson, Al Breitenbach, Neal Chastain
Son : Claude Riggins, James F. Rogers
Montage sonore : Kyle Wright, Bernard F. Pincus, David Pettijohn, Lawrence E. Neiman, Jeff Bushelman, Pat Somerset, Bruce Bell, Kendrick Sweet, Larry Carow, Larry McMann, Colin C. Mouat
Musique : Joseph Harnell, C.R. Cassey
Montage de la musique : Walter Ulric Elliott, Rick Gleitsman, Arnold Schwarzwald, Celia Weiner, Herbert D. Woods, Stan G. Davis, Charles Paley, Gene L. Gillette
Costumes : Charles Waldo, George Whittaker, Bryenne Glittow, Jerry Harrin, Diana Wilson
Maquillages et coiffures : Sylvie Nava, Norman T. Leavitt, Elaina P. Schulman
Coordination des effets spéciaux : Johnny Borgese, Greg C. Jensen
Coordination des cascades : Frank Orsatti, Charlie Picerni
Cascadeurs : Manny Perry (doublure de Lou Ferrigno), Tony Brubaker, Norman Rice, Vince Howard, Jessie Vint, Frank Orsatti, Ernie Osatti, Don Charles McGovern, Pete Antico, Jessie Wayne, Tommy J. Huff, Larry Holt, Rita Egleston, Gene LeBell, Allan Graff, Carey Loftin, Jim J. Poslof
Une production Universal Television diffusée par CBS Television (1978/1982)


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