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Years and Years, la série : Dystopie effrayante

Par Théodore Azouze

 

Servi par un casting d’une justesse incroyable, "Years and Years", série d’anticipation anglaise diffusée l’an dernier sur Canal +, est toujours disponible sur MyCanal. Alors que le monde n’a jamais été aussi bouleversé qu’en cette année 2020 achevée et ce depuis plusieurs décennies, le feuilleton britannique fait dramatiquement écho à l’actualité. Retour sur ce thriller glaçant au réalisme effarant qui mérite bien plus que l’anonymat.

Parfois, cela arrive. Une œuvre qui passe un peu inaperçue lors de sa première diffusion, puis qui, par un savant concours de circonstances, revient tout naturellement en tête comme une évidence. Si la critique avait été presque unanime lors de sa diffusion en 2019 sur Canal +, "Years and Years" n’était pas forcément arrivée jusqu’aux oreilles du grand public français. Et en Grande-Bretagne, où la mini-série (6 épisodes) a été initialement retransmise par la BBC, les audiences ne furent pas non plus au rendez-vous.

Mais tout cela, c’était avant une pandémie mondiale qui remette en cause beaucoup d’ordres établis dans nos sociétés modernes. Or, en ce chaos planétaire qui s’abat lentement sur le globe terrestre, réside justement toute l’intrigue de "Years and Years". Dernière création de l’auteur et réalisateur Russell T. Davies, la série dessine un horizon pour le moins effrayant pour les sociétés occidentales. Enjeux géopolitiques, menaces populistes, dangers du numérique… De nombreux thèmes sont finement abordés à travers le quotidien d’une famille de Manchester, les Lyons, qui assiste, impuissante, à la succession de crises que va traverser le monde entre 2020 et 2030.

Une dénonciation du populisme

Chaque épisode suscite un haut-le-cœur chez le spectateur, qui se doit d’être prévenu : "Years and Years" ne le ménagera pas à un seul instant. Profondément tragique, elle joue justement de ces ressorts familiaux pour associer les dangers d’une crise et ses conséquences concrètes sur la vie quotidienne. On s’identifie facilement à cette famille, qui, au gré de ses dissensions et de ses retrouvailles, devient acteur des mouvements qui agitent la société dans laquelle elle évolue. La série se mue progressivement du pur cauchemar prophétique à un véritable pamphlet politique, contre toutes les formes d’extrémisme auquel chacun peut céder.

Très concrètement, le réalisateur prend pour fil rouge de l’ensemble de la série l’ascension de Vivienne Rook (brillamment interprétée par la géniale Emma Thompson), une artiste soudainement reconvertie politicienne. D’extrême-droite, antisystème, complotiste, aux accents trumpo-bolsonariens et prête à tout pour accéder au 10 Downing Street, elle n’est cependant pas une apparatchik tombée du ciel par mégarde. Mais bien la création du peuple britannique qui va voter pour elle, séduit par la simplicité d’une femme qui lui explique son projet politique comme elle dialoguerait dans un bar avec des amis. Cette Angleterre éméchée va pourtant avoir bien du mal à se remettre de sa malheureuse décision.

Une série efficace car intime

Une véritable gueule de bois qui donne la migraine aux électeurs responsables de ce nouvel autoritarisme, y compris au sein de la famille au centre de l’intrigue, qui soutenait en partie Vivienne Rook à ses débuts. Avec à la clé un impact majeur sur l’existence des personnages : la perte d’une relation amoureuse forte due à la dépendance à un système financier absurde, l’enfermement forcé d’un proche des Lyons à cause de son origine étrangère, la dépendance au numérique de la nouvelle génération…

La narration de la série est très fluide et se suit comme un réel thriller psychologique. Elle permet ainsi de donner une vision finalement très intime des différents événements d’actualité tragiques, qui se déroulent sous les yeux du spectateur impuissant. Raccrochés au quotidien le plus banal, filmés au plus près des existences enfantines, adolescentes et adultes, ils ne paraissent plus comme de lointains faits obscurs. Mais bel et bien comme le résultat d’une accumulation de choix personnels de la population, qui ont conditionné leur apparition.

Russell T. Davies alerte donc à la fois sur la difficile capacité du peuple à faire le bon choix en démocratie, tout en livrant dans le même temps une critique acerbe contre toute forme d’autoritarisme. La série a su conserver cet équilibre délicat durant les 6 épisodes, ce qui permet au spectateur de ne pas décrocher de l’intrigue principale centrée sur l’évolution des liens familiaux en temps de crise. Un exercice de funambulisme donc pleinement réussi, au scénario qui oscille perpétuellement entre réflexion, suspense et émotion.

Dressant le portrait brillant d’une Angleterre en plein naufrage, on peut simplement regretter que la série, pourtant ultra pertinente sur les futurs enjeux qui agiteront le monde de demain, passe un peu à côté d’un risque majeur : le péril climatique. Peut-être aussi car l’auteur a jugé que d’ici 2030, les éléments ne se seront pas encore tout à fait déchaînés contre nous ?

Il n’en demeure pas moins que la série mérite absolument un visionnage concentré, au regard des derniers mois écoulés. De 2030 à nos jours, il n’y a en réalité qu’un infime pas, et c’est bien ce qui vaut le détour dans la saga familiale que nous offre "Years and Years". Qui nous rappelle aussi, par sa fin heureusement plus optimiste, que le pire n’est pas toujours certain. Un peu comme maintenant, non ?