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Les dernières volontés de Richard Lagrange

Par Patrick Sansano

 

Geneviève Lagrange, une modeste infirmière, est-elle l'héritière du riche homme d'affaires Richard Lagrange, qui vient de mourir ? Un détective, Adrien Letort, mène l'enquête. Au fil de cette histoire d'héritage, Geneviève va découvrir l'amour avec le fils du notaire chargé de la succession, Bernard Montigny.

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Crédit photo : Télé 7 Jours
LA GENESE

En 1971, le réalisateur Roger Burckhardt, pionnier de la télévision suisse, décide de moderniser le genre « feuilleton sentimental ». Celui-ci est en vogue dans les années 60. Sous le titre "Une fille comme les autres", il souhaite raconter l’histoire d’une modeste infirmière de l’office de santé de Genève. Cette dernière, orpheline, se trouve pressentie pour être la fille d’un milliardaire canadien, Richard Lagrange. A cette intrigue, il veut ajouter en fil rouge une enquête policière.

Deux auteurs de roman policier, Maurice Roland et André Picot, écrivent un premier jet du scénario. Roger Burckhardt reprend ensuite le texte avec l’aide de Maurice Roland. Le scénariste et comédien Alain Quercy est chargé des dialogues. Quant à la musique, c’est un futur nom prestigieux qui va s’en occuper. Il s'agit de Tristan Murail, un des fondateurs de la musique spectrale.

Pour incarner l’héroïne, Geneviève, le réalisateur porte son choix sur une comédienne en vogue et en pleine ascension, Muriel Baptiste. Lorsqu’il la contacte, cette dernière a un agenda fort dense. En 1971, elle a enchaîné deux pièces de théâtre ("Tchao" avec Pierre Brasseur et "Zoé" pour "Au théâtre ce soir"). S'ajoutent à cela deux téléfilms (un "Maigret" et un "Tribunal de l’impossible"). Enfin, et pour faire bonne mesure, un long-métrage de Michel Mitrani, "La Cavale" (d’après le roman d’Albertine Sarrazin). Qui plus est, elle est engagée pour tourner le rôle de Marguerite de Bourgogne dans "Les Rois maudits" qui doit se tourner à compter de décembre 71. Muriel dispose donc de trois mois, de septembre à novembre, pour le projet du metteur en scène suisse.

Burckhardt s’aperçoit que la comédienne n’est pas enthousiaste pour le rôle. Elle pose ses conditions. Tout d’abord, une réécriture complète du personnage. Muriel ne veut pas jouer les orphelines passives. Elle souhaite que l’on dote l’infirmière d’un caractère affirmé. En réalité, touchée personnellement par le sort de Geneviève Lagrange, Muriel ayant été privée de la présence de ses parents très jeune, elle va petit à petit faire écrire un personnage à sa mesure. Muriel va donc incarner une héroïne éloignée des romans-photos style "Noëlle au quatre vents". La seconde condition qu’elle pose est plus étonnante. En l'occurrence, imposer son amie Annie Sinigalia avec laquelle elle a sympathisé durant la pièce "Zoé".

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Muriel Baptiste / Crédit photo : O.R.T.F
LE TOURNAGE

Ses exigences satisfaites, le tournage commence. Muriel se retrouve en terrain familier. En effet, elle a déjà joué deux fois avec Paulette Dubost qui incarne sa marraine ("Par Mesure de Silence", "Le Corso des Tireurs" deux téléfilms signés Philippe Ducrest). Mais aussi avec Tony Taffin ("Lancelot du lac") et Henri Vilbert (qui incarnait le magicien Melchior dans "Le Corso des Tireurs"). Burckardt permet à l’acteur une « private joke » qui a dû échapper à la plupart des téléspectateurs. Dans le bureau du personnage qu’il incarne, Maître Montigny, notaire, il y a au mur une affiche de cirque que l’on voyait dans le téléfilm de Philippe Ducrest. Mais si l’on précise que "Le Corso des Tireurs" a été diffusé une seule fois par la 2ème chaîne de l'ORTF en mai 1968, on se doute que personne n’a dû repérer la référence. Dans ce feuilleton, Jean-Luc Bideau va faire l’une de ses premières apparitions, dans le rôle d’un routier (il connaîtra la célébrité au cinéma à partir de 1980 avec "Et la tendresse bordel").

Le tournage se passe tellement bien que Roger Burckhardt est enchanté. Aussi, décide-t-il de faire une chose inédite à l’époque. En la circonstance, tourner une saison 2. Il demande donc à toute la troupe de remettre cela en septembre 1972. Toutefois, il est difficile de continuer les aventures de Geneviève Lagrange. Bref, pour cette saison 2, s’il obtient que la majorité des comédiens revienne (le dialoguiste Alain Quercy passant cette fois devant la caméra), les auteurs Maurice Roland et André Picot adapteront leur roman Le Bâton dans la Fourmilière. Le feuilleton envisagé sera diffusé sous le titre "Le Premier Juré". Il reprendra la plupart des éléments qui ont fait le succès de "Richard Lagrange", notamment l’affrontement entre le personnage de Muriel et celui d’Olga Georges-Picot en matière de rivalité amoureuse, avec la victoire de celui de Muriel. Pour l’occasion, Lise Lachenal, qui ne tient qu’un petit rôle dans "Richard Lagrange", aura l’un des rôles principaux.

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Crédit photo : O.R.T.F
L’INTRIGUE

Revenons à notre feuilleton. Eurckardt a une idée de génie pour son ce dernier. Il veut faire jouer Yvonne Clech à contre-emploi. Elle sera ici Mme Montigny, l’odieuse femme du notaire. Celle qui fera tout pour écarter Geneviève de la fiancée que les parents ont choisi pour leur fils Bernard (Bernard Rousselet). L’attitude de Mme Montigny plonge la série dans une phase dramatique qui permet de mettre en relief les capacités de Muriel Baptiste. Une véritable écorchée vive à la façon d’un Patrick Dewaere. On peut situer quatre moments scénaristiques dans le feuilleton. Le découpage en trente épisodes étant imposé par les impératifs de l’époque en matière de programmation de feuilleton quotidien.

Acte 1

Au début, le riche milliardaire meurt. Aussi, Geneviève doit-elle faire preuve de sa filiation. Elle est aidée par le détective privé Adrien le Tort (Georges Wod, futur marquis de Coulteray dans "La poupée sanglante"). Nous la voyons évoluer dans l’office de santé de Genève. Ainsi que dans sa résidence de Saint Julien en Genevoix où elle vit chez sa marraine, Mme Lebrun (Paulette Dubost). S’il a accepté d’engager Annie Sinigalia, Roger Burchardt lui a offert cependant un simple rôle de faire valoir de l’héroïne. Elle est Monique, l’amie fidèle, la collègue secrétaire à l’office qui veut devenir infirmière. Fabienne Eger incarne Françoise. C'est la collègue jalouse qui tentera de discréditer Geneviève auprès de son patron, le docteur Terrier (Gérard Carat), en fabriquant une faute professionnelle.

Dès le début, malgré les protestations de la veuve de Richard, Viviane (Anne Vernon), le fondé de pouvoir Henri Castel (Jean Claudio) va tout faire pour discréditer Geneviève. Il veut établir qu’elle n’est pas la fille de Richard Lagrange. Pour parvenir à ses fins, il se sert des mensonges d’une vieille femme, Thérèse Puidoux, qui a connu la mère de Geneviève, Gilberte Lagrange. Jean Claudio incarne avec justesse le salaud intégral Henri Castel, qui a dilapidé la fortune de son patron. Il est prêt à tout pour dissimuler son forfait. Il laissera partir sa maîtresse Fabienne (Lise Lachenal) et feindra de vouloir épouser la veuve. Il se heurte toutefois à Maître Montigny qui, contrairement à sa vipère d’épouse, prend dès le début le parti de Geneviève. Cette première partie du feuilleton "Les Dernières Volontés de Richard Lagrange" nous permet de voir le travail quotidien de Geneviève, toute dévouée à son métier. Ce qui nous vaut des scènes hospitalières crédibles qui, pour l’époque, sont tout à fait honorables vu le budget de cette production franco-suisse.

Acte 2

La série prend ensuite un tournant avec l’amour naissant entre Geneviève et Bernard Montigny. Celui-ci, médecin en Afrique noire, durant sa visite annuelle à ses parents se fait embaucher à l’office de santé de Genève pour échapper à l’atmosphère étouffante de la bourgeoisie familiale. Malgré une première déception amoureuse, Geneviève va prendre confiance en lui. Jusqu’au moment où la mère (Yvonne Clech) annonce à la jeune fille que son fils est fiancée à la riche Claudine Nodier.

Acte 3

Dans une troisième partie, la série va nous montrer la profonde souffrance de Geneviève. Une souffrance que, Muriel Baptiste, personnalité tourmentée et malheureuse malgré le succès, ne se force pas à incarner. Lorsque Bernard annonce à l’infirmière qu’il a rompu des fiançailles arrangées par ses parents, Geneviève / Muriel lui répond : « Vous espérez des félicitations ? ». Nous avons droit à une scène digne de "Hôtel des Amériques" avec Patrick Dewaere.

Acte 4

Enfin, les amoureux réconciliés, l’épilogue sera policier avec plusieurs retournements de situations avant l’arrestation de Castel. Notons tout de même une scène bouleversante, lors du mariage de Monique. Lors de celle-ci, Geneviève pardonne à Françoise, la collègue qui lui a fait tant de mal. Muriel Baptiste et Fabienne Eger sont bouleversantes dans une scène réaliste qui évite le mélodrame.

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Muriel Baptiste / Crédit photo : O.R.T.F
L’INTERPRETATION

Muriel Baptiste, dans un rôle sur mesures, domine la distribution haut la main. Bernard Rousselet fait une composition qui préfigure son personnage d’Hubert Vernet dans "Les Gens de Mogador" qui sera son tournage suivant. Anne Vernon (Viviane Lagrange), ex Mme Robert Badinter, tournait là son avant dernier rôle. Elle enchaîne avec "Pont Dormant", un autre feuilleton et quitte la profession pour devenir peintre à Grimaud.

Yvonne Clech et Henri Vilbert, en vieux briscards de la haute société, sont eux aussi excellents. Aucune faute de distribution, mais arrivant assez tard dans la série, Olga Georges-Picot ne dispose pas de beaucoup de temps pour nous convaincre avec son personnage de fille gâtée. Seul Marcel Imoff (qui retrouvera Muriel Baptiste dans un épisode de la série "Témoignages" : "Un Grand Peintre", avec aussi Fabienne Eger) a un jeu outrancier en riche homme d’affaires irascible, menaçant Montigny, « petit notaire de province », de lui retirer sa clientèle s’il continue de prendre le partie de Geneviève contre celui de sa fille Claudine. Vilbert a un jeu savoureux, plein d’humour et de flegme, et ses échanges avec Yvonne Clech constituent un des grands moments de la série. Il incarne ici la bourgeoisie que Claude Chabrol durant toute sa vie a passé au vitriol dans son œuvre.

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Crédit photo : Télé Poche
L’AUDIENCE

La série obtient un gros succès en Suisse, mais est diffusée en juillet 1972 sur la 1ère chaîne ORTF. Cette programmation estivale aurait pu nuire à Muriel Baptiste, mais le hasard veut que le feuilleton "La Princesse du rail", dont elle est aussi la vedette, soit rediffusé chaque jour sur la même chaîne. Télé Poche et Télé 7 Jours mettent Muriel en couverture qui en profite pour faire de la publicité pour "Les Rois maudits", créant ainsi une attente. Elle accorde à Télé Poche une longue interview.

Seule fausse note, France Dimanche, dans son numéro 1349 du 10 juillet 1972 ressort une vieille affaire datant de 1964. En l'occurrence, la tentative de suicide par barbituriques de l’actrice sur le tournage de "Déclic et des claques" de Philippe Clair. Muriel, hélas, récidivera le 7 septembre 1995 à Paris, nous privant à jamais de sa présence lumineuse. Quant au feuilleton "Les Dernières Volontés de Richard Lagrange", sans doute le tournage en noir et blanc n’incita-t-il pas la télévision française à le rediffuser. Enfin, concernant une édition en DVD, il est illusoire d'y penser. Pourtant quand on voit que le feuilleton "Rue Barrée" a été édité par Elephant Films, on se dit que l'on peut y croire quand même...

Chose curieuse, une novélisation sortira en librairie en France, en novembre 1973. Celle-ci intitulé "Geneviève ou les dernières volontés de Richard Lagrange" sera signée par Claude Romarin. Fin 1973, le feuilleton est quand même un peu oublié et la couverture est un simple dessin. La musique est sortie en 45 tours mais uniquement en Suisse. C’est un collector très recherché en raison de la signature de Tristan Murail.

"Les dernières volontés de Richard Lagrange" est donc le témoignage d’une époque. Le tout avec des comédiens ayant sans arrêt la cigarette aux lèvres. De surcroît portant des pantalons à pattes d’éléphants. La série, suivie par "Les Rois maudits", constituait le début d’une grande carrière. Mais, en 1974, une grave maladie de la glande thyroïde éloignera à jamais Muriel des caméras. Ce qui semblait le début sera en fait le chant du cygne. Celui d’un immense talent trop vite tombé dans un injuste oubli.

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Paulette Dubost / Crédit photo : O.R.T.F
DISTIBUTION

"Les Dernières Volontés de Richard Lagrange" est un feuilleton télévisé franco-suisse en 30 épisodes de treize minutes. Il a été réalisé par Roger Burckhardt. Diffusé en France entre le 4 juillet 1972 et le 7 août 1972 sur la 1ère chaîne de l'ORTF.

Avec : Muriel Baptiste, Bernard Rousselet, Annie Sinigalia, Anne Vernon, Jean Claudio, Yvonne Clech, Georges Wod, Henri Vilbert, Paulette Dubost, Tony Taffin, Lise Lachenal, Olga-Georges Picot, Marcel Imoff, Gérard Carat, Jean-Luc Bideau, Fabienne Eger.

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